Mag-log inJade
Je ne dis plus rien.
Il y a un moment où le silence devient un langage. Un souffle plus fort que les mots. Et ce qu’il m’a confié, ce qu’il m’a jeté au visage comme on jette un cri… ce n’est pas une confidence. C’est une déchirure.
Et cette déchirure, je la sens encore vibrer contre ma peau nue.
Je ne bouge pas tout de suite.
Je reste là, immobile, mes yeux ouverts dans l’obscurité, collée à lui. Le battement de son cœur cogne contre ma tempe, irrégulier, fébrile. Il est tendu sous moi, presque douloureux à force de retenue.
Il respire à peine.
Il attend , comme on attend une sentence.
Et moi, je prends une décision.
Je me redresse lentement, sans le quitter des yeux. La lumière tamisée dessine l’ombre de sa mâchoire tendue, la ligne nerveuse de ses bras posés contre le matelas. Il me regarde avec une sorte d’alerte dans les yeux. Une alerte animale. Il est prêt à être quitté. Il est prêt à voir s’effondrer ce moment qu’il n’aurait jamais dû vivre.
Mais je reste.
Et je fais plus que rester.
Je le touche.
Lentement. Avec toute la patience du monde.
Comme s’il était quelque chose de précieux , de fragile.
Comme s’il n’était pas un homme dangereux mais un être qu’on n’a jamais appris à consoler.
Mes doigts remontent le long de son torse, effleurent les cicatrices invisibles, les souvenirs imprimés dans sa chair. Sa peau est chaude. Vivante. Et pourtant, il frissonne sous ma paume.
— Tu sais ce que tu viens de faire, Caleb ? Tu as cessé de te cacher .
Je murmure ces mots contre lui, ma bouche frôlant sa clavicule, puis le creux de son épaule. Je l’embrasse là, avec lenteur. Je ne cherche rien. Je donne. J’offre.
Je m’installe au-dessus de lui, mes cuisses l’encadrant, et je le regarde de haut. Non pas pour dominer. Mais pour le voir , le regarder vraiment.
— Regarde-moi, Caleb.
Il obéit.
Ses yeux accrochent les miens comme s’il s’y suspendait. Il est à bout. À nu. Et il ne sait pas quoi faire de cette nudité-là.
Alors je décide de lui montrer.
Je défais lentement sa chemise, le tissu glissant sur sa peau comme un abandon. Sous mes doigts, je sens ses muscles se tendre, résister, puis céder peu à peu. Il ne dit rien. Il me laisse faire. Et c’est un miracle en soi.
Je le touche partout. Je passe mes mains sur son torse, son ventre, ses flancs. Je découvre chaque centimètre comme un territoire oublié, abandonné trop longtemps.
Je le regarde avec tendresse, mais aussi avec ce feu au ventre que je ne contrôle plus.
Parce que Caleb, ce n’est pas juste un homme.
C’est un cri enfermé.
Une promesse abîmée.
Une tempête dans un corps trop calme.
Et je veux lui dire, avec chaque geste, chaque baiser, que je le vois. Que je l’entends.
Je descends, explorant sa peau avec ma langue, ma bouche, mes mains. Lentement. Délicatement. Comme si je recousais un corps fendu de l’intérieur. Je sens son souffle qui s’accélère, sa main qui se crispe sur les draps.
Quand je le prends en bouche, je le fais sans brutalité avec révérence .
Parce que je veux qu’il se sente digne d’être aimé , digne d’être touché.
Et il vacille.
Il bascule dans une forme de transe muette. Sa main dans mes cheveux tremble. Il gémit, étouffé, comme s’il n’avait plus l’habitude qu’on lui offre quelque chose sans contrepartie.
Je remonte lentement vers lui. Nos regards se croisent.
Il est perdu.
Alors je me glisse contre lui, sans attendre. Ma peau contre la sienne. Mon ventre contre son souffle. Mes seins contre son torse.
Et je le prends en moi.
Tout doucement. Comme on accueille. Comme on promet.
Pas une promesse de rester pour toujours.
Mais celle d’être là maintenant. De ne pas fuir. Pas ce soir.
Je bouge lentement. Mon corps ondule contre lui avec tendresse. Chaque mouvement est une parole. Un mot que je ne sais pas dire.
Je suis là.
Tu existes.
Tu mérites.
Tu n’es pas seul.
