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Chapitre 4 : Le Festin des Corbeaux

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-12-02 20:50:51

Lilith

La position à genoux est devenue une brûlure, une crampe aiguë dans chaque muscle de mes jambes. Le tapis, d’abord rude, est maintenant une surface de torture, imprimant ses motifs sur ma peau. Je n’ose pas bouger. Je n’ose même pas respirer trop fort. Leurs regards sont des fouets silencieux qui cingent ma nuque baissée.

Damian tourne autour de moi, un prédateur évoluant autour de sa proie immobilisée. Son ombre me frôle, portant le froid de sa présence.

— La soumission n’est pas qu’un acte, Lilith. C’est un état d’esprit. Elle doit être totale. Elle doit venir de l’intérieur.

Sa main effleure mes cheveux, un geste presque paternel qui me glace le sang. Je frissonne, incapable de réprimer cette réaction traîtresse de mon corps.

— Elle frémit, observe Cain, toujours planté devant moi. Comme un petit oiseau. Tu crois qu’elle chantera si on lui serre un peu trop les côtes ?

— La patience, Cain, réplique Damian, sa main quittant mes cheveux. Toute chose en son temps.

Il s’arrête à nouveau face à moi. Je garde les yeux baissés, fixant ses chaussures.

— Levez les yeux, Lilith. Regardez-moi.

J’obéis. Son visage est un masque de pierre. Mais quelque chose brille dans ses yeux gris. Une curiosité clinique, comme s’il étudiait les réactions d’un insecte rare qu’il aurait épinglé.

— Maintenant, regardez Cain.

Mon cou semble rouillé. Je tourne la tête, lentement, pour affronter le regard de braise de Cain. Il sourit, un éclair de dents blanches dans son visage basané. Son plaisir est palpable, obscène.

— Bien, poursuit Damian. Vous êtes le point de convergence. Le lien. Vous voyez comme nous sommes différents, Cain et moi ?

Je ne réponds pas, paralysée.

— Répondez.

— Oui, Monsieur Damian.

— En quoi ?

La question est un piège. Je le sens. Quel que soit ma réponse, elle sera utilisée contre moi. Contre nous.

— Il… vous êtes plus calme, bredouillé-je. Lui est plus… impulsif.

Cain éclate d’un rire bref.

— « Impulsif ». J’aime bien. C’est plus joli que « brutal ».

— Taisez-vous, Cain, ordonne Damian sans élever la voix. Puis, à mon intention : Continuez.

— Vous… vous utilisez les mots. Lui… il utilise ses mains.

Les mots s’échappent de moi, faibles, pitoyables.

Damian hoche la tête, semblant satisfait.

— Exact. Mais nous voulons la même chose. Nous. Vous. La différence, c’est que je veux briser votre volonté. Lui veut briser votre corps. C’est là que réside notre conflit. Et votre souffrance.

Il se penche soudain, son visage si proche du mien que je peux compter les cils qui bordent ses yeux froids.

— Mais il y a une autre différence, Lilith. Une que vous devez comprendre. Je suis le maître ici. Cain… est un invité. Un invité dont les privilèges peuvent être révoqués.

Le silence qui suit est plus lourd qu’un coup. Je sens la tension entre eux se tendre comme un câble d’acier. Cain a raidi sa posture, son sourire a disparu.

— Tu exagères, Damian, gronde-t-il, la voix soudainement sourde.

— Est-ce le cas ? rétorque Damian en se redressant, lui tournant le dos pour regarder le feu. Tu es ici parce que je le permets. N’oublie jamais qui détient le contrat. Qui détient la dette.

Je reste à genoux, le cœur battant la chamade, spectatrice impuissante de cette lutte de pouvoir dont je suis l’enjeu invisible. La jalousie de Cain n’est pas seulement pour moi. Elle est pour l’autorité de Damian. Pour son pouvoir.

— Lève-toi, ordonne soudain Damian sans se retourner.

La surprise me fait perdre l’équilibre. Je titube en me mettant debout, les jambes engourdies et douloureuses.

— Approche-toi de la cheminée.

Je m’exécute, traînant mes pieds meurtris. La chaleur du feu, bien que faible, me brûle la peau après le froid du sol.

— Tend ton bras.

Une terreur nouvelle, plus viscérale, m’envahit. 

— Pourquoi ? La question m’échappe, pleine de panique.

Damian se retourne. Son regard est dangereux.

— Je ne vous ai pas posé de question. Tend. Ton. Bras.

Les larmes recommencent à couler, silencieuses. Je tends mon bras gauche, tremblant de tous mes membres.

Il attrape mon poignet d’une poigne de fer. Ce n’est pas une prise humaine. C’est un étau.

— Cain, appelle-t-il. Viens ici.

Cain s’approche, l’air à la fois méfiant et excité. La proximité des deux hommes me donne des vertiges.

— Tu vois cette peau ? dit Damian en caressant l’intérieur de mon bras de son autre main, un geste horriblement intime. Si pure. Si intacte. Elle porte notre marque, à présent. La marque de notre conflit. Mais il n’y a rien de visible.

Il lève les yeux vers Cain.

— Montre-lui. Montre-lui ce qui arrive quand ta jalousie dépasse les bornes. Quand tu oublies ta place.

Cain me regarde, puis regarde Damian. Une compréhension malsaine passe entre eux. Il sort un couteau de sa poche. Une lame courte, épaisse, terrifiante.

Un cri se bloque dans ma gorge. Je me débat, mais la main de Damian est inébranlable.

— Non ! S’il vous plaît !

— Chut, fait Damian à mon oreille, sa bouche si proche. C’est une leçon. Pour vous deux.

Cain saisit mon avant-bras. Sa main est brûlante, moite. Il appuie la pointe de la lame contre ma peau, juste en dessous du coude. La pression augmente. Une piqûre aiguë, puis une brûlure qui s’étend. Je hurle, un son strident et animal, tandis qu’il entaille ma chair, lentement, délibérément, traçant un sillon peu profond mais atrocement douloureux.

Le sang perle, puis coule, chaud et rouge sur ma peau pâle.

Cain relâche mon bras, son souffle est court, ses yeux brillent d’une excitation sombre.

Damian lâche mon poignet à son tour. Je recule en chancelant, serrant ma blessure qui pulse à chaque battement de mon cœur.

— Regardez, Lilith, dit Damian, impassible. Regardez cette cicatrice. C’est la marque de la jalousie de Cain. La prochaine fois que l’un de vous deux oubliera les règles, la marque sera plus profonde. Plus permanente.

Il se tourne vers Cain.

— Et toi, souviens-toi. C’est ma main qui a permis que cela arrive. C’est moi qui contrôle la souffrance ici.

Je me tasse contre le mur, le sang coulant entre mes doigts, le corps secoué de sanglots silencieux. Je les regarde, les deux corbeaux se disputant la charogne que je suis devenue. La leçon est terminée. Ils m’ont marquée. Ils ont gravé leur guerre dans ma chair. Et je sais, avec une certitude absolue, que ce n’est que le début.

La douleur est vive, cuisante. Mais la terreur qui l’accompagne, la compréhension de la dynamique monstrueuse dans laquelle je suis piégée, est infiniment pire. Je suis leur jouet. Leur trophée. Et le champ de bataille de leur jalousie fratricide.

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