Marco
Claire, elle, s’efforce de rester calme, de maintenir un semblant de normalité pour Emma. Mais je lis l’inquiétude dans ses yeux. À chaque conversation, ses sourires deviennent forcés, ses gestes précipités. Elle sait que quelque chose va changer. Mais elle ignore encore l’ampleur de la tempête.
Je sais que je dois trouver une solution. Que je dois agir. Mais au fond de moi, je sens que ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas seulement une question d’argent ou de travail. C’est une question de confiance. De ma capacité à protéger ma famille, à les soutenir dans ces moments difficiles. Et plus le temps passe, plus je m’enfonce dans une spirale dont je ne sais pas comment sortir.
Le moment fatidique approche. La décision que j’ai toujours redoutée semble inévitable. Et je n’ai aucune idée de comment y faire face.
Je me lève en silence, la lumière du matin peine à traverser les rideaux de mon petit appartement. Éveillé, mais pas reposé. Je n’ai presque pas dormi cette nuit. Mes pensées tourbillonnent dans ma tête, se heurtent sans cesse, se perdent dans un abîme de doutes et de frustration. Les derniers mois sont une succession de déceptions. Perdre mon emploi il y a six semaines a été un coup dur, mais ce qui m’effraie, c’est la lenteur du temps. Rien n’avance. Les entretiens se succèdent, mais aucune offre concrète ne vient. Chaque matin, je me lève, m’habille comme si j’allais travailler, mais je passe mes journées à attendre, à tourner en rond dans cet appartement vide, chaque heure s’étirant comme un écho de ma propre inutilité.
Claire m’encourage à continuer à chercher, à garder espoir, mais elle ne comprend pas ce que je ressens. Elle a un travail, un salaire stable, un quotidien sans heurts. Elle n’est pas là, dans ce vide que j’essaie de remplir. Tout ce que j’ai bâti semble s’effondrer, et plus le temps passe, plus je m’éloigne de l’homme que j’étais.
Je prends mon café, noir et amer, sentant mes mains trembler légèrement. Je ferme les yeux, inspire profondément, cherchant à calmer la colère qui monte. Je me hais, je déteste être ici. Ce n’est pas moi. Je ne suis pas cet homme qui attend, qui se laisse couler dans l’indifférence de sa propre défaite. Mais à cet instant précis, je suis lui.
Le téléphone vibre sur la table en bois, interrompant mes pensées. Je sursaute. Un numéro inconnu. Probablement un autre recruteur. Un appel qui finira comme les autres : frustration et rejet. Pourtant, une petite voix en moi espère. Peut-être que cette fois sera différente. Peut-être qu’une chance inattendue se présente.
Je décroche, la voix hésitante :
— Allô ?
— Bonjour, Marco, c’est Emilie de l’agence Élégance Privée. Nous avons vu votre profil et pensons qu’il pourrait correspondre parfaitement à ce que recherchent nos clientes. Vous avez un potentiel inexploité, Marco.
Je reste figé. Potentiel inexploité ? Ces mots frappent comme un éclair. Je passe une main dans mes cheveux, cherchant à comprendre où cette conversation me mène. Sa voix, douce mais autoritaire, semble connaître mes failles. Elle sait exactement quoi dire pour semer doute, hésitation, et même désir enfoui.
— Je ne suis pas sûr de comprendre… Quel type de service proposez-vous ?
— C’est simple. Nous gérons une agence d’escorte haut de gamme. Vous seriez un excellent ajout à notre équipe. Vous avez l’apparence, le charisme, et surtout le type de profil que nos clientes adorent. Vous pourriez travailler quand vous voulez, choisir vos horaires, et être payé pour chaque rencontre.
Je ne sais pas quoi dire. Le silence pèse. Une escorte ? Moi ? Absurd… et pourtant… je pense à mes entretiens ratés, chaque refus, chaque porte fermée. Une vague de désespoir m’envahit. Peut-être que ce n’est pas la solution idéale, mais c’est peut-être la seule. Peut-être que je dois envisager cette offre, malgré tout.
Je me force à poser la question qui me brûle les lèvres, même si elle risque de briser mes principes :
— Est-ce que… ce travail est légal ?
