Home / Romance / L'obsession de Raphaël / Chapitre 6 : La Brûlure

Share

Chapitre 6 : La Brûlure

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-11-01 20:29:42

Mara

La nuit a été une longue veillée funèbre. Chaque ombre dans la chambre prenait sa silhouette. Chaque craquement du parquet était son pas. Je me suis blottie contre Lucian, cherchant la chaleur rassurante de son corps, mais même dans ses bras, je sentais le froid d'Elias sur ma peau. Le petit caillou plat, strié de blanc, dansait derrière mes paupières closes. Un souvenir transformé en arme.

Au petit matin, des agents de police sont venus. Polis, efficaces, désincarnés. Ils ont écouté mon récit, noté les détails de la voiture noire, de l'intrusion dans le jardin. Ils ont promis de patrouiller dans le quartier. Ils ont prononcé les mots "ordonnance d'interdiction" avec une routine qui m'a glacée. Pour eux, c'était un dossier. Pour moi, c'était ma vie qui se fissurait.

Après leur départ, un silence de plomb s'est abattu sur la maison. Lucian était assis dans son fauteuil, le visage fermé. Je voyais la tension dans sa mâchoire, l'impuissance qui roidissait ses épaules. Il luttait contre un ennemi qu'il ne pouvait pas affronter physiquement, et cette injustice le dévorait.

— Ça va aller, maintenant, a-t-il dit, comme pour se convaincre lui-même.

Je n'ai pas répondu. Je savais, viscéralement, que rien n'allait. Que les mots des policiers étaient un bouclier de papier face à un ouragan.

La journée s'est traînée, lourde et étouffante. J'essayais de travailler, de me perdre dans mes dessins, mais mes mains tremblaient trop. Le trait était hésitant, brouillé. L'encre se répandait en taches informes, comme du sang sur du papier.

En fin d'après-midi, la sonnette de la porte d'entrée retentit, stridente dans le silence. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Lucian et moi échangeons un regard. Les policiers ? Un livreur égaré ?

Je marche jusqu'à la porte, le corps raide. Je jette un coup d'œil par l'œil-de-bœuf.

Et le monde s'arrête de tourner.

C'est Naëlle.

Elle est là, sur le perron, vêtue d'un manteau élégant, son visage parfait encadré par des boucles soyeuses. Mais son masque de sérénité est fissuré. Ses yeux sont rougis, son fard à paupières légèrement étalé. Elle a l'air échevelée, vulnérable. Dangereuse.

— Mara ! Ouvre-moi, s'il te plaît ! crie-t-elle à travers la porte, sa voix brisée par les sanglots.

Mon instinct me hurle de ne pas bouger. Mais c'est ma sœur. La fille qu'Elias a épousée pour sauver. La raison pour laquelle tout a commencé.

Je déverrouille la porte et l'ouvre lentement.

— Naëlle ? Qu'est-ce qui se passe ?

Elle se jette presque sur moi, m'agrippant les avant-bras, ses doigts froids comme la mort.

— Il est parti, Mara ! Elias est parti !

Les mots me frappent de plein fouet. Parti ? Mon esprit vacille. Est-ce une ruse ? Une nouvelle tactique ?

— Qu'est-ce que tu veux dire, 'parti' ? balbutié-je en reculant, me dégageant de son étreinte.

— Il a fait sa valise ce matin. Il a dit… il a dit qu'il avait des choses à régler. Qu'il ne pouvait plus faire semblant. — Elle éclate en sanglots, son corps élancé secoué de tremblements. — Il ne répond plus à son téléphone. Personne ne sait où il est !

Elle s'effondre sur la chaise du hall, enfouissant son visage dans ses mains. Je reste debout, pétrifiée, à la regarder. Une émotion complexe et laide naît en moi. Ce n'est pas de la pitié. C'est un soulagement sauvage, coupable, suivi d'une angoisse immédiate.

