Idriss sortait à peine du café où il avait rencontré Alia la première fois. Le goût amer de leur dispute lui collait encore à la bouche, et l’éclat de ses yeux furieux continuait de le hanter.
Il avait juré de ne pas donner suite. Pas de mariage, pas d’accord, pas de compromission. Alors pourquoi, deux jours plus tard, était-il assis dans le bureau impeccablement ordonné de Maître Ravel, le notaire de la famille ? Idriss croisa les bras, s’affalant légèrement sur le fauteuil en cuir. — Alors ? J’espère que c’est important, Maître, parce que je ne suis pas là pour parler déco de mariage. Maître Ravel, un homme aux cheveux poivre et sel toujours parfaitement coiffés, l’observa longuement. Puis il fit glisser un dossier beige sur la table. — Votre… refus, je le comprends. Mais vous devez savoir quelque chose. Idriss haussa un sourcil, agacé. — Vous pensez vraiment qu’un dossier va me faire changer d’avis ? — Ce n’est pas "un" dossier, Idriss. C’est votre dossier. Celui que conservait le père d’Alia. Et… disons que si ce contenu venait à être utilisé… votre vie pourrait prendre une tournure beaucoup moins agréable. Le ton de Maître Ravel ne tremblait pas. Ses mots étaient mesurés, presque cliniques. Idriss, lui, sentit son estomac se nouer. — Et qu’est-ce que vous insinuez ? — Rien. Je vous conseille seulement de réfléchir. Le mariage, deux ans… et vous ressortez libre, avec des avantages financiers conséquents. Ou… vous laissez ce dossier entre de mauvaises mains, et croyez-moi, il y a des gens qui paieraient cher pour le voir circuler. Idriss resta figé quelques secondes, les yeux fixés sur la chemise cartonnée. Il ne demanda pas à voir l’intérieur. Pas encore. Il savait que si Maître Ravel en parlait ainsi, c’était que le contenu était suffisamment explosif pour ne même pas être feuilleté ici. Finalement, il se leva, les mains dans les poches. — Transmettez à Mademoiselle Alia que je veux la voir. --- Chez Alia, quelques heures plus tard Le téléphone vibra sur la table basse. Alia leva à peine les yeux de son mug de thé, encore hantée par leur dernière rencontre. Elle vit le nom s’afficher : Idriss. — Tss… pour qui se prend-il, lui ? marmonna-t-elle. Elle laissa sonner. Une fois. Deux fois. Puis, agacée, décrocha. — Que voulez-vous ? — Mademoiselle Alia, il faut que nous parlions. — Ah, maintenant Monsieur veut me parler ? Après m’avoir regardée de haut pendant une heure l’autre jour ? Vous êtes en retard, Idriss. — J’ai… réfléchi. Elle rit, un rire sec et sans joie. — Non merci. Réfléchissez seul. Moi j’ai décidé d’oublier toute cette histoire. — Écoutez-moi. Ce mariage… je suis prêt à en discuter. Il y eut un silence au bout du fil. Alia fronça les sourcils. — Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? — Cela ne vous regarde pas. Pas pour l’instant. Mais si vous voulez sauver ce que votre père vous a laissé, nous devons trouver un terrain d’entente. Alia serra les dents. Une partie d’elle avait envie de raccrocher. L’autre savait que c’était peut-être sa seule chance. — Très bien. Une dernière rencontre. Mais si vous refaites votre numéro du prince arrogant, c’est moi qui partirai. Définitivement. --- Le lendemain, café discret du centre-ville Alia arriva en avance, vêtue d’un pantalon cigarette noir et d’un chemisier crème. Ses cheveux, parfaitement lissés, tombaient en cascade sur ses épaules. Elle voulait avoir l’air en contrôle, même si ses mains trahissaient une légère nervosité. Idriss entra cinq minutes plus tard. Costume bleu nuit, montre hors de prix au poignet, regard de marbre. Même en civil, il dégageait cette aura de supériorité agaçante. Il s’assit, posa son téléphone face contre table et la fixa. — Deux ans, pas un jour de plus. — Et pendant ces deux ans, pas