LeynaLa nuit tombe trop vite. Comme si le ciel lui-même savait qu’il ne nous reste qu’une poignée d’heures avant que tout change.Azar est affalé en travers de mon canapé, ses jambes trop longues dépassant du plaid que je lui ai jeté. Sur la table basse, deux tasses de thé refroidissent déjà. La télé diffuse un film qu’aucun de nous ne regarde. Il zappe, distrait, son pouce appuyant machinalement sur la télécommande.— Tu réalises que c’est ta dernière soirée ici ? dis-je doucement.Il tourne la tête vers moi, hausse les épaules.— J’essaie de pas trop y penser.Je m’assois à côté de lui, mon genou frôlant le sien. Un silence fragile s’installe. Pas pesant, mais chargé de tout ce qu’on n’ose pas dire. Chaque seconde compte, et ça rend tout plus vif, plus intense.Alors je brise le fil, volontairement légère.— Tu veux que je cuisine quelque chose ?— Non merci, je tiens à arriver en vie à Istanbul.Je lui balance un coussin, qu’il esquive avec un sourire insolent.— T’abuses, je suis
AzarLe matin est encore frais quand je la retrouve. Leyna est déjà là, assise sur le muret, ses jambes battant dans le vide. Elle a ce sourire qui donne l’impression que la journée sera forcément meilleure que la précédente, comme si elle l’avait déjà décidé pour nous deux. Dans ses mains, un sac en toile qu’elle me tend sans préambule.— Devine ce qu’il y a dedans ?— Des toasts cramés ?Elle lève les yeux au ciel et me donne une petite tape sur l’épaule.— Mauvaise langue. Sandwich maison. Si tu critiques, je te laisse mourir de faim.— Charmant programme, dis-je en grimaçant.On marche côte à côte dans les rues encore calmes. Les commerçants ouvrent leurs volets en grinçant, les odeurs de pain chaud se mêlent à celles du café qui s’échappe des bistrots. J’ai l’impression de flotter dans un temps suspendu, hors du terrain, hors du bruit des stades. Une étrange légèreté m’accompagne : pas d’entraînement, pas de coach qui crie, pas de sifflet strident. Juste nous.Au parc, le banc de
AzarLa nuit est déjà tombée quand je quitte l’immeuble de Leyna.L’air est plus frais, chargé des odeurs d’épices qui s’échappent encore des cuisines. Mes pas résonnent sur le trottoir, un peu plus légers qu’en arrivant. Samira n’a peut-être pas totalement validé mon existence, mais au moins je n’ai pas été jeté dehors avec ses légumes et sa sauce piquante. On peut appeler ça une victoire.Je remonte le col de ma veste et inspire profondément. J’ai encore son rire en tête, celui de Leyna, clair et lumineux. Un morceau de chaleur que je garde serré contre moi en traversant les rues.Arrivé devant mon immeuble, je me sens presque à contretemps. Comme si j’avais encore un pied dans son monde à elle et l’autre dans le mien, plus rude, plus solitaire.À peine la porte claquée derrière moi, mon téléphone vibre. Le nom s’affiche : Coach Rahman.Je sens une petite boule se former dans mon ventre.— Azar ! gronde sa voix, énergique, sans même un bonsoir.— Coach.— Prépare ton sac. On décolle
AzarLa lumière de l’après-midi filtre à travers les arbres, jetant des ombres mouvantes sur le bitume chaud. Leyna marche à mes côtés, ses doigts effleurant parfois les miens comme un rappel doux et discret que nous sommes là, ensemble.Le quartier respire la vie, avec ses cris d’enfants jouant au loin, le marchand de pain qui vante sa fournée du jour, et les portes grandes ouvertes d’appartements où s’entassent odeurs de cuisine et bribes de conversations.Nous approchons enfin de son immeuble, modeste mais vivant, une structure aux murs défraîchis, ornée de graffitis plus ou moins artistiques certains ressemblant vaguement à des licornes et d’autres à des messages cryptiques que je ne comprends pas.Leyna s’arrête devant la porte d’entrée, son regard s’adoucit.— Tu vas voir, elle est déjà là.Je hoche la tête, un peu nerveux mais prêt.On monte au premier étage. Le bruit de nos pas résonne dans la cage d’escalier, ponctué par le « tac tac » impatient d’une voisine qui semble ne ja
AzarLe silence de la chambre n’est plus seulement calme, il est lourd de non-dits. La lumière du matin éclaire doucement les contours de Leyna, encore blottie contre moi. Ses doigts cherchent les miens, s’accrochent, comme pour s’assurer que je ne partirai pas.Je sens le poids de ce que je dois lui dire. Ce n’est pas un caprice, ni un simple souhait. C’est une urgence.Je caresse son bras, lentement, comme pour préparer le terrain, puis je plonge mon regard dans le sien, espérant trouver l’ouverture.— Leyna, je veux te demander quelque chose. Vraiment te demander, avec tout ce que j’ai.Elle lève la tête, ses yeux cherchent les miens, curieux mais déjà sur la défensive.— Laisse-moi t’aider. Pas seulement pour les choses faciles, ni pour réparer les petits tracas. Pour ta vie, pour ta sécurité. Pour que tu puisses respirer enfin.Je la regarde. Ce quartier, avec ses ruelles étroites, ses regards parfois hostiles, ses bruits qui ne dorment jamais, ce quartier n’est pas fait pour ell
AzarLe jour naissant glisse lentement sur la chambre, dépose des touches de lumière dorée sur les murs clairs, sur le linge froissé du lit, sur Leyna endormie.Son visage est un tableau de douceur : les cils qui projettent une ombre légère sur ses joues, les lèvres à peine entrouvertes, un souffle régulier qui apaise le tumulte qui régnait encore hier soir dans ma poitrine.Je reste immobile, comme figé dans ce moment fragile. Mes doigts entrelacent doucement les siens, et j’entends battre son cœur, tout contre moi, un rythme timide qui me rassure.La chaleur de son corps m’enveloppe, encore vive malgré les heures écoulées. C’est une sensation nouvelle, une empreinte que je ne veux pas effacer.Je me surprends à observer les détails la manière dont ses cheveux tombent en cascade désordonnée sur l’oreiller, la courbe de sa nuque offerte à mes caresses, la promesse silencieuse dans la courbe de son sourire endormi.Je sais que cette nuit ne s’effacera pas comme un rêve banal. Elle est