OÙ LA LUNE SE SOUVIENT

CHAPITRE 1— La Nuit où j'ai tout perdu

Point de vue de Céleste

« Plus qu'une heure. Et il sera tout à moi. » murmurai-je en me mordant les lèvres tandis que je fixais la lune d'un regard rêveur, imaginant toutes les surprises que Damon me réservait ce soir.

« C'est forcément l'élu, pas vrai, Sélène ? » demandai-je à la lune, sentant le poids de ses rayons se déverser sur ma silhouette, faisant scintiller le satin de ma robe comme si on y avait soufflé des paillettes.

Je serrai les mâchoires, le silence m'envahissant, me rappelant que la lune n'était pas assez partiale pour me répondre.

Aussitôt, mon attention se porta sur les nuages ​​qui s'écartaient lentement, laissant la lune enfin dégager le passage sous mon rebord de fenêtre, révélant une partie de l'endroit où mon destin me réserverait.

La cérémonie d'accouplement allait avoir lieu juste sous la lune.

 Me mordant les lèvres, je lissai les bords de ma robe pour la centième fois ce soir, prétextant que ma robe était difficile à porter – alors qu'en réalité, c'était moi qui peinais à lutter contre le sentiment tenace qui me rongeait les entrailles depuis vingt minutes.

Mon cœur battait plus vite contre ma cage thoracique et ma gorge s'asséchait peu à peu, malgré tous mes efforts pour me lécher les lèvres.

Ce soir, tout allait changer pour moi dans la meute. Pourquoi ?

Parce que Damon, l'Alpha en devenir… non, mon meilleur ami et amant, allait être désigné comme mon compagnon. Il allait me choisir comme compagne devant les autres.

Je me mordis la lèvre pour cacher mon sourire, mais comme pour tout le reste, j'étais incapable de le faire.

Apparemment, nous avions grandi ensemble depuis l'enfance, nous étions devenus trop attachés l'un à l'autre malgré nos rangs – lui comme futur Alpha, et moi comme… eh bien, la paria.  Il n'était pas comme les autres, cependant. Il me traitait différemment, comme si j'étais n'importe quel loup normal.

Seulement, il avait rendu les choses plus spéciales.

De m'avoir sauvée des punitions à m'avoir fait sortir en douce pour regarder une pluie de météores sous les étoiles.

C'était magique. Ce qui nous unissait était magique, indestructible.

Et il l'a confirmé lorsque nous avons réussi à nous faufiler pour la troisième fois sous les étoiles, en m'embrassant pour la première fois, le regard marron obsédé et les joues rouges, tandis qu'il murmurait entre nos respirations saccadées : « Tu seras toujours à moi, Céleste. Je veux que tu sois ma compagne. Que tu sois ma Luna quand nous serons majeurs. »

Un coup de klaxon retentissant m'a soudainement tirée de ma transe, me forçant à me gonfler les joues et à me regarder une dernière fois dans le miroir.

Il était temps, ce qui signifie… Damon et les autres Alphas sont arrivés !

« OK, je suis prêt. »  Je dis cela à personne en particulier, fixant mes magnifiques yeux verts dans le miroir, remarquant l'étrange frémissement de mes lèvres.

Si seulement je l'avais…

*****

La foule autour de moi vibrait de vie et d'excitation, leurs yeux brillant d'impatience les uns envers les autres tandis qu'ils humaient l'air à la recherche d'indices.

Rassemblant enfin mon courage, je retins mon souffle et descendis l'escalier en colimaçon, mon léger parfum se faisant lentement sentir.

Ne pense pas à eux, Céleste. Pense à Damon. Ton âme sœur.

Comme si j'avais immédiatement senti mon odeur, je les vis se tourner vers moi avec de grands yeux curieux.

Les ragots ne tardèrent pas à commencer, mais malgré cela, je gardai la tête haute.

« Elle a l'air trop sûre d'elle pour ce soir », murmura quelqu'un.

« Tu crois que Damon la choisira ? » murmura un autre.

 Ma poitrine se serra instantanément à cette question, même si j'en connaissais déjà la réponse.

« Bien sûr qu'il le fera ! Ils sont littéralement inséparables ! Tu n'as pas vu comment notre Alpha la regarde en public ? »

Je jetai un coup d'œil en direction de la dernière personne, mais je reçus trois regards noirs autour d'elle.

D'habitude, je tremblerais et gigoterais sous leurs regards, mais là, rien de tout cela n'avait d'importance. Surtout que j'allais être leur Luna.

« Tu es magnifique, Céleste. » Une petite voix familière s'éleva à mes côtés, me faisant sursauter d'excitation en fixant ses yeux verts souriants.

