Le doux chant du matin se mêlait aux premiers rayons de soleil qui filtraient à travers les rideaux légers de l’appartement de Léa. Un filet de lumière caressait les draps blancs, réchauffant l’air encore frais de l’aube. Léa émergea lentement de son sommeil, ses paupières encore lourdes de rêves flous et fuyants. La chambre, décorée de manière minimaliste, reflétait son goût pour la simplicité : des murs blancs, une étagère remplie de livres d’architecture soigneusement classés, et une plante verte, unique touche de vie, qui semblait étrangement prospérer malgré le peu de lumière.
À ses côtés, Thomas, son fiancé, dormait paisiblement. Son torse se soulevait à un rythme régulier, presque hypnotique. Léa le contempla un instant. Ses traits détendus auraient pu l’émouvoir, autrefois. Maintenant, elle ne ressentait plus grand-chose. Ou plutôt, elle ressentait trop, mais rien de ce qu'elle aurait souhaité : de la lassitude, un sentiment d’étouffement diffus, une mélancolie silencieuse. Elle détourna les yeux.
Elle quitta le lit avec précaution, veillant à ne pas faire grincer le parquet. En traversant le couloir étroit, elle passa devant le miroir du vestibule sans s’y arrêter. Ce matin encore, elle n’avait pas envie de se regarder.
La cuisine baignait dans une clarté pâle. Léa alluma la cafetière, puis se ravisa et opta pour une vieille casserole en inox. Le contact du métal froid contre ses doigts l’ancrait dans le réel. Le léger cliquetis de la flamme, le frémissement de l’eau sur le feu… Des gestes répétitifs, automatiques, presque apaisants.
Mais au fond d’elle, une sensation persistante montait, comme une rumeur qui ne voulait pas se taire. Elle avait la désagréable impression d’être piégée dans une vie qui n’était plus vraiment la sienne.
Chaque matin ressemblait au précédent. Thomas, le silence, le café, les pensées qu’elle tentait d’étouffer… et cette question, lancinante : "Est-ce que c’est vraiment ça, être heureuse ?"
Elle s’appuya contre le plan de travail, bras croisés. Elle avait beau cocher toutes les cases un compagnon stable, un métier valorisant, un appartement dans un quartier calme, il manquait quelque chose. Mais elle ne savait pas quoi. Ou alors, elle ne voulait pas encore le dire à voix haute.
Lorsque l’arôme du café commença à embaumer l’espace, Thomas émergea de la chambre, les cheveux en bataille, frottant ses yeux encore ensommeillés. Il s’approcha d’un pas nonchalant, tirant légèrement sur le bas de son t-shirt froissé. Il lui adressa un sourire tendre, un de ces sourires qui, autrefois, faisaient battre le cœur de Léa un peu plus vite, mais qui désormais lui semblaient presque appris, programmés.
— Bonjour, ma belle, murmura-t-il en se penchant pour l’embrasser.
Léa lui rendit son baiser par habitude plus que par envie. Ses lèvres effleurèrent les siennes avec douceur, mais son regard, lui, s’assombrit un instant. Une ombre, furtive, de tristesse ou peut-être de fatigue. Elle détourna les yeux, concentrée soudainement sur la tasse vide qu’elle serrait entre ses doigts.
— Tu as bien dormi ? demanda-t-il, en s’étirant.
Elle resta silencieuse quelques secondes. Cette question… Elle la trouvait déplacée ici, dans la cuisine, au milieu des bruits domestiques, de la lumière crue du matin et du parfum trop fort du café. Ce n’était pas ici qu’il aurait dû lui poser cette question. Il aurait dû la poser dans un lit où elle se serait sentie aimée. Dans un moment de complicité, pas dans ce décor impersonnel.
— Oui, bien dormi… Et toi ? répondit-elle finalement, la voix douce mais absente, comme si elle récitait une réplique.
— Comme un bébé, répondit Thomas avec un sourire fatigué. Il s’assit un instant, but une gorgée de café, grimaça légèrement il le préférait plus sucré, mais ne fit aucune remarque.
Il quitta la cuisine sans rien ajouter. Léa le regarda partir pendant un moment puis reprit ce qu'elle faisait.
Elle prépara le petit déjeuner et dressa la table.
