À cet instant, un raclement de gorge les interrompit. Leur oncle Gérard, grand et droit malgré les années, se tenait derrière eux avec un sourire contenu. Nathan le remarqua aussitôt. Son visage s’illumina d’un éclat sincère.
— Tonton Gérard ! Il se jeta littéralement dans ses bras, oubliant un instant son image de baroudeur détaché. Les retrouvailles furent bruyantes et touchantes. Une tendresse palpable passa entre les deux hommes. Très vite, ses tantes, ses cousins et cousines accoururent à leur tour, leurs voix se mêlant en un concert joyeux. — Mon Dieu, regarde-moi ce grand garçon ! — Tu as encore grandi ! — Et plus beau que ton frère jumeau, qui l’eût cru ? — Je reconnaîtrais ce sourire insolent entre mille ! Les accolades s’enchaînèrent, les rires aussi. Certains lui prirent les joues, d’autres lui tapotèrent le dos. Nathan, tout à son aise, embrassait chacun avec une aisance fluide. Il semblait glisser dans ces retrouvailles comme un poisson dans l’eau, rattrapant sans effort les années d’absence. Puis vinrent les anciens amis, les camarades d’enfance, ceux qui n’avaient pas oublié les escapades d’autrefois, les bagarres dans la cour de récréation, les premiers verres partagés en cachette.— Tu te souviens du vieux portail du lycée ? Tu l’avais escaladé avec une jambe cassée !
— Et ce prof d’histoire qui te détestait mais riait toujours à tes blagues…
— Tu n’as pas changé, Ethan. Toujours ce regard de voyou au cœur tendre !
Les anecdotes fusaient, les verres se levaient en son honneur. Nathan, sans effort, était redevenu le centre de l’univers. La salle semblait tournoyer autour de lui.
Et pourtant, au fond de la pièce, Léa observait. Silencieuse.
Elle n’avait pas encore été présentée. Il ne l’avait même pas remarquée.
Et puis, la voix de Thomas fendit l’air, chaleureuse, enthousiaste, impossible à ignorer.
— Léa, viens ici ! Tu dois rencontrer Nathan !
Elle n’eut pas le temps de se défiler. Tous les regards se tournèrent dans sa direction. C'était comme une lumière soudaine braquée sur elle. Elle s’avança lentement, chaque pas résonnant comme un battement de cœur trop fort dans sa poitrine.
Nathan se tourna vers elle, et leurs regards se croisèrent.
Ce fut un choc silencieux. Un de ces instants suspendus où plus rien n’existe, sauf la sensation d’un courant invisible, irrationnel, mais palpable.
— Alors, c’est toi la fameuse Léa dont j’ai tant entendu parler, dit-il, un sourire presque indécent accroché aux lèvres.
Sa voix était chaude, grave, teintée d’un charme insolent qui semblait vouloir vous désarmer d’emblée.
— Oui, c’est moi, répondit-elle, la voix un peu plus tremblante qu’elle ne l’aurait voulu.
Elle se força à sourire, mais à l’intérieur, son estomac se nouait. Il y avait en lui quelque chose d’instinctif, de sauvage presque, qui faisait remonter en elle un étrange mélange d’excitation et d’alarme.
— Je suis ravi de te rencontrer, poursuivit-il en détaillant sa tenue d’un regard lent. Tu es absolument ravissante ce soir. Cette couleur... elle t’enveloppe comme un secret.
Léa sentit le rouge lui monter aux joues. Il y avait dans ses mots une poésie inattendue, et pourtant une maîtrise troublante. Elle baissa les yeux, cherchant un refuge dans sa modestie.
— Merci, murmura-t-elle, touchée malgré elle.
Thomas, toujours entre eux, éclata de rire.
— Nathan a toujours eu un don pour les compliments. C’est un charmeur invétéré ! Sa réputation le précède, crois-moi.
Nathan haussa les épaules, un demi-sourire au coin des lèvres.
— Je ne fais que dire la vérité. Tu sais, les gens comme moi... on regarde différemment. On voit la beauté là où d’autres ne prennent pas le temps de la remarquer.