« Grand-mère ! Oh mon Dieu, quand es-tu venue ici ? Tu n'aurais pas dû, on dirait le bout du monde chez toi ! » Je criai et entourai sa silhouette ricanante de mes bras, souriant de soulagement d'avoir un visage familier et amical, différent des autres.

 « Eh bien, je ne pouvais pas manquer la cérémonie de ma petite-fille maintenant. » Elle rit doucement et me tapota le dos. « Et ça fait un bail que je n'ai pas vu Damon. »

« Damon… » Je m'écartai lentement, les joues rouges. « Ça te va ? Avec nous ? »

« Bien sûr, ma puce », dit-elle en repoussant une mèche de cheveux derrière mes oreilles avec un sourire malicieux. « Ton bonheur est le mien. Je doute que Damon puisse te tenir éloignée de ses pattes ce soir. »

« Grand-mère ! » Mes joues brûlèrent, mais elle se contenta de faire un signe de tête avec un sourire malicieux.

Je veux dire, Damon n'est pas aveugle. N'importe qui pouvait voir qu'il était le partenaire idéal. Courageux, protecteur, de sang Alpha… aimant.

Pourtant, il avait choisi de m'aimer parmi les autres. Tout le monde le savait.

Du moins, c'est ce que je me disais.

Puis, enfin, les tambours retentirent – ​​un rythme lent et pulsé qui ne fit qu'accroître l'impatience dans ma poitrine – et, tel un rêve, la foule mouvante s'écarta lentement autour de nous, révélant les personnes qui approchaient.

Ô Déesse, c'est enfin l'heure ! Oui ! S'il te plaît, fais de Damon mon compagnon, Déesse de la Lune. Nous sommes ensemble depuis toujours.

« Ouvre les yeux, Belle au bois dormant. » Une voix familière me murmura à l'oreille.

J'eus le souffle coupé lorsque son parfum masculin me submergea en un instant.

« Damon ? » Mes yeux s'ouvrirent lentement et je relevai la tête vers lui.

Déesse, il était encore plus beau que je ne l'aurais cru. Ses épaules fortes et fermes se dessinaient sous son costume, ses cheveux noirs courts et ébouriffés pour un look soigné, et ses yeux marron foncé me fixaient.  Il m'observa du regard, me faisant sursauter de ma gêne lorsque je remarquai que son sourire ne s'adressait pas à moi, mais à la foule.

« Tes mains, Céleste. »

Mon sourire s'élargit lorsque je le lui ai posé sans hésitation, observant le silence soudain de la foule tandis que nous nous dirigions vers l'autel.

Waouh, il voulait vraiment qu'on passe en premier ! Être les premiers couples accouplés était toujours synonyme de chance ! Il voulait vraiment que ce soit spécial, hein.

Et juste au moment où les rayons de lune scintillaient sur nous, une vague de chaleur et de désir me parcourut les veines, m'attirant instantanément vers l'homme que je tenais.

À cet instant, nos regards se croisèrent, mais un seul de nous souriait et sautillait d'excitation.

L'espace d'une seconde, je jure que quelque chose brilla dans son regard. Quelque chose de doux et de remords, comme s'il ne voulait pas me lâcher.

« Damon ? Qu'est-ce qui ne va pas ? »

 Puis ses lèvres se sont retroussées en un sourire, mais cette fois, ce n'était pas celui que j'avais toujours rêvé de voir.

« Moi, Damon Blackthorne », commença-t-il, attirant immédiatement l'attention de la foule sur nous.

Des frissons me parcoururent l'échine lorsque ses yeux sombres et froids croisèrent brièvement les miens, et la chaleur de son contact se chargea soudain de malice.

« Te rejeter, Celeste Rivera, comme compagne. »

Les mots me transpercèrent. Forts, impitoyables, douloureux comme si quelqu'un avait plongé une main en moi et m'avait arraché le cœur.

J'ai eu le souffle coupé tandis que je reculais sous le choc, m'appuyant à peine contre l'autel pour me soutenir, à bout de souffle. Non, il ne venait pas de dire ça. J'ai dû mal entendre. J'ai dû…

« Je ne m'attacherais jamais à un voyou sans loup. » Sa voix se durcit lorsqu'il cracha ces mots, le venin dans le ton.  « Une paria ne fera que mettre ma vie et ma meute en danger. »

Des exclamations de surprise parcoururent la foule, comme si ce soir-là était devenu une série télévisée. Mes détracteurs trouvèrent enfin le moment idéal pour s'en prendre à moi.

