ログインLilith
La porte est restée ouverte. Cain n’a pas franchi le seuil. Il s’est contenté de me regarder, son sourire torve planté comme une lame dans la pénombre. Son regard a parcouru mon corps recroquevillé, s’attardant sur la courbe de ma hanche, sur la peau nue de ma cheville dépassant des draps. Un frisson primal, plus froid que la peur, m’a traversée. Ce n’était pas de la convoitise. C’était de l’appétit.
Puis, sans un mot, il a reculé et a refermé la porte. Le cliquetis de la serrure a résonné comme un coup de feu dans le silence. Je suis restée pétrifiée, à écouter son pas lourd s’éloigner dans le couloir. Le soulagement a été si violent que des sanglots secs m’ont secouée. Je me suis mordue la main pour étouffer les sons, le goût du sang et du sel mélangés sur ma langue.
Je ne me souviens pas m’être endormie. L’épuisement a dû submerger la terreur.
Quelques heures plus tard, un bruit différent me réveille en sursaut. Un grattement léger, puis l’entrebaîllement de la porte. Une femme d’un certain âge, au visage sévère et aux cheveux gris tirés en un chignon sévère, entre. Elle porte une robe simple et un tablier. Elle ne me regarde pas. Elle dépose un plateau sur la table de chevet.
— Pour le petit-déjeuner, énonce-t-elle d’une voix neutre, sans inflexion. Monsieur Damian vous attend dans la bibliothèque dans une heure.
Elle repart aussi silencieusement qu’elle est entrée, verrouillant la porte derrière elle.
Je me traîne jusqu’au plateau. Du thé, une tranche de pain sec. La nourriture a un goût de cendre. Mon estomac se noue, mais je mange et bois par réflexe de survie. Dans une heure. Les mots tournent dans ma tête, telles des mouches piégées. Qu’attend-il de moi ? Quelle nouvelle épreuve ?
Je me lave rapidement dans la salle de bain attenante, l’eau glacée me mordant la peau. Je n’ai pas d’autres vêtements que ceux que je portais lors de mon enlèvement, une simple robe en coton. Elle est froissée et sale. Je la remets, sentant l’odeur de la peur et du coffre de la voiture qui y est imprégnée.
L’heure passe trop vite. La femme , la gouvernante, je suppose , revient me chercher. Elle me conduit à travers un dédale de couloirs somptueux et glacials. Des tapisseries d’un autre siècle représentent des scènes de chasse, du sang sur la neige. Des armures vides se tiennent en sentinelles, leurs visières obscures semblant me suivre du regard.
La bibliothèque est une caverne immense. Des murs entiers recouverts de livres reliés de cuir, montant jusqu’à un plafond voûté. L’odeur de la cire et du vieux papier devrait être réconfortante. Elle est étouffante.
Damian est là, debout près d’une cheminée de marbre où un feu crépite, mais ne semble émettre aucune chaleur. Il est encore plus imposant en pleine lumière. Il tourne les pages d’un livre ancien, indifférent à ma présence.
Cain est assis dans un profond fauteuil de cuir, une jambe négligemment croisée sur le genou de l’autre. Il a l’air de s’ennuyer, mais ses yeux, eux, sont vivaces, parcourant la pièce avant de se poser sur moi avec une intensité dérangeante.
— Approchez, Lilith, dit Damian sans lever les yeux de son livre.
Ma gorge est serrée. Je m’avance de quelques pas, mes pieds nus sur le tapis persan épais. Je me sens minuscule, transparente.
Il referme enfin son livre avec un claquement sec.
— Votre éducation commence maintenant. La première leçon : l’obéissance. Une obéissance absolue, immédiate, sans question.
Il pose le livre sur le manteau de la cheminée et se tourne vers moi.
— Ici, vous ne possédez rien. Pas même votre nom. Vous êtes à moi. Comprenez-vous ?
Je hoche la tête, incapable de parler.
— Répondez, ordonne-t-il, la voix toujours calme.
— Oui, je parviens à souffler.
— Oui, qui ?
Un frisson me parcourt.
— Oui… Monsieur Damian.
Un grognement approbateur, mais moqueur, vient du fauteuil de Cain.
— Elle apprend vite, on dirait.