Ils prirent place à la table, où un petit-déjeuner simple les attendait : des tartines encore tièdes, quelques fruits soigneusement découpés, et le café noir fumant qui remplissait l'air d'une chaleur réconfortante. Mais même cette scène paisible manquait de vie. Thomas s’empara de son téléphone dès qu’il s’assit, balayant du pouce ses e-mails, concentré, les sourcils légèrement froncés.
Léa, elle, fixait le mur d’en face. Un point précis, insignifiant, mais sur lequel elle accrochait son regard pour ne pas le poser sur Thomas. Une bulle de silence les enveloppait, seulement troublée par le léger bruit des doigts de Thomas tapotant l’écran.
— Tu as quelque chose en tête ? demanda-t-il, d’un ton distrait, sans détourner les yeux.
Elle mit quelques secondes à répondre.
— Non, tout va bien, dit-elle finalement, dans un souffle.
Elle força un sourire, ce genre de sourire qu’on affiche pour ne pas alerter, pour éviter les questions… mais elle-même ne s’y trompait pas.
Quelques phrases creuses furent échangées, des banalités sur la météo, les embouteillages, les courses à faire. Mais Léa était ailleurs. Son esprit vagabondait vers un passé où tout semblait plus vivant. Où les regards étaient pleins de promesses, les week-ends imprévisibles, les silences… complices.
Aujourd’hui, même le silence semblait hostile.
Elle hésita un instant, puis se lança, la voix un peu plus fragile qu’elle ne l’aurait voulu :
— Je voulais qu’on parle de quelque chose, Thomas.
Il releva à peine les yeux.
— Maintenant ?
— Oui… si tu es disponible. Sinon, ce soir, autour d’un dîner. Juste toi et moi.
Il soupira, reprit son téléphone, comme s’il se donnait le droit de revenir dans son monde avant même de répondre.
— Tu sais, j’ai un projet important au bureau cette semaine.
Il marqua une pause, tapota encore.
— Je dois finaliser le dossier pour le client, c’est tendu. On en parle un autre soir ?
Léa hocha la tête. Elle ne répondit pas. À quoi bon ? Elle connaissait cette musique par cœur.
Les projets de Thomas, bien qu'importants, semblaient constituer un univers dans lequel elle n’était qu’un figurant. Une silhouette silencieuse en arrière-plan.
Et à ce moment précis, elle sut qu’elle ne voulait plus attendre "un autre soir".
À cet instant, un raclement de gorge les interrompit. Leur oncle Gérard, grand et droit malgré les années, se tenait derrière eux avec un sourire contenu. Nathan le remarqua aussitôt. Son visage s’illumina d’un éclat sincère.— Tonton Gérard !Il se jeta littéralement dans ses bras, oubliant un instant son image de baroudeur détaché. Les retrouvailles furent bruyantes et touchantes. Une tendresse palpable passa entre les deux hommes.Très vite, ses tantes, ses cousins et cousines accoururent à leur tour, leurs voix se mêlant en un concert joyeux.— Mon Dieu, regarde-moi ce grand garçon !— Tu as encore grandi !— Et plus beau que ton frère jumeau, qui l’eût cru ?— Je reconnaîtrais ce sourire insolent entre mille !Les accolades s’enchaînèrent, les rires aussi. Certains lui prirent les joues, d’autres lui tapotèrent le dos. Nathan, tout à son aise, embrassait chacun avec une aisance fluide. Il semblait glisser dans ces retrouvailles comme un poisson dans l’eau, rattrapant sans effort
Le soir de la fête, l’appartement brillait de mille petites touches élégantes : des guirlandes lumineuses discrètes, des bougies alignées sur la console, une douce musique d’ambiance flottant entre les conversations naissantes. On sentait dans l’air une certaine solennité, comme si quelque chose d’important était sur le point d’arriver.Thomas virevoltait d’un coin à l’autre de la pièce, visiblement au comble de l’excitation. Il portait un costume flambant neuf, bien coupé, couleur bleu nuit, qui mettait en valeur sa silhouette élancée. Sur le porte-manteau de l’entrée, un autre costume, tout aussi neuf, attendait celui d’Ethan.Léa, elle, se tenait près du miroir du couloir, ajustant une robe noire qu’elle n’avait plus portée depuis une soirée lointaine. Une coupe sobre, légèrement évasée au niveau des hanches, qui épousait son corps sans exubérance. Elle n’avait rien dit sur l’oubli de Thomas pas un mot sur cette absence de geste, ce manque d’attention si criant. Mais elle l’avait s
