Leurs tentatives de fuite s’étaient soldées par un échec. La porte résistait, la fenêtre restait close, et le téléphone ne donnait sur aucune tonalité.
Ils étaient piégés. Mais pas seulement dans cette pièce. Dans leur chair aussi. Une chaleur étrange circulait sous leur peau. Un engourdissement doux, presque euphorique, qui battait en eux comme une pulsation inconnue. Leurs corps semblaient plus légers, comme s’ils flottaient. Chaque mouvement paraissait étiré dans le temps, chaque souffle était amplifié, comme une mélodie déformée, et les bruits qui lui parvenaient semblaient lointains, irréels. Elle se sentait comme perdue dans un rêve. Une chaleur humide persistait autour d’elle, alimentée par les lampes de chevet tremblotantes, les murs clos et l’air devenu lourd. Tout ce qui était habituel, structuré, avait disparu. Cyra s’était laissée tomber sur le lit, son souffle court, les joues rosies. Elle ferma les yeux un instant, cherchant à trouver un peu de calme dans ce tumulte intérieur. Mais rien n’y faisait. Tout s’éveillait en elle, dans une sorte d’extase sans nom. Raphaël, lui, tournait encore en rond, visiblement en lutte contre cette sensation d’abandon qui montait en lui, contre cette chaleur oppressante et douce à la fois. Il se crispait, un moment saisi de confusion, luttant contre ce qui s’installait entre eux. L’instant lui paraissait à la fois infiniment long et d’une brutalité indomptable. Il n’avait jamais été un homme fragile, un homme qui perdait le contrôle. Pourtant, dans cette chambre dégradée, au milieu de l’odeur de poussière et de décoloration, il se sentait plus vulnérable que jamais. « Qu’est-ce qu’ils nous ont donné… ? » murmura-t-il, se penchant sur la petite table à côté du lit comme si chercher la cause de ce qui les tourmentait pouvait en faire disparaître les effets. Cyra avait fermé les yeux, tentant de repousser cette sensation d’étourdissement. « Je ne sais pas… mais je me sens… étrange. » Les mots lui échappaient, comme une brume qui effleurait à peine ses pensées. Elle n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qui bouillonnait en elle, ce qui la poussait à rester là, dans cette situation incontrôlable. La vérité, c’était qu’elle ne savait même pas si elle avait encore la force de s’échapper. Il s’approcha, hésitant. Un seul pas. Puis un autre. Comme une danse dont il perdait le rythme, mais qu’il continuait de suivre malgré tout. « Vous avez besoin d’eau ? » Elle rouvrit les yeux et croisa les siens. Et là, un moment suspendu. Le genre de silence qui n’appartient qu’à l’irréel. Un vide entre deux respirations, où rien n’avait de sens et où tout était possible. Elle se perdit dans la profondeur de son regard, qui semblait briller d’une lueur qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Il n’y avait plus cette tension dans ses traits, plus cette retenue. La barrière venait de tomber. Comme si la drogue avait fait voler en éclats tout ce qu’ils avaient appris à contrôler. La peur, la pudeur, les principes. Tout. Cyra sentit son cœur ralentir, battre autrement. Le souffle de Raphaël semblait se rapprocher de son propre rythme, mais il y avait quelque chose de nouveau. Une légèreté qu’elle n’avait pas attendue. Elle aurait dû résister. Elle l’avait toujours fait, par le passé. Elle avait toujours su repousser les avances, s’échapper des pièges tendus par les hommes. Mais là, dans ce moment irréel, elle n’avait plus la force de lutter. Et lui non plus. Il s’assit près d’elle sur le lit, les yeux toujours fixés sur elle, comme s’il cherchait une permission, ou peut-être un avertissement. Ils étaient à peine à quelques centimètres. Elle sentait sa chaleur, comme une vague douce mais insistante. Il sentait la sienne. Une tension étrange flottait entre eux, presque