Damian ignore son commentaire. Ses yeux gris se plantent dans les miens.
— Très bien. Montrez-moi. Agenouillez-vous.
Le sol se dérobe sous moi. M’agenouiller ? Ici, devant eux ? L’humiliation brûle mes joues.
— Je… je…
— Maintenant, Lilith.
Sa voix n’a pas changé de ton, mais la menace est palpable, plus forte qu’un cri. Je regarde son visage impitoyable, puis le sourire narquois de Cain. Je ferme les yeux un instant, un flot de honte submergeant la révolte. Ma survie est à ce prix.
Je plie les genoux. Le contact du tapis est rude sous ma peau. Je baisse la tête, fixant les motifs complexes du tapis, les larmes de rage et d’impuissance me piquant les yeux.
— Bien, murmure Damian.
Je l’entends s’approcher. Ses chaussures noires et luisantes s’arrêtent devant moi. Je ne lève pas les yeux.
— Regardez-moi.
J’obéis. Son regard est une tempête grise et froide.
— La prochaine fois que vous hésiterez, la punition sera douloureuse. Pour vous. Et si Cain ou moi estimons que vous cherchez à attirer l’attention de l’autre, la punition le sera aussi. Votre souffrance est le ciment de l’ordre dans cette maison. Est-ce clair ?
Je hoche la tête, un sanglot coincé dans ma gorge.
— Répondez.
— Oui, Monsieur Damian.
Il fait un pas de côté, me désignant à Cain.
— Tu vois ? Elle peut être dressée.
Cain se lève de son fauteuil et vient se placer à côté de Damian, les dominant tous les deux de sa carrure.
— J’aime quand elles sont à genoux, dit-il, la voix basse et rauque. Mais je préfère quand elles se débattent.
Son regard déshabille le peu de dignité qui me reste. Je suis à genoux, offerte, entre les deux hommes. Le froid calculateur et le feu sauvage. Je sens le poids de leur double désir, de leur double jalousie, peser sur moi comme une pierre tombale.
La leçon est terminée. Je suis à eux. Et cette première humiliation n’est que le prélude de tout ce qui va suivre.
LilithLe jour se lève, gris et indifférent. Je me lève, le corps lourd, l'esprit engourdi. La nuit avec Cain m'a laissée changée. Quelque chose s'est brisé à l'intérieur, et à la place, il ne reste qu'une froide acceptation. Je suis sa propriété. La chose de Cain. L'idée, autrefois insupportable, est devenue un fait, une vérité biologique aussi réelle que la cicatrice sur mon bras.Mme Arlette entre avec le petit-déjeuner. Son regard, habituellement vide, s'attarde une fraction de seconde sur moi. Y voit-elle la différence ? La marque invisible que Cain a laissée ? Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard, même le sien.Damian me convoque dans son bureau plus tôt que d'habitude. Il est debout devant la grande fenêtre, contemplant les jardins. Il se retourne à mon entrée. Ses yeux gris me scrutent, analysant, évaluant. Il voit tout. Il doit voir l'empreinte de Cain sur moi, l'ombre qui s'est étendue dans mon âme.— Vous avez l'air fatiguée, Lilith, observe-t-il, sa voix ne
LilithLa nuit est épaisse, sans lune. Le manoir semble retenir son souffle, chaque craquement amplifié par le silence oppressant. Je suis allongée dans l'obscurité, les yeux grands ouverts, sachant que ma déclaration à Damian lui a donné une permission tacite. Une invitation. L'attente est devenue une torture en soi, un compte à rebours vers une violation inévitable.La clé tourne dans la serrure. Le son est terriblement familier maintenant. Mon corps se tend, chaque muscle se préparant à l'assaut. La porte s'ouvre, et sa silhouette massive obstrue la lumière du couloir avant de refermer le monde derrière lui.Cain. Il ne sent pas le whisky ce soir. Il sent le propre, le savon, et une détermination froide qui est bien plus effrayante que sa fureur habituelle. Il se tient là un moment, laissant mes yeux s'habituer à sa présence dans la pénombre.— Tu m'attendais, hein ? sa voix est basse, un murmure rauque qui caresse l'air.Je ne réponds pas. Je ne peux pas. Ma gorge est nouée.Il s'