Léa releva les yeux, intriguée, piquée dans sa sensibilité. Il jouait avec les mots comme avec les cœurs, c’était évident. Mais il y avait dans ses propos quelque chose de plus... une sincérité peut-être dissimulée sous le vernis de l’assurance.
— Et qu’est-ce que ça veut dire exactement, "les gens comme toi" ? demanda-t-elle, un pli interrogateur sur le front.
Il fit un pas vers elle. Juste un. Suffisant pour créer une bulle invisible autour d’eux, comme si le reste du monde s’était mis en sourdine.
— Ça signifie que je crois qu’il faut vivre intensément. Chaque instant peut être le dernier. Alors, pourquoi se contenter de la prudence, quand on peut goûter à l’absolu ?
Sa voix s’était faite plus basse, presque confidentielle. Il la regardait avec cette intensité tranquille qui avait le pouvoir de vous faire oublier où vous étiez.
Léa sentit quelque chose remuer en elle. Ce regard... Ce ton...
Elle se tenait au bord d’un précipice, et elle le savait. Ce n’était pas seulement une rencontre. C’était le début de quelque chose. Une faille. Une étincelle. Ou un piège.
Et pourtant, elle ne détournait pas les yeux.
Thomas prit doucement son frère par le bras et l’entraîna vers la chambre, son regard sérieux trahissant une certaine urgence.
— Viens, prends un bain, lui dit-il en ouvrant la porte. Ensuite, mets le costume que je t’ai acheté. On doit être prêts pour ce soir.
Nathan hocha la tête sans un mot, presque distrait, le poids de la soirée semblant peser sur lui autant que sur Thomas.
Léa, restée un instant dans le salon, sentit une bouffée d’angoisse l’envahir. Elle se demanda ce qui allait se passer une fois que Nathan serait seul avec Thomas, loin des regards et des sourires polis.
Les préparatifs continuaient dans l’appartement, mais une tension invisible s’était installée, comme une fissure prête à s’élargir à tout moment.
À cet instant, un raclement de gorge les interrompit. Leur oncle Gérard, grand et droit malgré les années, se tenait derrière eux avec un sourire contenu. Nathan le remarqua aussitôt. Son visage s’illumina d’un éclat sincère.— Tonton Gérard !Il se jeta littéralement dans ses bras, oubliant un instant son image de baroudeur détaché. Les retrouvailles furent bruyantes et touchantes. Une tendresse palpable passa entre les deux hommes.Très vite, ses tantes, ses cousins et cousines accoururent à leur tour, leurs voix se mêlant en un concert joyeux.— Mon Dieu, regarde-moi ce grand garçon !— Tu as encore grandi !— Et plus beau que ton frère jumeau, qui l’eût cru ?— Je reconnaîtrais ce sourire insolent entre mille !Les accolades s’enchaînèrent, les rires aussi. Certains lui prirent les joues, d’autres lui tapotèrent le dos. Nathan, tout à son aise, embrassait chacun avec une aisance fluide. Il semblait glisser dans ces retrouvailles comme un poisson dans l’eau, rattrapant sans effort
Le soir de la fête, l’appartement brillait de mille petites touches élégantes : des guirlandes lumineuses discrètes, des bougies alignées sur la console, une douce musique d’ambiance flottant entre les conversations naissantes. On sentait dans l’air une certaine solennité, comme si quelque chose d’important était sur le point d’arriver.Thomas virevoltait d’un coin à l’autre de la pièce, visiblement au comble de l’excitation. Il portait un costume flambant neuf, bien coupé, couleur bleu nuit, qui mettait en valeur sa silhouette élancée. Sur le porte-manteau de l’entrée, un autre costume, tout aussi neuf, attendait celui d’Ethan.Léa, elle, se tenait près du miroir du couloir, ajustant une robe noire qu’elle n’avait plus portée depuis une soirée lointaine. Une coupe sobre, légèrement évasée au niveau des hanches, qui épousait son corps sans exubérance. Elle n’avait rien dit sur l’oubli de Thomas pas un mot sur cette absence de geste, ce manque d’attention si criant. Mais elle l’avait s