magnétique, une attraction invisible mais puissante. Elle leva une main et toucha du bout des doigts la cravate qu’il n’avait pas encore retirée. Ce geste était faible, timide, mais il avait une signification qu’elle ne pouvait expliquer. « Vous êtes… toujours aussi élégant ? » Un sourire. Le premier. Un éclat fugitif dans la brume. Il se perdit un instant dans la douceur de ce rire. “Surtout quand je suis piégé dans un hôtel miteux avec une inconnue.” Elle rit, doucement. Un rire léger, fragile, mais dans cette chambre, il devint une forme d’ancrage, une brèche dans l’atmosphère étouffante. Et ce rire, il l’attrapa comme un souffle. Il le respira. Il tendit la main, presque à contrecœur, mais une force invisible le guidait. Il repoussa une mèche de ses boucles blond vénitien tombée sur sa joue. Son geste était lent, presque irréel. Le contact de ses doigts contre sa peau fut comme une étincelle. Une étincelle dans l’obscurité. Cyra le regarda. Plus un mot. Raphaël murmura, sa voix rauque : « Je ne veux pas vous faire de mal. » Elle répondit sans réfléchir, portée par l’irréalité de l’instant, une vérité qu’elle laissait s’échapper sans crainte de regret : « Je sais. » Et alors, ils cessèrent de penser. Il l’embrassa. D’abord doucement. Un effleurement à peine tangible. Il n’y avait pas d’urgence dans ce baiser, pas de précipitation. Juste l’envie d’entrer dans ce moment fragile, d’explorer ce qui ne demandait qu’à être vécu. Puis un baiser plus profond, plus réel, guidé non par le désir brut mais par ce besoin animal, instinctif, de se raccrocher à quelqu’un, à quelque chose de vivant dans ce cauchemar. Elle répondit à ce baiser sans retenue, sa main glissant contre son torse, trouvant la chaleur de sa peau sous la chemise. Chaque mouvement était comme une découverte. Comme si elle n’avait jamais vraiment touché un homme auparavant, comme si son corps s’éveillait à un monde qu’elle n’avait jamais exploré. Ils n’étaient plus deux étrangers. Ils étaient deux âmes abandonnées dans un monde sans repère. Ils étaient aussi proches qu’ils pouvaient l’être, et pourtant, une distance invisible, mais réelle, demeurait. Ce n’était pas seulement la drogue qui les liait. Ce n’était pas seulement l’euphorie du moment. Non. Il y avait quelque chose de plus fort, une sorte d’appel silencieux, d’une intimité d’un autre genre, brisée par la force de l’instant. Raphaël la couvrit de son corps, la regarda un instant, les pupilles dilatées. « Vous êtes sûre ? » souffla-t-il, même dans l’oubli, un reste de respect, un dernier rempart contre l’irréel. Elle hocha lentement la tête. « C’est comme un rêve… » Il lui ôta lentement son débardeur blanc. Elle fit glisser sa veste. Les gestes étaient flous, mais remplis d’une tendresse inédite. Ils se cherchaient dans cet espace où tout semblait permis et où, pourtant, tout était suspendu. Un ballet lent, un échange sans fin. Ils n’avaient plus besoin de mots. Leurs corps se mêlèrent, dans une danse irréelle, baignée par la lumière tamisée d’une lampe de chevet tremblotante. L’air était lourd, presque tactile, comme s’il n’y avait plus d’espace entre eux, que tout ce qu’ils étaient devenaient une seule et même entité. Ils ne parlaient plus. Ils n’avaient plus besoin de mots. Ce fut une nuit où le temps perdit toute signification. Une nuit où les blessures se taisaient. Une nuit où Cyra, pour la première fois, se sentit regardée sans jugement. Et Raphaël, touché sans arrière-pensée. Ils s’endormirent l’un contre l’autre, le souffle apaisé, les cœurs battant au même rythme. Et le destin venait d’être scellé.Dans la chambre des jumeaux, une veilleuse projetait des étoiles au plafond. Deux petits cœurs battaient doucement au rythme du sommeil. Une musique douce flottait dans l’air. Iris dormait dans