« Elle n'a même pas encore eu son loup… Qu'est-ce qui lui a pris de croire qu'elle pourrait avoir l'Alpha ? »

« Pathétique. C'est ce qu'elle est. Elle l'a toujours été, et elle le sera toujours. Elle doit être complètement délirante. »

« Pensait-elle vraiment qu'il l'aimait ? Enfin, il la regardait différemment, mais le pensait-il vraiment ? »

« Vu que notre Alpha obtient toujours ce qu'il veut… pfft, peut-être qu'elle était tellement coincée au lit. »

Ma poitrine s'est finalement effondrée à ces derniers mots, l'air s'échappant de mes poumons, je suis tombée à genoux, ignorant les rires moqueurs et les huées qui ont suivi.

 Mes lèvres s'entrouvrirent pour lui crier dessus, mais seuls des sons brisés en sortirent : « D… Damon… s'il te plaît, ne fais pas ça. Quoi que j'aie fait, je suis désolé ! Je vais… »

« On dirait que tu ne m'as pas bien entendu, Céleste. Tu n'es rien pour moi et mon loup. En fait, tu l'as toujours été – tu ne pensais juste pas être mon âme sœur. Et ce n'est pas parce que nous étions destinés à être amis que tu es celle qu'il me faut. Ne rends pas les choses plus difficiles. Enfin, ce n'est pas comme si je t'avais banni. » Son regard était différent de celui qu'il m'avait montré. Il était froid, définitif, jugeant.

Comme tous les autres.

Un rire éclata quelque part derrière moi, saccadé et impitoyable. D'autres se contentèrent de fixer du regard, leur pitié brûlant aussi profondément que l'humiliation résonnant au plus profond de mes os.

 Et quelque part sur la droite, ma grand-mère a essayé de m'attraper, mais j'ai reculé en titubant, encore sous le choc et la douleur cuisante de la trahison, étouffant les larmes qui me montaient lentement à la poitrine.

Même grand-mère me regarde avec la même pitié. Je dois vraiment être aussi pathétique.

Il n'en a pas fallu plus pour que les larmes coulent sur mes joues tandis que je tournais les talons, trop honteuse pour me retourner et faire semblant d'être la fille sûre d'elle.

Les torches autour de la meute se sont peu à peu teintées de couleurs vacillantes dans mon champ de vision à mesure que j'avançais. Ma robe s'est accrochée aux branches, mes doigts ont picoté contre les rochers acérés, mais je ne me suis pas arrêtée.

Vauriculaire sans loup.

Même un Oméga ne méritait pas cette insulte.

Cette phrase m'a mordue, encore et encore, jusqu'à ce que ce soit le seul mot que j'entende Damon murmurer chaque soir.

 Un choc soudain contre quelqu'un m'a immobilisée en plein vol, ma main tendue pour lui caresser le visage.

Mais soudain, j'ai réalisé que l'odeur était différente – pas masculine, mais naturelle – et je me suis reculée, surprise, désorientée et vulnérable.

Une magnifique paire d'yeux dorés me fixait. Ils étaient sombres, intenses, inquisiteurs. Aucune moquerie. Aucune pitié. Juste… quelque chose d'autre me regardait. Quelque chose d'inconnu.

Cependant, la réalité m'a rattrapée lorsqu'il a levé la main pour me toucher. Sans hésitation, j'ai reculé et reculé lentement, la gorge serrée par un autre sanglot.

Il est comme eux. Il va m'humilier. Tous.

J'ai pris un autre chemin, les joues couvertes de larmes de colère, les poumons endoloris par le temps que j'avais passé à courir. Plus de deux heures maintenant. Assez loin pour être proche de ce que j'avais toujours connu comme mon foyer.

 Et maintenant que j'étais rejetée… peut-être une rebelle aussi… comment allais-je survivre ? Qu'allais-je faire sans mon loup, sans… compagnon, sans meute ?

Rien. Absolument rien.

Dévastée, je pressai une main contre ma poitrine, la douleur ne faisant qu'empirer. Je n'étais rien pour lui. Il m'avait créé un espace sûr et me l'avait arraché de ses propres mains. Il était mon premier baiser et mon premier amant ! Il était venu à moi lui-même ! Je ne méritais pas ça, Sélène ! Je n'ai fait de tort à personne !

Je rejetai la tête en arrière, fixant la lune maudite à travers mes yeux rougis. La même lune maudite qui m'avait liée à cet homme sans cœur et qui m'avait vue devenir obsédée par lui dès l'enfance.

 Ma voix était rauque, à peine audible, mais cela ne m'a pas empêché de faire mon vœu ce soir-là : « Si c'est ce que je suis… si c'est tout ce que je serai jamais… »

Mes ongles s'enfoncèrent dans l'écorce de l'arbre jusqu'à me piquer.

« …alors à partir de maintenant… je ne veux plus être revu. »