Le matin, Léa fut réveillée par une voix qu’elle n’avait pas entendue depuis longtemps : celle de Thomas, joyeuse, presque euphorique.Il était sur le balcon, téléphone à l’oreille, riant, s’exclamant, parlant vite, animé.Elle resta un instant allongée, figée, les yeux ouverts, écoutant sans bouger. Ce rire-là, elle ne l’entendait plus chez lui.Et certainement pas avec elle.Elle se leva lentement, traversa la chambre dans un silence calculé, et se dirigea vers la salle de bain. L’eau froide du robinet la ramena à elle, comme un électrochoc. Elle se regarda dans le miroir, observa les traces d’une nuit sans repos, ses yeux gonflés et cernés. Elle remit un peu d’ordre dans ses cheveux, attacha rapidement une queue-de-cheval, puis sortit.Thomas était toujours au téléphone.Toujours aussi joyeux.Toujours aussi absent.Elle ne chercha pas à l’interrompre. Il ne l’aurait pas vue.Elle entra dans la cuisine, se fit un thé, lentement, machinalement. Elle prit une gorgée, puis se dirigea
La journée passa dans un flou de réunions et de tâches répétitives. Léa s’efforçait de se concentrer sur ses projets, sur les lignes droites et les courbes qu’elle traçait, sur les plans qu’elle ajustait au millimètre… mais son esprit vagabondait inlassablement. Il s’échappait dès qu’elle relâchait sa vigilance, la projetant dans des paysages inconnus, des villes vibrantes, pleines de vie, où elle pourrait se perdre et renaître. Elle rêvait d’errances dans les ruelles d’une ville étrangère, du goût de l’inconnu, de la chaleur d’un regard nouveau. Elle rêvait de liberté, d’un souffle frais qui balayerait la monotonie devenue étouffante.À mesure que les heures s’écoulaient, elle se sentait s’éloigner d’elle-même. L’écran devant elle n’était qu’un mur opaque, et derrière, se dessinaient les contours flous d’une femme fatiguée de lutter contre une vie trop étroite.Lorsque la fin de la journée arriva, Léa était épuisée. Mais ce n’était pas une fatigue physique. C’était plus profond. Un é
Après avoir englouti une dernière bouchée de tartine, Thomas se leva sans un mot de plus. Il ajusta les manches de sa chemise, attrapa machinalement sa veste sur le dossier de la chaise, puis s’approcha de Léa.Il déposa un baiser rapide sur son front, presque machinal. Un geste devenu routinier, vidé de son sens.— À ce soir, murmura-t-il.Léa ne répondit pas. Elle ferma les yeux un instant, savourant malgré elle la tiédeur fugace de ce contact, en se demandant depuis quand ce baiser ne lui faisait plus rien.La porte d’entrée se referma dans un cliquetis discret, et le silence retomba.Elle resta là, seule à la table, les mains autour de sa tasse désormais tiède. L’odeur du café flottait encore dans l’air, mais elle lui paraissait étrangère.Tout dans cet appartement semblait rangé, propre, organisé… sauf son cœur.Léa se prépara pour la journée. Elle se regarda dans le miroir de la salle de bain, scrutant le reflet qui lui faisait face. Son visage gardait une douceur familière, mai
Le doux chant du matin se mêlait aux premiers rayons de soleil qui filtraient à travers les rideaux légers de l’appartement de Léa. Un filet de lumière caressait les draps blancs, réchauffant l’air encore frais de l’aube. Léa émergea lentement de son sommeil, ses paupières encore lourdes de rêves flous et fuyants. La chambre, décorée de manière minimaliste, reflétait son goût pour la simplicité : des murs blancs, une étagère remplie de livres d’architecture soigneusement classés, et une plante verte, unique touche de vie, qui semblait étrangement prospérer malgré le peu de lumière.À ses côtés, Thomas, son fiancé, dormait paisiblement. Son torse se soulevait à un rythme régulier, presque hypnotique. Léa le contempla un instant. Ses traits détendus auraient pu l’émouvoir, autrefois. Maintenant, elle ne ressentait plus grand-chose. Ou plutôt, elle ressentait trop, mais rien de ce qu'elle aurait souhaité : de la lassitude, un sentiment d’étouffement diffus, une mélancolie silencieuse. El