la pièce d’à côté, son nounours contre elle.Et dans cette grande maison autrefois si froide, il n’y avait désormais que chaleur, rires et promesses d’avenir.Cyra Delacroix n’était plus une jeune femme blessée par son passé. Elle était une épouse aimée, une mère comblée, une femme accomplie.Et sa vie, après tant de tumultes, devenait enfin ce qu’elle avait toujours mérité : une symphonie d’amourQuelques années s’étaient écoulées depuis la naissance des jumeaux, et la vie de Cyra et Raphaël s’était transformée. La maison, autrefois froide et imposante, était devenue un véritable foyer, où rires et bruits de pas remplissaient les pièces. Yael et Esteban, les deux jumeaux identiques, étaient désormais des garçons énergiques et curieux, toujours en mouvement, inséparables, mais chacun avec son c
L’aube se levait à peine sur la campagne apaisée qui entourait le manoir des Delacroix. Une brume légère couvrait encore les champs, comme un voile de coton posé sur la terre endormie. Pourtant, à l’intérieur des murs de pierre de la demeure ancestrale, l’agitation était bien là.Cyra ne dormait plus depuis plusieurs heures. Allongée dans le grand lit conjugal, elle tentait de réguler sa respiration, son regard fixé au plafond. Quelque chose était différent. Elle connaissait désormais chaque mouvement, chaque sensation propre à cette grossesse difficile. Mais cette nuit-là, un sentiment d’urgence s’était insinué dans son ventre. Un poids, une pression inhabituelle.— Raphaël… murmura-t-elle, la voix légèrement tremblante.Il dormait à moitié, le bras autour d’elle, ses sens en alerte comme à chaque fin de grossesse. À sa voix, il se redressa d’un bond, les cheveux en bataille, les yeux pleins d’angoisse mêlée d’excitation.— Ça va ? C’est maintenant ?Elle hocha la tête, puis une doul
Le troisième trimestre s’ouvrit comme un compte à rebours précieux. Chaque jour était une victoire. Chaque mouvement dans le ventre de Cyra, un rappel qu’ils allaient bientôt les rencontrer. Et pourtant, ce dernier virage de grossesse s’annonçait plus éprouvant que jamais.Le médecin avait été clair : repos absolu jusqu’à l’accouchement. Alitée depuis plusieurs semaines déjà, Cyra ressentait chaque jour un peu plus le poids de son immobilité. Elle avait toujours été autonome, active, volontaire. Devoir déléguer, attendre, se contenter d’observer, la pesait terriblement.— Je suis utile à quoi, comme ça ? demanda-t-elle un jour, les larmes aux yeux, en se tournant vers Raphaël.Il s’agenouilla doucement devant elle, posa ses mains sur son ventre rond et répondit d’une voix douce, mais ferme :— Tu crées la vie. Tu portes nos fils. Tu fais plus que tout ce que j’aurais pu espérer. Et tu n’es pas seule.Cette phrase, Cyra se la répétait comme un mantra. Car non, elle n’était pas seule. T
Les jours s’étaient écoulés depuis le mariage comme un doux rêve dont Cyra ne voulait pas se réveiller. La vie au manoir Delacroix s’était installée dans un équilibre presque parfait, rythmée par les rires d’Iris, les moments tendres partagés avec Raphaël, et la chaleur d’une famille qui s’était reconstruite autour d’elle.Mais quelque chose en elle avait changé. Ce n’était pas seulement la fatigue ou les nausées matinales. C’était plus profond, plus fort. Son corps lui envoyait des signaux qu’elle ne comprenait pas encore entièrement. Et lorsqu’elle se rendit à son premier rendez-vous de suivi, main dans celle de Raphaël, elle s’attendait à entendre un battement de cœur. Un. Un seul.Mais ce fut deux.Deux petits tambours précoces résonnant sur l’échographie. Deux vies. Deux miracles.Cyra tourna les yeux vers Raphaël, incrédule, émue, bouleversée. Il était figé, les sourcils haussés, la bouche légèrement entrouverte.— Deux ? répéta-t-il dans un souffle, le regard rivé sur l’écran.