Le matin, Léa fut réveillée par une voix qu’elle n’avait pas entendue depuis longtemps : celle de Thomas, joyeuse, presque euphorique.Il était sur le balcon, téléphone à l’oreille, riant, s’exclamant, parlant vite, animé.Elle resta un instant allongée, figée, les yeux ouverts, écoutant sans bouger. Ce rire-là, elle ne l’entendait plus chez lui.Et certainement pas avec elle.Elle se leva lentement, traversa la chambre dans un silence calculé, et se dirigea vers la salle de bain. L’eau froide du robinet la ramena à elle, comme un électrochoc. Elle se regarda dans le miroir, observa les traces d’une nuit sans repos, ses yeux gonflés et cernés. Elle remit un peu d’ordre dans ses cheveux, attacha rapidement une queue-de-cheval, puis sortit.Thomas était toujours au téléphone.Toujours aussi joyeux.Toujours aussi absent.Elle ne chercha pas à l’interrompre. Il ne l’aurait pas vue.Elle entra dans la cuisine, se fit un thé, lentement, machinalement. Elle prit une gorgée, puis se dirigea
La journée passa dans un flou de réunions et de tâches répétitives. Léa s’efforçait de se concentrer sur ses projets, sur les lignes droites et les courbes qu’elle traçait, sur les plans qu’elle ajustait au millimètre… mais son esprit vagabondait inlassablement. Il s’échappait dès qu’elle relâchait sa vigilance, la projetant dans des paysages inconnus, des villes vibrantes, pleines de vie, où elle pourrait se perdre et renaître. Elle rêvait d’errances dans les ruelles d’une ville étrangère, du goût de l’inconnu, de la chaleur d’un regard nouveau. Elle rêvait de liberté, d’un souffle frais qui balayerait la monotonie devenue étouffante.À mesure que les heures s’écoulaient, elle se sentait s’éloigner d’elle-même. L’écran devant elle n’était qu’un mur opaque, et derrière, se dessinaient les contours flous d’une femme fatiguée de lutter contre une vie trop étroite.Lorsque la fin de la journée arriva, Léa était épuisée. Mais ce n’était pas une fatigue physique. C’était plus profond. Un é
Après avoir englouti une dernière bouchée de tartine, Thomas se leva sans un mot de plus. Il ajusta les manches de sa chemise, attrapa machinalement sa veste sur le dossier de la chaise, puis s’approcha de Léa.Il déposa un baiser rapide sur son front, presque machinal. Un geste devenu routinier, vidé de son sens.— À ce soir, murmura-t-il.Léa ne répondit pas. Elle ferma les yeux un instant, savourant malgré elle la tiédeur fugace de ce contact, en se demandant depuis quand ce baiser ne lui faisait plus rien.La porte d’entrée se referma dans un cliquetis discret, et le silence retomba.Elle resta là, seule à la table, les mains autour de sa tasse désormais tiède. L’odeur du café flottait encore dans l’air, mais elle lui paraissait étrangère.Tout dans cet appartement semblait rangé, propre, organisé… sauf son cœur.Léa se prépara pour la journée. Elle se regarda dans le miroir de la salle de bain, scrutant le reflet qui lui faisait face. Son visage gardait une douceur familière, mai
Le doux chant du matin se mêlait aux premiers rayons de soleil qui filtraient à travers les rideaux légers de l’appartement de Léa. Un filet de lumière caressait les draps blancs, réchauffant l’air encore frais de l’aube. Léa émergea lentement de son sommeil, ses paupières encore lourdes de rêves flous et fuyants. La chambre, décorée de manière minimaliste, reflétait son goût pour la simplicité : des murs blancs, une étagère remplie de livres d’architecture soigneusement classés, et une plante verte, unique touche de vie, qui semblait étrangement prospérer malgré le peu de lumière.À ses côtés, Thomas, son fiancé, dormait paisiblement. Son torse se soulevait à un rythme régulier, presque hypnotique. Léa le contempla un instant. Ses traits détendus auraient pu l’émouvoir, autrefois. Maintenant, elle ne ressentait plus grand-chose. Ou plutôt, elle ressentait trop, mais rien de ce qu'elle aurait souhaité : de la lassitude, un sentiment d’étouffement diffus, une mélancolie silencieuse. El