SofiaIl me soulève sans effort.Je pousse un petit cri contre sa bouche, que son baiser vient étouffer aussitôt.Mes jambes s’enroulent autour de sa taille.Mes bras autour de sa nuque.Et tout en marchant, tout en montant les escaliers d’un pas ferme, sans jamais me lâcher, il m’embrasse. Encore. Encore.Sa bouche sur la mienne, puis sur ma joue, ma gorge, mon épaule dénudée.Et mes doigts s’agrippent à lui comme si je tombais déjà.Chaque marche résonne.Chaque pas est un coup de tonnerre dans le silence.Je sens les murs frôler ma peau.Je sens son souffle, fiévreux, contre ma clavicule.Je sens le monde basculer, pierre après pierre, désir après désir.— Tu trembles, murmure-t-il contre ma joue.— Tais-toi, soufflé-je, presque suppliante.— Tu veux que je te fasse taire ?Je ne réponds pas.Je l’embrasse à nouveau. Sauvagement. Comme si ma bouche était le seul langage encore valide.Et il me serre plus fort.Il ouvre la porte de sa chambre d’un coup d’épaule.Elle claque derrière
SofiaLes couverts sont trop lourds.Les verres trop limpides.Les chandeliers projettent sur la nappe blanche des ombres trop parfaites, comme si le décor tout entier conspirait à étouffer ce que je ressens.Tout ici est trop contrôlé, trop lisse, trop lui , Elio , tout est à son image ici . Il aime tout contrôler et ça se voit .Le silence s’étire. Pas un silence gêné. Non.Un silence stratégique.Un silence où chaque battement de cœur est un aveu que l’on refuse de signer.Il me regarde.Je le sens, même quand je baisse les yeux sur mon assiette. Je pourrais décrire la tension précise dans ses épaules, la lenteur calculée de ses gestes, l’angle avec lequel il tient sa fourchette, comme s’il livrait un duel invisible.Je sens son regard comme un toucher. Et ça me brûle.Je mâche sans faim.Le poisson est parfaitement cuit.Mais chaque bouchée est une agression. J’avale sans goût, avec ce nœud au fond de la gorge qu’aucune eau ne dissout.Je bois une gorgée. Une autre.L’eau est glac
ElioLe soleil descend lentement sur l’enceinte, teintant les murs de pierre d’un or fatigué.Il est dix-neuf heures passées.Elle n’a pas bougé.Je le sais parce que tout ici me revient : les images, les rapports, les silences. Le majordome m’a laissé un mot discret à côté de mon bureau. Toujours dans sa chambre. Il a cessé de proposer des plateaux depuis midi. Elle n’ouvre même plus sa porte.Elle a verrouillé son monde. Et elle y vit sans moi.Je rentre au domaine après avoir passé l’après-midi à faire le tour de mes points d’ancrage : la librairie, le parc, un appel à Hong Kong, un échange codé avec Milan. J’ai réglé deux problèmes, détruit une alliance, sauvé un contrat.Mais elle… elle reste la seule variable que je ne peux ni acheter, ni menacer efficacement.Elle est ce que j’ai toujours refusé d’admettre : un point fixe en dehors de mes lois.Et ça me ronge.J’entre dans ma salle de bain. L’eau coule chaude, comme une lame qui s’adoucit. Je retire ma chemise, mes gants, mes c
ElioLe thé fume dans sa tasse.Je ne bois jamais rien de chaud au réveil. Je préfère les chiffres glacés, les ordres tranchants, les agendas sans faille. Mais aujourd’hui, je laisse le liquide brûlant mordre mes lèvres, juste pour me rappeler ce qu’est la douleur maîtrisée.Le majordome entre, parfaitement à l’heure. Il incline à peine la tête.— Elle est réveillée, Monsieur. Nous avons entendu du mouvement.Je ne tourne pas la tête.— Dis-lui de venir.— Pour le petit-déjeuner, Monsieur ?— Oui , dans dix minutes , pas plus.Il s’incline de nouveau et disparaît dans un silence précieux. Je l’ai formé ainsi. Comme tous les autres ici : lisses, efficaces, sans émotion. Dans cette maison, on ne sert pas. On obéit.Je l’attends.Je fixe la chaise en face de moi. Vide.Elle est toujours vide.Neuf minutes.Je croque dans une tartine sans faim. J'attends pendant dix minutes, puis dix-sept minutes, mais elle ne descend toujours pas.SofiaJe suis dans ma chambre, plongée dans un livre avec
ElioLe claquement de mes chaussures sur le marbre est une promesse.Tranchant. Régulier. Froid.Comme un cœur dressé à battre pour la domination.Chaque pas mesure ma place dans ce monde : au sommet. Chaque regard fuyant me rappelle que tout ici se plie à ma volonté. La peur est un langage universel ; je parle couramment.« Où est Calderone ? » demandé-je sans ralentir.Le majordome presse le pas derrière moi, toujours une longueur d’écart. Il ne me dépasse jamais. Il sait ce que cela coûterait.— Dans le salon Est, Monsieur. Il vous attend depuis l’aube.Parfait.Les portes s’ouvrent sur un homme déjà trempé de sueur dans son costume de marque. Trop serré pour sa lâcheté. Trop cher pour sa valeur réelle. Il se lève, tend une main que je n’attrape pas. Je m’assieds. Il hésite, puis m’imite, nerveux.Je ne dis rien.Je le regarde s’effondrer de l’intérieur.« Tu devais livrer les caisses hier. »Il avale péniblement.— Il y a eu… un contretemps. Les douaniers… on n’a pas eu le temps d
Sofia Après avoir raccroché, je suis restée là. Immobile.Le téléphone contre ma poitrine. Le cœur qui cogne trop fort, trop vite, comme s’il cherchait à combler un vide que je ne peux plus ignorer. Comme s’il cherchait désespérément un point d’ancrage dans cette maison qui n’est pas la mienne. Qui ne l’a jamais été.Le silence ici est feutré, presque majestueux. Tout est trop lisse, trop bien huilé, comme si chaque objet avait été posé avec la précision d’un architecte maniaque. Une symétrie froide. Une perfection sans chaleur.Il n’est pas là. Et je le sens.Son absence n’est pas seulement un manque, c’est un soulagement coupable. Un espace dans l’air que je peux enfin habiter sans craindre de le déranger. Sans devoir anticiper ses humeurs ou ses silences.Je me lève lentement du fauteuil en cuir. Même mes gestes me semblent étrangers ici. Chaque meuble coûte probablement plus que mon ancien appartement entier. Tout respire la puissance. Le contrôle. L’autorité d’un homme qui n’a