LOGINIsabella
Je me réveille dans une chambre blanche. L'odeur de l'antiseptique, la lumière tamisée, la douleur sourde dans ma poitrine. Tout me rappelle que je suis vivante.
— Maman !
La petite voix me fait tourner la tête. Leo se jette contre moi, mais s'arrête juste avant, se souvenant de ma blessure. Ses yeux sont rougis, mais il sourit.
— Tu es réveillee ! Le docteur a dit que tu allais bien.
Je caresse ses cheveux, incapable de parler. Derrière lui, Alessio se tient debout, appuyé contre le chambranle de la porte.
— Bienvenue parmi nous, Isabella.
— Où... où sommes-nous ?
— Dans un endroit sûr. Loin de Dario.
Les souvenirs reviennent par vagues. Le couloir. Viktor. Le coup de feu. Dario... Dario nous laissant partir.
— Combien de temps... ?
— Trois jours. Tu as perdu beaucoup de sang, mais la balle n'a touché aucun organe vital.
Je ferme les yeux, épuisée. Trois jours. Trois jours de liberté volés au cauchemar.
— Et Dario ?
— Il nous a laissé partir. Il a gardé ses hommes occupés pendant que nous nous échappions.
Je ne peux y croire. Après toutes ces années de lutte, c'est lui qui nous a finalement libérés.
Dario
La villa est trop silencieuse. Chaque écho de mes pas me rappelle leur absence. J'ai envoyé mes hommes ailleurs, besoin d'être seul avec mes démons.
Le médecin m'a appelé hier. Isabella est hors de danger. Leo va bien. Ils sont en sécurité avec Alessio.
Je devrais être en rage. J'ai perdu ma femme, mon fils, mon honneur. Pourtant, une étrange paix m'habite.
Je marche jusqu'à la chambre d'Isabella. Son parfum flotte encore dans l'air. Je m'assois sur le lit, prenant l'oreiller qu'elle serrait contre elle.
Tous ces années, j'ai cru la posséder. Mais c'est elle qui me possédait. Chaque battement de mon cœur résonnait au rythme du sien.
Je sors mon téléphone. Un seul message à envoyer.
Isabella
Une semaine plus tard. La clinique est devenue notre refuge temporaire. Leo joue dans le jardin sous la surveillance d'un garde d'Alessio. Je me promène lentement, ma blessure encore douloureuse.
Alessio m'a tout expliqué. Comment Dario a couvert notre fuite. Comment il a fait croire à notre mort pour nous protéger.
— Tu es libre, Isabella, me dit-il en me rejoignant. Vraiment libre cette fois.
— Libre de faire quoi ? Ma vie entière a été définie par lui.
— Maintenant, tu peux la définir toi-même.
Je regarde Leo rire en courant après un papillon. C'est pour cette vision que j'ai lutté si longtemps. Mais la victoire a un goût amer.
Mon téléphone vibre. Un numéro inconnu, mais je reconnais le code. Dario.
Comment va Leo ?
Les larmes me montent aux yeux. Même maintenant, il pense d'abord à lui.
Il va bien. Il te demande.
La réponse vient immédiatement.
Dis-lui que je voyage pour les affaires. Qu'il prenne soin de sa mère.
Je montre le message à Alessio.
— Il vérifie que vous allez bien, commente-t-il. Dario sera toujours Dario.
— Dois-je répondre ?
— C'est à toi de décider. Tu es libre, Isabella. De tes choix, de tes réponses, de ta vie.
Je regarde le message, puis Leo. Je pense à toutes ces années de peur, mais aussi aux moments de passion. À la complexité de nos cœurs qui refusent de haïr complètement ceux que nous avons aimés.
Dario
Je attends sa réponse comme un condamné attend sa grâce. Quand le téléphone vibre, mes mains tremblent.
Il va bien. Il te manque. Moi aussi.
Trois phrases qui me brisent et me reconstruisent en même temps. Elle me manque. Après tout ce que j'ai fait.
Je marche jusqu'au bureau, prenant le document que j'ai préparé. Les divorce papers. Signées. Libérée de tous liens avec moi.
Je les photographie et les envoie.
Tu es libre, Isabella. Légalement, financièrement, complètement. Les comptes en Suisse sont à ton nom. Prends soin de notre fils.
La réponse met longtemps à venir.
Pourquoi ?
Une question si simple. Une réponse si complexe.