d’interférence dans ma vie personnelle, répliqua-t-elle aussitôt. Il acquiesça. — Chacun garde sa liberté… sentimentale. — Et nous divisons clairement les biens. Ce qui est à moi reste à moi. Ce que vous gagnez, vous le gardez. Il esquissa un demi-sourire. — Vous êtes plus froide que je ne le pensais. — Et vous plus condescendant que prévu. On continue ? Ils passèrent plus d’une heure à poser des clauses : pas d’obligation de cohabitation complète, pas d’apparition publique autre que celles strictement nécessaires, et surtout une sortie propre au bout des deux ans, sans bataille juridique. Mais au fil des phrases, la tension revenait. — Pourquoi avez-vous changé d’avis ? demanda soudain Alia, le fixant droit dans les yeux. — Disons… que j’ai réalisé que refuser n’était pas dans mon meilleur intérêt. — Traduction : vous cachez quelque chose. Il haussa les épaules, mais son regard se durcit. — Nous avons tous nos secrets, Mademoiselle Alia. Et certains valent cher. — Eh bien moi, mes secrets, je ne compte pas les marier, cracha-t-elle. — Vous croyez que je suis enchanté de tout ça ? Je vous assure que j’ai mieux à faire que signer un contrat avec une femme qui me déteste déjà. Alia se redressa, le cœur battant. — Alors pourquoi êtes-vous là ? Idriss la fixa un instant, puis lâcha : — Parce que parfois, nous n’avons pas le choix. Leurs regards se défièrent longuement. Finalement, elle inspira profondément et tendit la main. — Deux ans. Et pas un jour de plus. Il hésita, puis serra sa main. — Marché conclu… pour l’instant. Mais alors qu’ils se levaient, un détail troubla Alia : ce bref éclat dans les yeux d’Idriss. Ce n’était pas juste de la contrainte. C’était autre chose. Une peur… ou un secret qui, tôt ou tard, finirait par remonter à la surface.La salle était silencieuse, presque solennelle, alors qu’Idriss et Alia se tenaient devant l’autel. Les fleurs blanches ornaient les colonnes, la lumière du soleil filtrait à travers les vitraux, jetant sur eux des éclats dorés. Les invités retenaient leur souffle. Alia, dans sa robe ajustée, le regard fixé sur Idriss, esquissa un sourire ironique. — Alors… tu n’es pas trop secoué par ta nuit d’hier ? demanda-t-elle à voix basse, les lèvres à peine remuées, comme si elle glissait un secret. Idriss fronça les sourcils, surpris. — Pardon ? — Tu as failli ruiner notre mariage en arrivant en retard, reprit-elle avec douceur mais un éclat piquant dans la voix. Va falloir surveiller tes apparitions publiques maintenant que monsieur est marié… ou presque. Il cligna des yeux, sincèrement perdu. — Je ne comprends pas de quoi tu parles. Mais le prêtre poursuivait, imperturbable, égren
Les jours s’égrenaient comme un sablier qu’on ne pouvait plus retourner. Le mariage approchait à grands pas, et pour Séréna, chaque matin était une gifle : Idriss restait insensible à ses tentatives, imperturbable, presque distant. Ce soir-là, dans le salon faiblement éclairé, Séréna était vautrée sur le canapé, bras croisés, mine renfrognée. Mireille, debout près de la fenêtre, fumait nerveusement une cigarette. — Trois jours… Trois petits jours et il sera marié, lâcha-t-elle en expulsant un nuage de fumée. — J’ai tout essayé, maman. Tout. Il ne me regarde même pas. Mireille se tourna vers elle, le regard dur. — Alors on passe au niveau supérieur. Séréna fronça les sourcils. — C’est-à-dire ? Mireille avança, baissant la voix comme si des murs pouvaient les trahir. — Si tu ne peux pas l’avoir, il faut quand même les séparer. Le mariage doit être annulé. Peu importe
