LOGINAURORALe jour suivant la Nuit des Crocs, la forteresse est étrangement silencieuse. Une chape de lassitude pesante semble étouffer les bruits habituels. Les regards croisés dans les couloirs sont lourds de sous-entendus, de souvenirs partagés d'une terreur à peine surmontée. Moi, je marche comme une automate, les membres raides, l'esprit hanté par l'image d'Alessandro luttant contre son propre corps, contre son âme.Greco me trouve au petit matin, alors que je tentais de nettoyer les traces de boue séchée laissées par les allers-retours des gardes.—Toi, me lance-t-il d'un ton qui n'admet pas de réplique. Avec moi. Le Roi est… indisposé. Tu as d'autres choses à apprendre que récurer les sols.Il m'emmène non pas dans la cour d'entraînement, mais dans une salle annexe, une sorte de cellier voûté et sombre, sentant la terre et les racines. Des armes sont alignées contre le mur, non pas des lames étincelantes, mais des outils : des couteaux à désosser lourds et émoussés, des haches à fe
AURORALa tunique d’Alessandro est trop grande. Elle m’enveloppe comme un linceul, son odeur , bois brûlé et nuit sauvage , imprégnant le tissu, m’enveloppant à mon tour. Une marque invisible. Je dors par à-coups, blottie dans un recoin des quartiers des Ombres, un dortoir glacial où les serviteurs s’entassent pour la chaleur. Les gémissements des autres ne me dérangent pas. Ils sont le chœur de ma propre douleur.La douleur. Le baume d’Alessandro est une sorcellerie. L’infection a reculé, la fièvre est tombée, laissant place à une sensibilité à vif, comme si la chair neuve était trop fine, trop tendre pour le monde. Chaque mouvement est un rappel de ses mains sur moi. De la déchirure. De l’humiliation. Et de cette… réponse. Ce frémissement bestial au fond de mon être que je refuse de nommer.Je suis réveillée en sursaut par un hurlement.Ce n’est pas un cri humain. C’est un son qui déchire la nuit, profond, rauque, chargé d’une rage si pure qu’elle gèle le sang dans mes veines. Il vi
AURORALes cuisines sont un enfer de suie et de graisse. Greco m’a abandonnée ici avec un seau d’eau croupie, une brosse aux poils râpeux et un ordre simple : « Tout est à récurer. Les sols, les murs, les chaudrons. Jusqu’à ce que tu puisses te voir dedans. »Ma blessure crie à chaque mouvement. Le goût du sang cru est toujours dans ma bouche, une souillure intime. Je plonge les mains dans l’eau glacée, et la première fois que je frotte la pierre noircie par la fumée, un gémissement m’échappe. La sueur se mêle à la saleté sur mon front. Je ne suis plus qu’un corps qui souffre, un outil usé.Des serviteurs, d’autres Ombres, vont et viennent. Ils me jettent des regards furtifs, mais personne ne me parle. Je suis la nouvelle. La chose du Roi. Intouchable.Les heures passent, déformées par la douleur et l’épuisement. Mes genoux sont en sang à force de frotter le sol. Mes doigts sont gourds, la peau à vif. Je nettoie la crasse des autres, les restes de leur festin sauvage. Chaque tache de
AURORALe froid de la pierre a pénétré mes os. Je suis toujours étendue là, dans le sable humide de la cour, une poupée de chiffon brisée. La douleur dans mes côtes est devenue une présence constante, un compagnon rongeant qui pulse à chaque battement de mon cœur. Ils m'ont laissée ici. Ignorée. Comme si j'étais déjà morte.La lumière du jour qui filtrait par l'ouverture zénithale a faibli, laissant place à une lueur d'un bleu profond et menaçant. Des torches ont été allumées, projetant des ombres dansantes et difformes sur les murs de la fosse. L'air, déjà lourd, s'est alourdi davantage, chargé d'une nouvelle tension, d'une excitation sauvage.Ils reviennent. Pas pour s'entraîner cette fois. Ils affluent par les passages souterrains, Lycans des deux sexes, certains encore frémissants de leur transformation récente. Leurs rires sont plus libres, leurs gestes plus relâchés, mais leurs yeux brillent d'une lueur que je commence à reconnaître. La faim.On traîne au centre de la cour de lo
AURORALa poigne du garde me laboure le bras. Nous quittons les quartiers silencieux, taillés dans la pierre brute, pour pénétrer dans les entrailles vivantes de la forteresse. L'air change. Il devient épais, chargé d'odeurs entremêlées : sueur, viande crue, et cette odeur de fauve, plus forte, plus animale. Des bruits nous parviennent, assourdis d'abord, puis de plus en plus distincts. Des rires rauques, des grognements, le choc sourd des corps.Nous débouchons dans une galerie en surplomb, dominant une cour intérieure immense, creusée à même la montagne. Le spectacle qui s'offre à moi me fige le sang.En bas, c'est la fosse aux lions.Des Lycans, des dizaines, s'affrontent dans un chaos organisé. Certains, sous leur forme humaine, combattent à mains nues, une violence brute et acérée. D'autres laissent leur peau se craqueler, leurs muscles se tordre, leurs os se réarranger dans un bruit de branches qui cassent, pour révéler la Bête. Des loups géants, aux crocs luisants de bave, aux
AURORALa pierre est froide sous mes paumes. Humide. Je compte les fissures du sol de la cellule, un exercice vain pour fixer mon esprit qui vacille. Combien de temps se sont-ils écoulés depuis qu'ils m'ont jetée ici ? Une nuit ? Deux ? Le temps n'a plus de prise dans ce trou noir, où la seule lumière filtre d'une étroite meurtrière trop haute pour espérer y atteindre.Mes côtes me lancent à chaque inspiration. La blessure de Lorenzo, mal refermée, pleure sous l'épaisseur des chiffons sales qui me servent de bandage. La fièvre commence à gagner du terrain, un feu sourd qui couve sous ma peau. Je ferme les yeux, et je revois son regard. Non pas celui de Lorenzo, lâche et traître, mais celui de l'Autre. Alessandro. Le Roi Lycan.Ses yeux. De l'ambre liquide, strié de noir. Ils m'ont déshabillée, écorchée vive, bien plus efficacement que les mains de ses gardes. Il ne m'a pas touchée. Il s'est contenté de me regarder, du haut de son trône d'obsidienne, tandis que ses hommes me traînaient







