SofiaJe n’ai pas encore retrouvé mon souffle que je la vois.Elle n’a pas besoin d’annoncer sa présence. Elle prend l’espace.Une vague rouge sang fend la foule.Chaque pas qu’elle fait résonne comme une gifle.Elle marche comme si le monde était un tapis déroulé pour ses talons.Grande. Élégante. Sublime.Ses cheveux noirs, relevés en un chignon à la fois flou et savamment étudié, laissent apparaître la nuque délicate qu’Elio a, peut-être, embrassée autrefois. Son dos nu scintille sous les lumières cruelles de la salle.Elle avance avec l’arrogance glaciale des femmes qui savent qu’elles plaisent.Et moi, je la regarde comme on observe une menace.Les murmures se propagent comme des étincelles.— Giulia Morelli.Le nom claque, glisse, se répète sur des lèvres avides.— L’ex.— La seule qu’il ait vraiment aimée.Ces mots me frappent comme des flèches.Mon dos reste droit, mais à l’intérieur… un grondement. Une bête prête à bondir.Elle ne me regarde même pas.Pour elle, je suis un ac
SofiaLa salle de réception n’est pas un lieu de fête.C’est une arène.Tout y respire le luxe outrancier : les lustres massifs, suspendus comme des soleils de verre, diffusent une lumière blanche et cruelle qui ne laisse aucune ombre où se cacher. Les tables, couvertes de nappes ivoire et d’assiettes de porcelaine, ressemblent à des autels dressés pour un sacrifice. Les roses écarlates, disposées en bouquets au centre, sentent presque le fer.Et moi, je suis le centre de ce tableau : la mariée , la proie.Je sens les regards me dévorer par vagues. Certains m’évaluent, d’autres me jugent, tous m’observent avec cette avidité malsaine qu’ont les gens lorsqu’ils pressentent un scandale prêt à éclater. Un sourire crispé s’étire sur mes lèvres, mais à l’intérieur, tout hurle.À côté de moi, Elio est impeccable. Costume taillé comme une seconde peau, épaules droites, posture assurée. Il sourit. Pas trop. Juste assez pour paraître détendu. Mais je sens la tension qui palpite sous cette surfa
SofiaQuand nous revenons dans la salle, le silence est une cloche de verre.Épais , étrange , presque irréel.Les conversations, étouffées, ont cessé. Seuls persistent les raclements de gorge mal à l’aise, les respirations nerveuses, les froissements de tissus précieux sur des sièges trop rigides.Ils nous regardent comme s’ils voyaient deux fantômes.Ou deux criminels , moi surtout.Le prêtre nous attend, immobile devant l’autel. Son visage est pâle, tendu, mais ses gestes restent précis. Il tente de retrouver le fil d’une cérémonie qui lui a échappé. Il redresse la voix comme on redresse un corps brisé.— Nous allons… reprendre, si vous le permettez, dit-il, posément, sans regarder personne.Derrière nous, la salle vibre de murmures mal contenus.— Ils l’ont forcée.— Elle a cédé.— Quel scandale…— Elle va se venger, c’est sûr.— Il l’a gagnée comme un trophée.— Ou volée comme un bijou.Mon dos est droit.Je ne frémis pas.Mais mon sang cogne dans mes veines comme des tambours so
SofiaLe mot « non » a coupé l’air comme une lame tranchante.Le silence est tombé, brutalement, figé, glacé.Comme un verre qu’on aurait brisé au ralenti.Chaque regard posé sur moi est une accusation muette.Un jugement.Un coup invisible.Je ressens leur choc, leur colère contenue, leur incompréhension aussi parce qu’aucune femme ne dit non à Elio. Pas ici. Pas comme ça. Pas devant le monde entier.Mais moi, je reste droite.Immobile.Sans ployer.Comme une arme cachée sous une peau fragile.Je sais que ce refus est un affront. Un défi lancé à un empire.Un empire construit sur la peur, la loyauté, le silence.Un empire qui ne tolère ni les déviations… ni les femmes debout.Je sais qu’ils ne vont pas me laisser faire.Je sens la tension dans la salle grimper comme une marée noire.Les invités qui se figent. Les visages qui se ferment. Les regards qui se détournent pour ne pas être pris dans le champ de l’explosion.Mais je ne flanche pas.Pas encore.ElioElle a dit « non ».Ce mot
SofiaTout est blanc, d’un blanc trop pur, trop lisse, trop contrôlé pour être honnête, comme si quelqu’un avait tenté d’effacer la moindre trace de sang, de peur ou de vérité sous une couche de perfection clinique, une chape glacée faite de satin, de nacre et d’orchidées déployées comme des excuses muettes.Le lit est vaste, recouvert d’une étoffe ivoire qui ondule jusqu’au sol comme une rivière figée dans le luxe ; les murs sont tendus de soie pâle, les rideaux tirés avec une précision militaire, et même l’air semble filtré, aseptisé, réduit à une présence invisible mais oppressive, comme si je respirais à travers une cage.Autour de moi, les femmes s’affairent.Elles parlent trop, leurs voix aiguës glissant sur ma peau sans y pénétrer, leurs mains expertes me touchent, me poudrent, m’habillent, me serrent, m’ajustent comme on prépare un objet de cérémonie, un artefact que l’on expose, que l’on sanctifie, que l’on condamne à briller même dans la souffrance.Et je les laisse faire, s
SofiaJe l’ai vue arriver.La styliste.Toute droite sortie d’un magazine glacé, le sourire figé, le carnet à la main, les bras chargés de tissus qui brillent comme des promesses empoisonnées. Elle sentait la vanille synthétique et la réussite vide, celle qu’on affiche comme un trophée sans jamais l’avoir réellement méritée.Elle m’a dit bonjour d’un ton trop gai, trop poli.Elle m’a appelée madame Elven.Et je n’ai pas corrigé.Pas besoin.Ce nom ne me colle pas à la peau. Il glisse.Comme s’il refusait lui aussi de m’enchaîner.Je me suis laissée faire, oui.Mais je n’étais pas passive.J’observais.Chaque tissu.Chaque mot.Chaque tentative de séduction déguisée en conseil.Elle m’a drapée de soie, m’a fait tourner face au miroir, a ajusté la lumière. Elle parlait de plis qui flattent, de tailles cintrées, de lignes épurées. Comme si tout cela avait encore un sens. Comme si j’étais là pour briller.Mais je ne suis pas là pour être belle.Je suis là pour survivre.Je me suis regardé