Séréna claqua la porte derrière elle, un sourire triomphant accroché aux lèvres. Mireille, assise sur le canapé avec une tasse de thé, leva immédiatement les yeux. — Alors ?! demanda-t-elle, impatiente. Séréna lança son sac sur le fauteuil, s’assit à côté de sa mère et déclara avec fierté : — J’ai eu le poste. Les yeux de Mireille s’illuminèrent. — Je le savais ! Mon instinct ne me trompe jamais. Elles échangèrent un regard complice, presque conspirateur. — Maintenant, le jeu commence vraiment, continua Mireille, un sourire rusé aux lèvres. Tu vas tout faire pour qu’il te voie, qu’il te remarque, qu’il oublie complètement Alia. — C’est déjà prévu, répondit Séréna en croisant les jambes. Je vais m’infiltrer dans sa vie, petit à petit… — Tu dois être subtile, l’avertit Mireille. Pas de précipitation. Tu dois le séduire sans qu’il s’en rende compte. Et quand il ouvrira les yeux… il sera trop tard. Séréna acquiesça, déterminée. Ce soir-là, elles parlèrent longtemps, pe
Séréna n’était pas une employée comme les autres. Dès son premier jour, elle avait décidé de faire de chaque entrée dans l’entreprise un petit défilé de mode. Talons aiguilles claquant sur le sol en marbre, tailleurs cintrés toujours un peu plus courts ou échancrés que le dress code ne l’autorisait, parfum capiteux laissant une trace derrière elle comme un sillage calculé. Sa marche était lente, presque chorégraphiée, ponctuée d’un balancement de hanches maîtrisé. Elle ne disait jamais un simple “bonjour” : avec elle, c’était “Bonjour Idriss”, accompagné d’un sourire appuyé et d’un regard qui s’attardait une seconde de trop. Dans les couloirs, ses collègues chuchotaient. Certains la trouvaient charmante, d’autres clairement agaçante. Mais Séréna s’en fichait. Elle n’était pas venue pour se faire des amis. Avec Idriss, elle usait d’un ton mi-professionnel, mi-séducteur. Parfois, elle déposait des dossiers sur son bureau en se penchant plus que nécessaire. Parfois, elle “oubliait” de
La nuit était tombée sur la ville, mais dans le salon de Mireille, les lumières restaient allumées. Séréna et sa mère étaient penchées sur un ordinateur portable, scrutant chaque détail de la vie d’Idriss. Elles avaient passé des heures à chercher des informations, à analyser son parcours, son entreprise, et les publications récentes qui pourraient leur donner un avantage. — Regarde ça ! s’exclama Mireille en pointant l’écran. Ils viennent tout juste de poster une offre d’emploi chez Morel Industries. C’est parfait ! dit-elle avec un sourire rusé. Séréna fronça les sourcils, hésitante. — Maman… je… je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Je n’ai même pas les compétences pour postuler à un poste dans une entreprise comme la sienne. — Ce n’est pas le problème, ma chérie, répondit Mireille avec fermeté. L’important, c’est de te rapprocher de lui. C’est le seul moyen de rester dans son cercle, de l’influencer… et de trouver une ouverture. Séréna soupira, peu convaincue. — M
Séréna entra précipitamment dans la maison familiale, le visage illuminé par l’excitation. Elle trouva sa mère, Mireille, assise dans le salon, un café à la main, et ne put contenir son agitation. — Maman ! s’exclama-t-elle en s’asseyant presque à la volée. Mireille leva les yeux, intriguée par l’enthousiasme de sa fille. — Qu’y a-t-il, ma chérie ? demanda-t-elle avec un sourire curieux. Séréna prit une profonde inspiration et parla d’une traite : — Je suis allée chez Alia aujourd’hui, et devine qui est venu ? L’homme qu’elle doit épouser… Idriss ! Il est incroyablement beau, maman ! J’en suis presque tombée sous le charme. Et je… je pense qu’il lui plaît aussi, mais je… je veux tout faire pour l’empêcher de l’épouser. Mireille posa sa tasse sur la table, un léger sourire malicieux se dessinant sur ses lèvres. — Je vois… tu ne veux pas que ta demi-sœur s’approprie ce… beau jeune homme. Eh bien, ma chérie, je pense que nous avons ici une opportunité. Séréna sentit son c