— Absolument. Nous opérons dans les règles, la discrétion est primordiale. Nous avons une clientèle exigeante, et vous pourriez faire une carrière très lucrative dans ce domaine.
Je me lève brusquement, les jambes vacillant sous l’onde de choc. Je m’approche de la fenêtre, fixant le monde extérieur, mon cœur battant fort. Je pense à Claire, à Emma, ma fille. Elles vivent encore dans l’innocence, loin de cette réalité. Et moi, ici, je dois choisir. Choisir entre rester fidèle à ce que j’étais ou saisir une opportunité qui peut tout changer.
— Je vais y réfléchir, Emilie, dis-je finalement, en raccrochant.
Je repose le téléphone sur la table, l’esprit en ébullition. Je suis à un carrefour de ma vie. Un choix à faire, un choix qui risque de me transformer à jamais. D’un côté, la dignité, ma famille, la fierté de rester l’homme que j’ai toujours été. De l’autre, la tentation d’une vie plus facile, plus luxueuse, mais à quel prix ?
Le bruit de la porte d’entrée me fait sursauter. Claire rentre. Elle enlève sa veste et se dirige vers la cuisine, jetant un coup d’œil furtif dans ma direction. Ses yeux se posent sur moi, et je sens qu’elle devine quelque chose. Un malaise flotte dans l’air.
— Tu vas bien ? demande-t-elle, le ton un peu trop perçant, comme si elle savait que quelque chose cloche.
Je me force à sourire, masquant l’angoisse qui m’étouffe. Je ne veux pas qu’elle voie la lutte qui se déroule en moi, qu’elle sache à quel point je suis prêt à tout pour sortir de ce gouffre. Mais une autre partie de moi sait que je mens, et ça me déchire.
— Oui… ça va. J’ai juste beaucoup à réfléchir.
MarcoJe reste immobile devant le grand miroir de la chambre, comme si je cherchais à me convaincre moi-même. Le reflet me renvoie l’image d’un homme qui n’est plus vraiment moi. Le costume sombre épouse ma carrure, mes cheveux soigneusement coiffés brillent sous la lumière tamisée, et mes traits paraissent plus durs qu’avant, comme si ce métier avait déjà creusé des lignes invisibles sur mon visage.Je me force à sourire à mon reflet, mais ce sourire n’a rien de naturel. C’est un masque. Une promesse silencieuse : je suis l’homme que tu attends.La poignée de la porte tourne. Mon cœur accélère. Je redresse les épaules, le souffle suspendu.Elle entre.Et aussitôt, la pièce change de dimension.Ses longs cheveux noirs glissent sur ses épaules comme une rivière nocturne. Sa robe rouge, ajustée à la perfection, semble faite pour embraser le regard. Ses talons claquent doucement sur le sol, chaque pas résonne comme une provocation. Elle ne baisse pas les yeux. Elle me jauge.— Marco ?Sa
MarcoLes jours suivants, je me laisse happer par le rythme effréné de ce nouveau travail, comme si je n’avais plus vraiment le choix. Chaque mission m’engloutit un peu plus, chaque rencontre m’entraîne dans cette existence parallèle où les règles sont simples, presque brutales : l’argent contre ma présence, le corps contre la chaleur d’un regard ou d’un sourire. Et plus le temps passe, plus je deviens habile, plus je m’installe dans ce rôle. C’est comme si mon corps avait appris par cœur la chorégraphie de ce métier. Je souris au bon moment, je pose ma main avec la juste douceur, je retiens mes silences comme des promesses. J’apprends à être ce que les autres attendent de moi.Et je deviens bon. Trop bon.Chaque contrat m’offre une somme qui aurait pu bouleverser ma vie d’autrefois, mais qui maintenant ne me paraît plus qu’une suite de chiffres sans saveur. L’argent s’accumule, abstrait, irréel, et pourtant je continue à le poursuivre comme un drogué court après sa dose.Pendant ce t