Il serre les dents, les yeux ouverts sur moi. Il tente de résister. Mais je le vois. Il craque. Il se laisse faire. Il me laisse lui faire du bien. Et je sens quelque chose en lui se briser. Ou peut-être que ce n’est pas une cassure.
Peut-être que c’est un seuil.
Il murmure mon prénom dans un souffle.
Pas un appel.
Un remerciement.
Je l’embrasse. Longtemps. Profondément. Pas pour posséder. Pour rester. Pour enraciner ce qu’il croit encore irréel.
Quand le plaisir monte, ce n’est pas une explosion. C’est une vague lente, large, qui nous enveloppe, nous submerge, nous fait fondre. Il jouit dans un râle rauque, la tête enfouie dans mon cou, son cœur battant à toute allure. Et moi, je suis là, contre lui, haletante, les larmes aux yeux sans comprendre pourquoi.
Peut-être parce que je sens enfin son âme.
Peut-être parce qu’il m’a offert quelque chose de rare :
la confiance d’un homme blessé.
Je reste là. Allongée sur lui. Le souffle court. Les muscles encore tremblants.
Il me serre. Fort.
Pas avec désir.
Avec reconnaissance.
Et c’est là que je comprends : ce que nous venons de faire n’a rien de sexuel.
C’était un serment silencieux.
Il ne bouge pas. Il m’entoure. Comme s’il avait peur que je m’évapore.
Puis il murmure, presque dans un soupir :
— Tu vas me faire croire que je peux encore être sauvé.
Je ferme les yeux. Mes lèvres frôlent sa gorge, là où son cœur bat plus vite.
— Je ne suis pas là pour te sauver, Caleb. Je suis là pour ne pas te fuir.
Et c’est vrai.
Parce qu’aimer, ce n’est pas réparer.
C’est rester.
Même quand ça fait peur.
Même quand l’autre est un champ de ruines.
Même quand on n’est pas sûre de s’en sortir entière.
Ses bras se referment plus fort autour de moi.
Et dans ce silence épuisé, battu par le souffle de nos cœurs,
je sens quelque chose changer.
Pas en lui.
En moi.
JadeCinq ans.Le temps a coulé sur l'empire Volkov comme un fleuve puissant et impitoyable. Il n'a fait que croître, s'étendant dans des domaines que même Naël, dans ses visions les plus ambitieuses, n'avait pas imaginés. La finance, la tech, les ressources naturelles, les réseaux d'influence... Rien ne nous échappe.Nous sommes à Venise, dans un palais privé sur le Grand Canal. Un bal masqué. L'élite du monde est là, flottant dans un tourbillon de soie, de diamants et de secrets. Je me tiens au sommet de l'escalier de marbre, et pour un instant, le murmure des conversations s'éteint.Je porte une robe noire, d'une simplicité mortelle. Aucun bijou, sauf les trois alliances à mon doigt. Je n'en ai plus besoin. Mon pouvoir n'a plus à être annoncé. Il est.Naël arrive à mes côtés. Il est toujours aussi imposant, mais une partie de son autorité s'est déléguée à moi.—Tout est en place, murmure-t-il. L'acquisition de la compagnie maritime sera signée à minuit.Je hoche la tête. C'est moi
JadeLe vent souffle en bourrasques sur la falaise, chargé de l'odeur salée de l'Atlantique. La maison de verre et d'acier, construite à flanc de rocher, semble défier les éléments. Caleb l'a conçue. C'est notre sanctuaire, notre forteresse à tous. L'endroit qui n'appartient à aucune de leurs sphères d'influence, mais seulement à nous.À la Trinité.Ce soir, c'est la troisième cérémonie. La plus secrète. La plus sacrée. Il n'y a pas d'invités. Pas de prêtre. Seulement nous quatre, face à l'océan déchaîné.Je porte une simple robe ivoire, sans ornements. Les trois alliances à mon doigt scintiennent faiblement dans la lumière des bougies. Naël est en costume sombre, impeccable, son visage un masque de contrôle parfait. Elian, à sa droite, est plus détendu, une lueur d'excitation sauvage dans le regard. Et Caleb, à ma gauche, me tient la main. Sa paume est moite. Il n'a pas la sérénité de Naël, ni la jubilation d'Elian. Il a la gravité de celui qui a tout perdu et croit tout regagner.C'