LilithLes jours qui suivent se fondent en une succession de moments étouffants, chacun pesant un peu plus lourd sur mes épaules. Je vis dans un état d'hypervigilance constant, chaque nerf à vif. La gouvernante, dont j'ai appris qu'elle se nomme Mme Arlette, est un spectre silencieux qui apporte mes repas, nettoie ma chambre et m'accompagne lorsque Damian l'exige. Elle est un prolongement du manoir, aussi froid et impersonnel que les murs de pierre.Damian me convoque dans son bureau, une pièce sombre tapissée de livres de droit et de comptabilité. Il m'observe travailler sur des dossiers, corriger des lettres, apprendre les rouages de son empire. C'est une torture raffinée. Utiliser mon esprit, ce qui me reste de plus personnel, pour servir celui qui me détruit. Il me parle peu, se contentant de donner des ordres brefs. Son regard, cependant, ne me quitte jamais. Il étudie mes réactions, mes silences, la façon dont mes doigts tremblent parfois sur le clavier. Il cartographie mon âme,
LilithLe contrat. Ses mots dansent devant mes yeux, gravés au fer rouge dans ma mémoire bien après que la gouvernante l'ait ramassé et soit sortie, me laissant seule avec Cain. Garantie. Intérêts. Douloureux. Chaque terme est un crochet enfoncé dans ma chair, me reliant à Leo, où qu'il soit. Une laisse invisible, mais dont la traction pourrait lui briser la nuque.Cain n'a pas bougé. Il est adossé au chambranle de la porte, les bras croisés, me dévisageant avec une intensité nouvelle. Ce n'est plus la colère brute de tout à l'heure. C'est quelque chose de plus calculé, de plus pervers. La révélation du contrat a changé la donne. Pour lui, pour moi. Pour tout.— Alors comme ça, petite oiseau, commence-t-il, sa voix un ronronnement rauque, ton frère est la clé de ta cage. Intéressant.Je ne réponds pas. Je reste à genoux, le regard fixé sur la place où le document était posé. Si je ne bouge pas, si je ne respire pas, peut-être que le sol va m'engloutir.— Tu sais, poursuit-il en se pou
LilithLa lumière de l'aube filtre à travers les barreaux de la fenêtre, dessinant des lignes pâles et tristes sur le sol. Je n'ai pas dormi. Mes yeux sont secs et brûlants, mes membres lourds comme du plomb. L'angoisse de la nuit, le souvenir des grattements et de cette respiration de l'autre côté de la porte, sont encore ancrés dans ma chair, plus tenaces que la douleur de ma blessure.Comme un automate, je me lève lorsque la gouvernante entre avec le plateau du petit-déjeuner. Son regard glisse vers mon bras, où la coupure de Cain a séché en une traînée rouge et noire, mais son expression ne change pas. Elle dépose le plateau.—Monsieur Damian vous attend dans la salle à manger dans trente minutes, annonce-t-elle de sa voix monocorde. Il exige que vous soyez présentable.Présentable. Le mot résonne amèrement dans mon esprit vide. Comment être présentable quand on vous a volé votre âme ?Je me lave rapidement, l'eau froide ravivant la douleur de ma blessure. Je n'ai rien d'autre à m
LilithLe sang a fini par coaguler, formant un lacis noirâtre et douloureux sur ma peau. Personne n'est venu panser la blessure. Personne n'a prononcé un mot de réconfort. La gouvernante m'a jeté un regard vide en apportant le dîner , une assiette de soupe froide et un morceau de pain , puis est repartie sans un bruit. La solitude dans cette chambre est pire que tout. C'est un silence qui pèse, qui étouffe, peuplé des échos de leurs voix et du souvenir de la lame sur ma chair.La nuit est tombée, drapant le manoir dans une obscurité épaisse. Les murs semblent se resserrer, les ombres s'animer. Je reste assise sur le lit, le dos contre la tête de lit en bois sculpté, les genoux remontés contre ma poitrine. Je serre mon bras blessé contre moi. Chaque pulsation douloureuse est un rappel : je ne suis plus humaine. Je suis une chose. Une propriété endommagée.Un bruit.Subtil. Presque imperceptible. Ce n'est pas le pas lourd de Cain, ni la démarche assurée de Damian. C'est un frottement. C







