Chapitre 6
La maison de Mami Chantal baignait dans la douce lumière dorée de la fin d’après-midi. Son jardin, soigneusement entretenu, exhalait un parfum envoûtant d’ylang-ylang et de citronnelle. L’ylang-ylang trônait au centre, ses fleurs jaunes diffusant une senteur suave, tandis que la citronnelle formait une barrière naturelle contre les moustiques. Mami Chantal les avait plantés elle-même, avec ce sens pratique et méticuleux qui la caractérisait.
Abel-Malick Touré posa délicatement une tasse de thé chaud entre les mains de sa grand-mère avant de s’asseoir dans le fauteuil en face d’elle. L’arôme du bissap épicé flottait entre eux, mêlé à la senteur du jardin.
— Bois doucement, Mami. Il est encore trop chaud.
Elle haussa un sourcil moqueur.
— Tu crois que c’est aujourd’hui que je vais me brûler ?
Malick esquissa un sourire, rare et sincère. Un sourire que seuls quelques privilégiés avaient le droit d’apercevoir. Il s’adossa, observant la vieille dame avec une tendresse non avouée. À soixante-dix-huit ans, Mami Chantal était toujours une femme d’une prestance naturelle. Drapée dans un boubou bleu nuit finement brodé, son teint ébène irradiait d’élégance. Mais c’était son regard qui captait l’attention : vif, intelligent, empreint de sagesse et d’une affection profonde.
— Tu me surveilles comme un enfant, Malick.
— J’ai mes raisons. Tu refuses de ralentir. À ton âge, tu devrais profiter et te reposer.
— Et laisser les choses se faire sans moi ?
Elle souffla doucement sur son thé, pensive. Malick connaissait cet air-là. Celui qui annonçait une discussion sérieuse.
— Tu dois songer à l’avenir, Malick, reprit-elle doucement.
Il soupira, massant sa nuque.
— Tu recommences avec ça, Mami ?
— Écoute-moi cette fois. Je ne suis pas éternelle. Un jour, tu seras seul. Ton père vieillit aussi. Qui reprendra le flambeau des Touré si ce n’est toi ?
Il haussa un sourcil, amusé.
— Il y a une armée de cadres formés exprès pour ça.
— Aucune armée ne remplacera un Touré. Tu ne vas tout de même pas laisser les enfants d’Hélène prendre la place qui te revient de droit ?
Un éclat plus dur traversa le regard de Malick.
— Ne t’inquiète pas, Mami. Grâce à mon siège à la BSA, mon ombre ne les quitte jamais.
— Mais elle gère déjà à sa guise le groupe hôtelier. Si tu ne fais rien, elle et ses enfants prendront la banque aussi ! Tu dois succéder à ton père. La célébrité est éphémère, Malick. Assure tes arrières. Je t’ai appris à être malin, stratège.
— Et pour être digne de cette succession, il me faut une épouse, c’est ça ?
Mami Chantal hocha lentement la tête.
— Il te faut plus que cela. Une famille. Un héritier.
Malick éclata de rire.
— J’ai encore le temps.
— Tu as trente-cinq ans. Ton père en avait à peine trente quand il t’a eu.
— Et regarde où ça l’a mené.
Un silence. Mami Chantal posa sa tasse et le fixa avec intensité.
— Ce n’est pas le mariage qui a fait de lui un homme distant, Malick. C’est lui qui a choisi de l’être.
Malick détourna le regard. Il connaissait ce discours, mais il n’y croyait pas.
— Il te faut une femme qui te tempère. Une qui ne se laisse pas impressionner par ton charme, qui voit au-delà de tes airs de Don Juan. Une qui te fera paraître digne et responsable aux yeux de la société.
Il s’apprêtait à répondre quand un éclat de rire discret interrompit leur échange.
Ils tournèrent la tête vers la porte. Une silhouette élancée se tenait dans l’encadrement.
Samira Aka.