S'il a quitté Naëlle… S'il n'a plus de liens…

— Il est venu ici, hier soir, dis-je, ma voix atone.

Naëlle relève la tête, ses yeux noyés de larmes s'écarquillent.

— Quoi ?

— Il était dans le jardin. Il nous regardait, Lucian et moi. Il m'a suivie plus tôt. Il m'a menacée.

Les mots sortent, froids et durs. Je vois la compréhension, puis l'horreur, s'emparer de son visage.

— Non… murmure-t-elle. Non, ce n'est pas possible. Il ne ferait pas ça. Il…

— Il l'a fait, Naëlle. Il est obsédé. Et s'il t'a quittée, c'est qu'il se sent libre d'agir.

La réalisation la frappe de plein fouet. Elle blêmit, ses lèvres tremblent. Puis, son expression change. La détresse se mue en quelque chose de plus acéré, de plus venimeux. Elle se lève, son regard balayant l'entrée, le salon où Lucian est assis, silencieux, témoin de toute la scène.

— C'est de ta faute, crache-t-elle soudain, en pointant un doigt accusateur vers moi. Tout ça, c'est de ta faute ! Tu n'as jamais pu supporter que j'aie quelque chose que tu n'avais pas ! Tu as toujours été là, dans l'ombre, à le regarder avec tes yeux de chienne battue !

— Naëlle ! la voix de Lucian, coupante comme un glaive, résonne dans le hall. Taisez-vous.

Elle l'ignore, ses yeux brillants de haine rivés sur moi.

— Tu as toujours voulu ce qui était à moi ! Tu as dû lui faire du gringue, lui passer des messages, je ne sais quoi ! Tu as détruit mon mariage !

La colère, enfin, brise la chape de glace qui m'enserrait. Elle monte en moi, brûlante, purificatrice.

— Ton mariage ? ricassé-je, avançant d'un pas. Ton mariage était un arrangement pour étouffer un scandale ! Il t'a épousée par devoir, pas par amour ! Il me l'a dit en face !

La gifle est soudaine, violente. Sa paume s'écrase contre ma joue avec un bruit sec qui résonne dans la maison. La douleur explose, vive, cuisante. Je porte la main à ma joue, sidérée.

— Ça suffit ! tonne Lucian, et je n'ai jamais entendu une telle fureur dans sa voix.

Mais Naëlle n'a pas fini. Elle se penche vers moi, son visage déformé par une rage que je ne lui ai jamais connue.

— Tu crois qu'il veut de toi ? Toi, la fille effacée qui s'est mariée par dépit avec un infirme ? Il veut ce qu'il ne peut pas avoir, c'est tout ! Et quand il en aura assez de toi, il te jettera comme un vieux chiffon ! Tu n'es rien, Mara ! Rien !

Ses mots sont des couteaux. Ils visent juste. Ils touchent toutes mes peurs, tous mes doutes. La femme effacée. Le mariage par dépit. L'infirme. Chaque syllabe est calculée pour infliger le maximum de dégâts.

Je ne recule pas. Je la regarde droit dans les yeux, la joue en feu, le cœur battant à tout rompre.

— Sors de chez moi, dis-je d'une voix basse, mais qui ne tremble plus.

— Avec plaisir. Profite de ta victoire. Elle ne durera pas.

Elle se redresse, ajuste son manteau d'une main tremblante, et tourne les talons. Elle sort, claquant la porte derrière elle avec une force qui fait trembler les murs.

Le silence retombe, lourd, chargé des éclats de verre de nos vies brisées. Je reste immobile, la joue brûlante, les oreilles bourdonnantes de ses insultes.

Lucian me regarde, son visage est pâle, ses poings serrés sur les accoudoirs de son fauteuil.

— Elle a tort, Mara. Sur tous les points.