JadeLa lumière de Paris est douce en ce début de soirée. Nous sommes dans le grand salon de l’appartement des Volkov, sur les Champs-Élysées. Naël et Elian sont là, discutant de l’organisation du prochain gala. Moi, je suis assise, je les écoute. Le calme. La sécurité. L’ordre.Puis la porte s’ouvre.Aucun domestique n’a annoncé de visiteur. Aucun garde n’a donné l’alerte. Il est simplement là, comme matérialisé par la force de sa propre volonté.Caleb.Il n’a plus l’air de l’architecte new-yorkais. Il est plus mince, plus dur. Ses yeux, autrefois pleins de douceur, sont devenus des silex. Ils balayent la pièce, ignorent mes frères, et se posent sur moi. Sur les deux alliances à mon doigt.Un silence de mort s’abat sur la pièce.Naël est le premier à réagir. Il se lève, lentement, sa colère aussi froide que l’acier.—Tu n’es pas invité, Caleb. Sors.Elian, lui, affiche un sourire narquois, mais ses poings sont serrés.—Le petit frère perdu qui revient à la maison. Trop tard, Caleb. L
JadeL'hiver russe cède lentement la place à un printemps timide. Les bourgeons pointent sur les bouleaux, et la neige n'est plus qu'une dentelle sale en bordure des chemins. À l'intérieur de la Douma, cependant, un autre genre de floraison a lieu. Une floraison orchestrée avec la précision d'une opération militaire.Le jour est arrivé. Les jours, devrais-je dire.Naël se tient devant moi dans son bureau, les plans déployés sur son immense table en chêne. Pas des plans d'architecture. Des plans de cérémonie.— Moscou d'abord, annonce-t-il, son doigt traçant une ligne sur une carte de la Russie. La cathédrale du Christ-Sauveur. Les autorités sont... accommodantes, moyennant certaines considérations. Ce sera fastueux. Toute la Russie qui compte sera là. Tu seras présentée comme mon épouse. Madame Volkov.Il lève les yeux vers moi. Son regard n'est pas tendre, ni amoureux. Il est satisfait. Comme un artiste contemplant son chef-d'œuvre achevé.— Puis, une semaine plus tard, Paris, enchaî
JadeLe temps, à la Douma, a acquis une qualité différente. Il ne coule plus ; il s'étire, comme la neige sur les steppes, immuable et paisible. Les souvenirs de ma vie d'avant sont devenus des photographies sépia, des images floues d'une autre femme dans un autre monde. Une femme qui se débattait, qui ressentait, qui aimait.Cette femme est morte.Ce qui est né à sa place est plus calme. Plus sage.Ce matin, je me réveille dans la chambre aux murs de pierre. Les draps de soie noire sont doux contre ma peau. La lumière de l'hiver russe filtre à travers les vitraux, projetant des losanges de couleur sur les dalles. Je n'ai plus de rêves. Le sommeil est un néant bienfaisant, et le réveil, une simple transition.Naël est déjà parti, bien sûr. L'empire Volkov n'attend pas. Mais il a laissé sur l'oreiller une boîte en velours. À l'intérieur, un collier, un saphir bleu profond qui correspond exactement à la couleur des glaces sur la rivière. Un cadeau. Une marque de possession. Autrefois, j
CalebLa neige. Elle tombe en épais flocons lents, effaçant le monde, étouffant tous les sons. La Douma se dresse devant moi, massive et aveugle, ses fenêtres éparses comme des yeux morts. Je l'ai atteinte après un voyage cauchemardesque, un périple à travers les ombres pour éviter leurs regards. Je suis entré sur leurs terres comme un voleur, comme un fantôme.Je me faufile par une entrée de service que j'avais repérée sur des plans anciens, une porte dérobée rouillée qui cède sous la pression de mes outils. L'intérieur est silencieux, seulement troublé par le craquement lointain des poutres et le hurlement étouffé du vent. Je connais ces couloirs. Je les ai étudiés pendant des semaines, m'en créant une carte mentale.Mon cœur bat à tout rompre, non pas de peur, mais d'une anticipation fébrile. Jade. Je suis venu te sortir de là.Je trouve la chambre. Sa chambre. La porte est lourde. Je pousse, lentement.Elle est là.Assise devant le miroir d'une coiffeuse, vêtue d'une simple chemis