Elle portait une robe longue fluide couleur sable, aux imprimés discrets, rehaussée d’un chemisier blanc légèrement entrouvert, révélant une fine chaîne en or contre sa peau caramel. Ses cheveux noirs, épais et bouclés, encadraient son visage délicat. Ses pommettes hautes, ses lèvres pleines… Mais c’était son regard qui captiva Malick. Un mélange de défi et d’amusement, ces yeux noisette qui semblaient sonder le monde avec une assurance tranquille.
— Désolée d’interrompre, dit-elle en avançant d’un pas.
Mami Chantal, ravie, se leva pour l’accueillir.
— Samira ! Ma fille, quelle surprise agréable !
Elle ouvrit les bras et la jeune femme s’y blottit avec affection.
Pendant ce temps, Malick l’observait.
Samira Aka était indéniablement belle. Et elle le savait. La chenille était devenue un papillon.
Quand elle releva les yeux vers lui, il sentit une tension imperceptible s’installer entre eux.
— Samira Aka, murmura-t-il en croisant les bras.
Un sourire en coin étira les lèvres de la jeune femme.
— Abel-Malick Touré.
Le voir ici, dans un cadre plus intime, lui donnait une toute autre perspective. Habillé d’un bermuda et d’une chemise en coton ouverte sur un torse subtilement musclé, manches retroussées sur ses avant-bras, il dégageait une prestance indéniable.
Lui aussi semblait troublé. Son regard l’effleura, s’attardant un peu plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu.
Le silence s’étira. Une brise légère fit voleter une mèche devant son visage, qu’elle repoussa d’un geste élégant.
Mami Chantal les observa, un sourire discret aux lèvres.
Oh oui… Ils formeraient un très beau couple.
Après un weekend si mouvementé, Samira se sentait rassuré derrière son ordinateur à la BSA. "Il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier". Pour briser le plafond de verre au dessous de sa tête elle avait décidé de proposer un projet majeur à la direction générale. Elle comptait sortir des sentiers battus et ainsi les convaincre de ses aptitudes à occuper un poste de direction. Il s'agissait d'accroître les ressources en intégrant le secteur informel dans la bancarisation. C'était risqué, mais elles avaient faits des simulations, et cela en valait la peine. Pour avoir la validation du comité exécutif, son projet doit d'abord avoir l'accord de sa supérieure hiérarchique directe, Inès Kpan, et elle appréhendait sa réaction. Samira relut une dernière fois son mail, attacha le document du projet en pièce jointe, puis l'envoya. Il fallait qu'elle en discute avec Inès afin de la convaincre du bien fondé de son projet. Elle inspira longuement et se leva de son fauteuil. Le b
De retour chez lui Malick retrouva le calme légendaire de son appartement. Il soupira en refermant la porte, jeta un regard à sa chienne qui était à ses pieds. Elle tourna en rond, jappa légèrement, et renifla le tapis en soie comme si elle s’apprêtait à y marquer son territoire. — Tu n’as pas intérêt à bousiller ce tapis, murmura-t-il. Il coûte plus cher que ta gamelle pour l’année. Elle répondit par un jappement joyeux, remuant la queue. Malick roula des yeux. Il s’accroupit, l’observa un instant. Son poil était soyeux, ses yeux d’un noir brillant, pleins d’espièglerie. — Bon… il te faut un nom. Il hésita un moment, avant de murmurer : — euh Toupie. Ouais. Toupie, ça te va bien. Vu comme tu gigote dans tous les sens Elle jappa, ravie de son baptême. Il esquissa un sourire. Pendant qu’il allait chercher une vieille couverture pour lui faire un coin dans le salon, l'interphone sonna. Le concierge lui annonça une visite surprise. Il fronça les sourcils. Personne ne venait che