Je ferme les yeux. Les mots de Naëlle résonnent, se mêlent à ceux d'Elias. Tu as besoin de moi. Tu n'es rien. Un chœur de damnation.

Je me dirige vers la baie vitrée, celle par laquelle il nous observait la veille. Le jardin est vide. Paisible. Mais la paix a été violée.

Elias a quitté Naëlle. Il n'a plus rien qui le retienne. Plus aucune limite.

La gifle de ma sœur sur ma joue est une brûlure.

Mais la peur qu'Elias soit libre est une fournaise.

Je me retourne pour faire face à Lucian. Dans ses yeux, je vois l'amour, la détermination, mais aussi la terrible réalité de notre situation.

— Il va revenir, Lucian. Maintenant qu'il n'a plus de raison de se cacher.

Il me regarde, et dans le silence qui s'installe, je vois qu'il le sait aussi.

La bataille n'est plus imminente.

Elle est là.

Et nous sommes en première ligne.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 10 : Les Cicatrices de l'Aube

    MaraLe voisin, un homme d'un certain âge au regard compatissant, aide Lucian à reculer dans l'entrée. Je me relève et les suis, en fermant la porte derrière moi. Le bruit du monde extérieur s'éteint. Le silence de la maison nous enveloppe, différent de celui d'avant. Il n'est plus menaçant. Il est meurtri.Je me dirige machinalement vers la salle de bain. Je me regarde dans le miroir. Une étrangère me rend mon regard. Des cernes profondes, des cheveux en désordre, une joue rouge et gonflée, une petite coupure au coin des lèvres. Et dans les yeux... un vide. L'écho du pistolet contre ma tempe. La sensation du corps d'Elias, lourd et chaud, s'effondrant sur moi.Je fais couler l'eau, brûlante. Je me lave les mains, encore et encore, comme si je pouvais enlever la trace de son contact, l'odeur de la poudre et de la mort. Mais la saleté est incrustée sous ma peau, dans ma mémoire.Quand je ressors, Lucian m'attend dans le salon. Il a allumé une petite lampe. La lumière est douce, tamisée

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 9 : les cicatrices

    MaraLe canon appuie plus fort. Je ferme les yeux. Lucian. Je suis désolée.Soudain, un bruit nouveau.Une voix.Faible, distordue par le haut-parleur d'un téléphone posé à terre, mais parfaitement audible dans le silence tendu à breaking point.— Lâche. Ma. Femme.C'est la voix de Lucian.Calme. Froide. Imprégnée d'une autorité qui fige le sang dans mes veines.Elias se raidit, surpris.— Ton infirme... murmure-t-il, méprisant.— Je ne suis peut-être pas là, enchaîne la voix, sans élever le ton. Mais je vois tout. J'entends tout. Et je te promets une chose, Elias. Si tu lui fais du mal, je passerai le reste de ma vie, et chaque centime que je possède, à te pourchasser. Il n'y aura pas de prison assez profonde, pas d'asile assez sécurisé pour te protéger de moi. Tu vivras dans la peur. Comme tu as voulu qu'elle vive.La menace est d'autant plus terrifiante qu'elle est proférée avec une tranquillité absolue. Ce n'est pas une bravade. C'est une promesse.Elias hésite. La pression du can

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 8 : Le Choix

    MaraLe pistolet dans la main d'Elias semble absorber toute la lumière, devenant le point focal de cet enfer de béton. Naëlle sanglote doucement, prisonnière de son étreinte. Ses yeux me supplient, mais je ne sais pas si c'est pour mon aide ou mon pardon.— Lâche-la, Elias.Ma voix est plus ferme que je ne l'aurais cru. Le micro collé à ma peau me rappelle que Lucian écoute. Que je dois être forte pour nous deux.— Pourquoi ? répond-il avec une fausse candeur. Nous sommes une famille, non ? Une réunion de famille. Il est normal que les sœurs soient présentes.Il donne une petite secousse à Naëlle qui étouffe un cri.— Tu as amené des invités non invités, Mara. C'est impoli. Dis-leur de partir.Mon sang se glace. Il sait pour les policiers. Bien sûr qu'il le sait.— Je ne peux pas.— Alors les choses vont devenir... compliquées.Il soulève le pistolet, non plus vers le sol, mais pour le poser contre la tempe de Naëlle. Ses yeux se révulsent de terreur.— Sors ton téléphone, Mara. Appel