MARCOLes jours qui suivent ne sont qu’un tumulte. Je vis dans un tourbillon de contradictions. D’un côté, Claire. Ses yeux qui fouillent les miens, ses silences lourds, ses questions auxquelles je ne sais plus répondre. Elle m’attend, elle m’espionne presque, espérant que je lui donne une bribe de vérité. Et de l’autre… ce monde parallèle. Une vie où l’argent coule à flots, où les désirs des autres deviennent ma réalité, où chaque mission me rapproche d’un luxe que je n’aurais jamais cru possible.Mais à quel prix ?Chaque geste quotidien devient une torture. Le matin, je croise Claire dans la cuisine. Ses doigts serrent une tasse de café, son regard se détourne de moi comme si j’étais déjà absent. Je veux lui parler, mais les mots s’étouffent dans ma gorge. Alors je fuis. Je prétexte un rendez-vous, une urgence. Et elle reste là, seule, dans la lumière pâle du jour qui se lève.Ce matin-là, je finis une nouvelle fois par m’échapper. Je me retrouve dans ma voiture, garé à un feu roug
MARCOQuand je rentre chez moi ce soir-là, une lourde sensation de vide m’envahit. La porte de l’appartement est toujours la même, la poignée froide sous ma main, le parquet légèrement grinçant dans l’entrée. Le hall a l’odeur familière du café du matin, un mélange de lessive et de chaleur domestique. Tout semble… normal. Trop normal. Comme une scène de théâtre parfaitement en place.Mais moi, je sais que c’est faux. Rien n’est normal. Rien.Ce que je viens de vivre, cette transformation, ce masque que j’ai porté… ça m’écrase. Chaque détail de ma vie d’avant me paraît fade, insignifiant, presque grotesque. Le canapé, les cadres aux murs, les jouets de ma fille encore éparpillés près du salon… ce sont des vestiges d’une existence qui ne m’appartient plus vraiment.Je n’ai même pas franchi le seuil du couloir que sa voix fend l’air. Claire.— Alors, comment s’est passée ta journée ?Elle m’appelle depuis la cuisine. Sa voix est claire, familière. Une voix qui m’a longtemps rassuré. Mais
MARCOJe me réveille tôt, les mains moites, le cœur battant trop vite. Pas une minute de sommeil. Mes pensées ont tourné en rond toute la nuit, oppressantes, insupportables. Le café que je prépare ne fait rien pour calmer l’angoisse qui me colle à la gorge. Mes doigts tremblent autour de la tasse.Le téléphone vibre. Je sursaute. Un message de Claudia. Trois phrases sèches, tranchantes. Ce soir. Première cliente. Hôtel Orion. Sois prêt.Je relis. Et soudain tout se complique. J’ai la bouche sèche, un goût métallique sur la langue.Je passe la journée enfermé dans un brouillard. Je me change trois fois, incapable de me décider. Finalement, chemise noire, pantalon sobre, parfum discret. J’ai l’impression de me costumer pour un rôle qui me dépasse. Pas d’hésitation, pas de peur. Voilà ce qu’elle attend de moi. Mais à l’intérieur, je suis une plaie ouverte.Quand j’arrive à l’hôtel, mes jambes sont lourdes comme du plomb. Le hall est vaste, saturé de marbre et de lumière. Trop propre, tro
MarcoJe ne sais pas trop à quoi m’attendre. Après avoir accepté l'offre de l’agence, je me retrouve maintenant devant un bâtiment imposant, en plein cœur du quartier le plus chic de la ville. L’architecture moderne et glacée m’intimide, comme si le luxe m’écrasait de son poids. Mon cœur bat plus fort à chaque pas, mais je n’ai pas d’autre choix que d’avancer. Les rues pleines de gens en costume, les voitures de luxe garées sur le trottoir… tout cela semble tellement loin de ma vie actuelle. J’ai l’impression de me glisser dans un monde qui ne m’est pas destiné, un monde que je n’ai jamais vraiment connu, mais qui m’appelle d’une manière étrange.En entrant dans le hall de l'agence, l’atmosphère me frappe immédiatement : c'est un calme glacé . Tout ici respire la perfection, l’ordre, et une froide efficacité. La réceptionniste, une jeune femme aux cheveux impeccablement coiffés et au regard neutre, me regarde sans un mot. Elle m’indique d’un geste de la main une porte en verre, sans m