Parce que l'amour ne possède pas. Il libère. J'ai mis trop de temps à le comprendre.
Je pose le téléphone. C'est fini. Le chapitre Dario et Isabella est clos.
Dehors, la nuit tombe. Pour la première fois, j'affronte la vérité : j'étais autant prisonnier qu'elle. Prisonnier de ma possessivité, de ma jalousie, de ma peur de perdre ce qui n'a jamais vraiment été à moi.
Isabella
Je pleure en lisant ses messages. Les divorce papers. L'argent. Les mots qui libèrent.
— Qu'y a-t-il ? demande Alessio inquiet.
— Il me laisse partir. Vraiment.
— C'est ce que tu voulais, non ?
Je hoche la tête, incapable d'expliquer la douleur qui m'étreint. Vouloir la liberté et l'obtenir sont deux choses différentes.
— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?
Je regarde Leo qui court vers nous, son visage illuminé par le bonheur simple d'être un enfant.
— Je vais lui apprendre à vivre sans avoir peur. Et peut-être... m'apprendre à vivre moi-même.
Alessio me tend une enveloppe.
— Tes nouveaux papiers. Isabella Rossi n'existe plus. Tu es Sofia Conti maintenant. Leo est Lorenzo.
Je prends les documents. Une nouvelle identité. Une nouvelle vie. Tout ce pour quoi j'ai lutté.
— Merci, Alessio. Pour tout.
— Je t'ai toujours aimée, tu sais. Même quand tu étais à lui.
Je baisse les yeux. Je le sais. Mais mon cœur est trop meurtri pour aimer à nouveau.
— Donne-moi du temps.
— Prends tout le temps qu'il te faut. Je serai là.
Quand il part, je reste seule avec Leo et mes pensées. La liberté est devant moi, vaste et terrifiante.
Je prends mon téléphone une dernière fois. Un dernier message à envoyer. Pas à Dario, mais à moi-même. À la femme que je vais devenir.
Je ne serai plus jamais une prisonnière. Ni de l'ombre, ni du passé, ni de l'amour.
Je jette le téléphone dans la fontaine. Le passé meurt dans ses profondeurs.
Quand je prends la main de Leo pour rentrer, je ne regarde pas en arrière. Devant nous s'étend l'inconnu, magnifique et effrayant.
Mais pour la première fois, cet inconnu nous appartient.
Dario Je lève les yeux, mon visage trempé de larmes. Ses yeux à lui sont humides aussi. Je ne l’avais jamais vu pleurer. Pas même dans les pires colères ou les plus grandes douleurs. La vue de ces larmes silencieuses sur les joues de cet homme de pierre est plus bouleversante que tous ses discours.— Pourquoi ? chuchoté-je. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas avant ?—Parce qu’avant, je pensais que te posséder, c’était t’aimer. Parce que je croyais que la peur était le ciment le plus solide. Et puis tu es partie. Et le monde est devenu… silencieux. Un silence si épais que je n’entendais plus que l’écho de tout ce que je t’avais fait. Et cet écho… c’était insupportable. Plus insupportable que ton absence.Il baisse la tête, regardant ses mains, ces mains qui ont tant caressé et tant blessé.—Je ne peux pas devenir un autre homme. Je suis celui qui a fait ça. Mais je peux… devenir un homme qui choisit, chaque jour, de ne plus le faire. Un homme qui apprend, maladroitement, à aimer sans
DarioJ’ouvre.Elle est là, trempée, une fine veste de pluie sur un simple jean et un pull. Elle n’a pas cherché à s’habiller pour impressionner. Elle est venue en archéologue, prête à déterrer des ossements. Son regard ne se pose pas sur moi en premier, mais passe par-dessus mon épaule, scrutant l’entrée, le grand escalier, comme si elle cherchait des traces de sang sur le marbre.— Entre, dis-je, en m’effaçant.Elle marche lentement, ses pas feutrés sur le sol. Elle respire profondément, comme pour humer l’air. Cherche-t-elle l’odeur de la crainte, de la violence ? Je ne sais pas.— C’est différent, remarque-t-elle enfin, ses yeux se posant sur le vase de lys posé sur la console.—Pas assez.—Non.Elle avance jusqu’au salon. Son regard est partout. Elle s’arrête devant la cheminée, là où une immense toile abstraite, aux couleurs sombres et aux angles tranchants, trônait autrefois. À la place, il y a un miroir ancien, et sur le manteau de la cheminée, une simple photographie encadrée