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 7 : Le Piège de Pierre

    MaraLa brûlure sur ma joue pulse au rythme affolé de mon cœur. Les mots de Naëlle tournent dans ma tête comme des frelons enragés. Fille effacée. Mariage par dépit. Infirme. Chaque insulte est un clou planté dans le cercueil de ma sérénité.Je me tiens face à la baie vitrée, mes doigts effleurant la vitre froide. Le jardin nocturne semble paisible, mais je sais que cette paix est un mensonge. Chaque ombre mouvante pourrait être lui. Chaque bruissement de feuille, son pas.— Elle a tort, Mara.La voix de Lucian est rauque, usée par la colère rentrée. Je ne me retourne pas. Je ne peux pas supporter de voir la vérité de nos limites dans ses yeux en ce moment.— Le sait-elle ? Sur le "dépit", peut-être. Sur le reste... Ses mots, Lucian... Ils ne sont pas sortis de nulle part. Ils sont le venin qu'Elias a distillé en elle.Je me retourne enfin. Il est pâle, ses mains serrent les accoudoirs de son fauteuil comme s'il pouvait, par la seule force de sa volonté, en extraire le pouvoir de se l

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 6 : La Brûlure

    MaraLa nuit a été une longue veillée funèbre. Chaque ombre dans la chambre prenait sa silhouette. Chaque craquement du parquet était son pas. Je me suis blottie contre Lucian, cherchant la chaleur rassurante de son corps, mais même dans ses bras, je sentais le froid d'Elias sur ma peau. Le petit caillou plat, strié de blanc, dansait derrière mes paupières closes. Un souvenir transformé en arme.Au petit matin, des agents de police sont venus. Polis, efficaces, désincarnés. Ils ont écouté mon récit, noté les détails de la voiture noire, de l'intrusion dans le jardin. Ils ont promis de patrouiller dans le quartier. Ils ont prononcé les mots "ordonnance d'interdiction" avec une routine qui m'a glacée. Pour eux, c'était un dossier. Pour moi, c'était ma vie qui se fissurait.Après leur départ, un silence de plomb s'est abattu sur la maison. Lucian était assis dans son fauteuil, le visage fermé. Je voyais la tension dans sa mâchoire, l'impuissance qui roidissait ses épaules. Il luttait con

  • L'obsession de Raphaël   Chapitre 5 : La Morsure du Passé

    MaraLa voiture noire me suit.Je l'ai vue dans le rétroviseur du taxi, deux points lumineux qui épousaient chacun de nos virages. Une présence obsédante, un rappel constant que mon répit était terminé. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour savoir qu'il est au volant. Je peux le sentir. Son ombre s'étire derrière moi, dévorant les rues, avalant la distance qui me sépare de chez moi.Chez moi. Le mot résonne faux. Ce n'est plus un sanctuaire. C'est juste l'endroit où la confrontation aura lieu.— Plus vite, s'il vous plaît, je murmure au chauffeur.Il hausse les épaules, indifférent. Le monde extérieur continue, ignorant du drame qui se joue dans ce minuscule habitacle. Je serre les poings sur mes genoux, mes ongles creusant des demi-lunes dans mes paumes. La sensation de ses doigts sur ma peau est toujours là, une brûlure fantôme. Tu as besoin de moi.Mensonge. C'est un poison. Un venin qu'il distille avec la maîtrise d'un serpent.Le taxi s'arrête enfin. Je paye précipitamment e

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status