Ce week-end là, Samira avait donné rendez-vous à Malick, chez elle à sa résidence. Lorsqu'il reçut son message,dans une enveloppe noir avec à l'intérieur un mot et un pion blanc de jeu d'échecs : La dame.Le message disait ceci: 'Pour ce début de cette aventure, je t'ouvre les portes de mon intimité. Une surprise t'attend Tu ne me verras pas venir . Tu devras mettre la main à la pâte.S.A" Malick en était tout émoustillé. Elle voulait le recevoir chez elle, elle voudrait sans doute sortir le grand jeu de séduction. Ces derniers jours il partageait son temps entre Mami Chantal et son boulot. Il avait bien besoin d'une bonne partie de jambes en l'air, puisqu'il était devenu abstinent à cause du pacte qu'il y avait entre Samira et lui. Mais oserait il se laisser aller avec Samira ? Le gardien lui ouvrit la porte, et l'installa dans le séjour. Il y avait une musique entraînante. Il se demandait bien quelle tenue sexy, elle avait prévu pour se mettre en avantage pour ce premier rencard
Elle avait connu Elias, son ex époux à l'université. Elle était étudiante à l'Institut polytechnique et lui fraîchement sorti de cette brillante institution, revenait y donner une conférence. Ils avaient tout de suite accroché. Elias avait tout pour lui plaire: beau, attentionné, avenant. Il filait le parfait amour quand après deux ans, une belle opportunité professionnelle s'offra à lui, lui permettant de regagner son pays afin d'y occuper un poste influent. Il demanda Samira en mariage. Celle ci n'hésita pas une seconde à tout laisser tomber pour le suivre au Togo: ses propres ambitions professionnelles, ses amies, sa famille. Le mariage se fit rapidement et Samira et Elias s'installèrent à Lomé. Quelques mois plus tard Samira trouva un emploi dans une banque de la capitale Togolaise. Le couple filait le parfait amour. Samira s'adapta tant bien que mal à la famille ainsi qu'à l'entourage d'Elias. Durant la deuxième année de leur mariage le couple décida d'avoir un avis médical, puis
Le jardin du restaurant sur les hauteurs de Cocody baignait dans une lumière dorée. Le soleil amorçait sa descente, laissant sur les feuilles des arbres des reflets chauds et apaisants. Tout était calme, presque trop calme.Samira sirotait une eau gazeuse, la gorge un peu serrée. Face à elle, Abel-Malick, vêtu d’une chemise en lin couleur crème, la regardait avec cette intensité déconcertante qu’il maîtrisait à la perfection.—Alors, murmura-t-il en posant ses lunettes de soleil sur la table, on le signe, ce pacte ?—Pas un pacte, corrigea-t-elle. Un contrat. Avec des règles. Précises.Il sourit, amusé.—Très bien. Madame veut jouer aux dames ? Ou aux échecs ?—Aux échecs, répondit-elle sans hésiter. Chaque mois, je t’annonce qui je serai à l’aide d’un pion et d’un mot. Rien d’autre. À toi d’interpréter.—Et si je ne devine pas ?—Alors, tu perds l’avantage. Et moi, je gagne du terrain. Répondit-elle ,un sourire malicieux aux lèvres.Malick s’inclina légèrement, faussement solen
Il avait quitté sa maison cette nuit-là, hagard, le cœur serré, les souvenirs d’enfance resurgissant comme une tempête.À sept ans, il avait perdu sa mère. Une femme douce, lumineuse, dynamique qu’un accident de voiture avait emportée trop tôt. Il ne se souvenait que de son parfum et de la chaleur de ses câlins. Son père, effondré, avait rapidement épousé Hélène, croyant bien faire. Ce fut une erreur. Hélène n’était ni mère ni marâtre, elle était un poison lent, subtil, perfide.Elle lui infligeait des humiliations constantes, le punissait sévèrement pour des broutilles. L’enfermait dans le placard de la buanderie, l’obligeait à manger à part. Sonia et Franck, ses enfants à elle, régnaient dans la maison comme des petits rois, tandis que lui, l’héritier, le sang des Touré, grandissait comme un intrus dans sa propre demeure. Son père, lui était souvent absent, trop obsédé consolider le rêve professionnel qu’il avait chéri avec sa defunte épouse : la BSA. Le rêve d’être à la tête du ba