IsabellaLes semaines qui suivent la rencontre dans la nuit sont une étrange période de suspension.Le livre des constellations devient le préféré de Leo. Chaque soir, nous « visitons » une nouvelle page. La Grande Ourse, Orion, Cassiopée. Il prononce les noms avec une gravité concentrée, son petit doigt suivant les lignes pointillées qui relient les étoiles. Il ne demande plus si Alessio reviendra. Il parle parfois de « l’autre papa », celui qui connaît les histoires du ciel.Moi, je visite un ciel intérieur bien plus chaotique.Dario respecte sa parole. Il n’appelle pas. Il n’apparaît pas. Pourtant, sa présence est palpable, subtile, à la limite de la perception. Une fois, une glacière de produits frais et de plats préparés par un traiteur réputé est déposée devant ma porte. Une autre fois, c’est un jeu de construction complexe, du genre qui développe la logique – exactement ce qui fascine Leo. Pas de carte. Juste l’intention silencieuse, pratique, qui devine nos besoins avant même
IsabellaLa nuit tombe. Leo est endormi, le livre des constellations posé sur sa couverture, un doigt posé sur la Grande Ourse. La paix sur son visage me déchire.Je ne peux pas rester ici, dans ce silence qui ressemble à une tombe. Je dois sortir. Respirer un air qui ne sente pas le regret.Je laisse une note à la baby-sitter, une étudiante de confiance qui habite l’étage du dessous, et je m’engouffre dans la nuit fraîche de la ville. Je marche sans but, laissant le bruit de la vie nocturne me submerger. Des rires, des verres qui s’entrechoquent, le grondement des moteurs. La normalité.Je me retrouve sans y penser devant la galerie d’art où Alessio m’avait emmenée pour notre premier vrai rendez-vous. La vitrine est éclairée, mettant en valeur une sculpture abstraite, pleine de courbes et de tensions. C’était ici qu’il m’avait parlé de beauté fragile, de secondes chances.La douleur revient, aiguë, sincère. Je l’aimais. D’un amour différent, plus simple. Un amour qui promettait le jo
IsabellaLes jours qui suivent la rupture sont un brouillard gris.Chaque matin, je me réveille avec le même poids sur la poitrine, comme si une pierre s’était logée entre mes côtes. Le silence de l’appartement, autrefois paisible, est devenu oppressant. Leo, lui aussi, porte le chagrin comme un vêtement trop lourd. Il pose moins de questions, joue plus doucement, me serre plus souvent la main, comme s’il craignait que je ne disparaisse, moi aussi.Alessio avait été une promesse. Une promesse de normalité, de chaleur, d’un amour qui ne coupait pas le souffle mais qui le rendait plus facile. Il avait été la preuve que je pouvais être aimée pour autre chose que ma résistance ou ma soumission. Et je l’ai laissé s’éteindre.Je ne réponds pas aux appels de Viktor, dont les messages deviennent de plus en plus pressants. Le monde extérieur et ses jeux de pouvoir me semblent soudain dérisoires, lointains. Tout ce qui reste, c’est ce vide immense que j’ai creusé de mes propres mains.Pourtant,
AlessioJe les observe de loin,caché par le tronc d'un vieux chêne. Une scène de famille. Insoutenable. Isabella, notre Isabella, debout près du banc. Et lui. Dario. Assis, se courbant pour être à la hauteur du gamin. Leur gamin.Mon cœur n'est plus un organe, c'est une boule de rage et de venin qui bat dans ma poitrine. J'avais cru. J'avais cru à son désir de liberté, à sa haine pour ce monstre. J'avais cru que j'étais son futur, le phare après la tempête. Et tout n'était que mensonge. Duperie.Elle m'a écarté. « Prends le temps qu'il te faut », lui ai-je dit. Quelle idiotie. Quel aveu de faiblesse. Pendant que je lui laissais de l'espace, elle lui rouvrait la porte. Elle lui présentait son fils.Le gamin lui tend un caillou. Dario le prend comme une hostie. Je crois voir ses épaules trembler. La comédie est parfaite. Elle est si bonne qu'Isabella, la brillante, la forte Isabella, y croit. Elle le regarde avec cette expression… Ce n'est plus de la peur. C'est de la pitié. De la compa