La nuit précédant le mariage, Cyra peinait à trouver le sommeil. Le manoir était calme, baigné dans la lumière douce de la lune. Iris dormait paisiblement dans sa chambre, et tout semblait parfaitement en ordre, comme si le destin avait décidé d’accorder à la jeune femme une trêve bien méritée. Et pourtant, quelque chose dans son corps ne tournait pas rond. Ce n’était ni du stress, ni de l’appréhension… c’était autre chose. Un sentiment diffus, profond, qui ne voulait pas s’éteindre.Elle se leva sans bruit, enfila un manteau et quitta le manoir à pied, la tête pleine de pensées. Elle se rendit à la pharmacie de garde la plus proche, l’une des rares encore allumées dans la ville endormie. Là, elle acheta un test de grossesse, presque tremblante, sans trop savoir si c’était la peur ou l’espoir qui l’habitait.De retour dans la salle de bain attenante à sa chambre, elle s’assit sur le rebord de la baignoire, le cœur battant. Quelques minutes plus tard, deux barres s’affichaient… positiv
Les rayons du matin filtraient à travers les grandes fenêtres du manoir Delacroix, inondant la chambre de Cyra d’une douce lumière dorée. Iris dormait encore, blottie contre l’un des coussins du vaste lit à baldaquin. Cyra l’observait en silence, le cœur rempli d’émotion. Cette maison était devenue leur maison. Plus de peur, plus de fuite. Plus de secrets.La décision avait été prise sans hésitation : Cyra et Iris emménageraient définitivement au manoir. « Une famille doit être ensemble », avait dit Raphaël en lui prenant la main, les yeux emplis de tendresse. Et elle n’avait rien répondu, car elle savait qu’il avait raison. Iris était déjà très attachée à son arrière-grand-mère, la doyenne Delacroix, et à sa grand-mère, qui l’adorait comme si elle l’avait toujours connue.Ce matin-là, une fois Iris réveillée et occupée à dessiner dans le petit salon du jardin d’hiver, Cyra décida d’appeler une personne importante à ses yeux : son ancienne patronne, Clarisse, qui avait été bien plus q
La matinée s’annonçait pourtant calme. Cyra, assise dans le grand salon baigné de lumière de la villa Delacroix, terminait son café pendant qu’Iris dessinait paisiblement sur la table basse. Depuis le gala, les jours s’étaient écoulés avec une douceur presque irréelle. L’élocution de Cyra avait été saluée par les médias, les réseaux sociaux et l’opinion publique. Elle était devenue, en quelques jours, un symbole d’inspiration. Une femme partie de rien, debout sur ses propres jambes, désormais à la tête d’un empire aux côtés de l’homme qu’elle aimait.Mais le calme ne dure jamais longtemps quand l’ombre veille.Tout bascula à dix heures précises.Le téléphone de Cyra vibra. Une notification. Un message d’alerte provenant du service juridique de l’entreprise. Elle fronça les sourcils.“Madame Delacroix, un article vient de paraître sur le site de La Tribune. Nous préparons une réponse juridique, mais il s’agit d’un contenu particulièrement diffamatoire. Le lien est ci-joint.”Cyra ouvri
Le rendez-vous avait été fixé dans un vieux café en périphérie de la ville, à l’abri des regards. Élise avait choisi ce lieu avec soin : ni trop discret pour éveiller les soupçons, ni trop fréquenté pour attirer l’attention. Elle était arrivée la première, lunettes noires sur le nez, tailleur sombre, l’élégance dissimulant à peine le poison qui coulait dans ses veines.Luc arriva avec quelques minutes de retard. Il semblait plus fatigué qu’elle ne l’imaginait, les traits tirés, les yeux cernés, mais la même lueur mauvaise brillait dans son regard. Un homme qui n’avait jamais accepté de perdre le contrôle.— Mademoiselle Delcourt, dit-il en s’installant, son ton mielleux forçant un respect factice.— Élise. Inutile d’être formels. On est ici pour parler affaires, pas pour faire semblant d’être civilisés, répondit-elle avec un sourire froid.Elle sortit une enveloppe de son sac, la posa sur la table. Dedans : quelques photos, des copies de documents, un plan griffonné à la main.— Voilà
Le soleil du matin filtrait doucement à travers les grandes baies vitrées de la maison familiale des Delacroix. Le parfum du thé à la verveine flottait dans l’air, se mêlant à celui des croissants tout juste sortis du four, posés avec soin sur la table du salon. Iris, assise au sol, jouait avec un petit puzzle en bois, tout en gardant un œil discret sur les adultes qui l’entouraient.Cyra était là, légèrement intimidée malgré tout, mais son cœur apaisé par la bienveillance ambiante. Raphaël, assis non loin d’elle, l’observait avec tendresse, et elle sentit sa main chercher la sienne sous la table.Face à eux, la mère de Raphaël — Éliane — tenait entre ses mains le journal du jour. Et à ses côtés, assise plus droite encore que d’habitude, la grand-mère — Madame Joséphine Delacroix — lisait, lunettes au bout du nez, les lignes imprimées avec attention.— “Une femme de courage, une voix d’inspiration.” lut Éliane à voix haute, avant de baisser doucement le journal. Ils ont vraiment titré