Le lendemain matin, la ville s’éveillait doucement, mais Lina, elle, n’avait pas fermé l’œil de la nuit.
Elle avait tourné, encore et encore, dans son petit lit trop étroit. Les mots d’Ethan résonnaient dans sa tête comme une chanson obsédante : > « Ce n’est pas fini. Pas pour moi. » Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de trouble. Sa vie, elle la menait comme une partition bien réglée : lever, travail, retour à la maison, petite sœur, silence. Pas de place pour l’imprévu. Pas de place pour les émotions incontrôlables. Et pourtant… il avait suffi d’un regard. D’un compliment sincère. D’un homme qui voyait au-delà de son uniforme. > “Tu as du talent.” Elle avait répété cette phrase à voix basse pendant des heures, comme une prière secrète. --- Quand elle arriva à l’hôtel ce soir-là, l’ambiance semblait plus tendue que d’habitude. Le personnel s’agitait discrètement, les voix étaient plus basses, les regards plus fuyants. Elle rejoignit rapidement le local technique pour prendre son chariot. C’est là qu’elle croisa Mariam, une femme de chambre plus âgée, réputée pour connaître toutes les rumeurs avant qu’elles ne sortent des murs. — Tu sais ce qu’il se passe ? demanda Lina en chuchotant. Mariam leva un sourcil, visiblement ravie d’avoir une audience. — Il paraît qu’un investisseur important va passer demain. Quelqu’un de très haut placé. Le genre à racheter un hôtel d’un seul coup de stylo. — Et ça concerne Ethan ? — Tout le monde est sur les nerfs à cause de ça. Et lui… je l’ai vu tout à l’heure, il n’avait pas l’air bien. Lina sentit une étrange pression lui serrer la poitrine. Elle avait du mal à s’expliquer pourquoi l’état émotionnel de cet homme l’atteignait autant. Elle ne lui devait rien. Il ne lui avait rien promis. Et pourtant… Elle continua sa tournée. Mais son esprit vagabondait. --- Plus tard dans la soirée, alors qu’elle rangeait le matériel dans la réserve, elle vit une enveloppe beige tomber d’un chariot mal rangé. Machinalement, elle se pencha pour la ramasser, pensant qu’il s’agissait d’un document administratif oublié. Mais en retournant l’enveloppe, son cœur se figea. À l’attention de : Lina Diouf Confidentiel Elle resta là, l’enveloppe entre les doigts, incapable de bouger. Ses yeux relisaient encore et encore son prénom, comme si c’était irréel. Qui avait pu lui écrire ? Et pourquoi de cette manière ? Elle regarda autour d’elle. Personne. Le couloir était vide. Elle glissa l’enveloppe dans la poche intérieure de sa veste, ferma discrètement la réserve, et attendit la fin de son service pour rentrer chez elle. --- Dans le bus du retour, ses mains serraient l’enveloppe comme un secret brûlant. Elle n’osa pas l’ouvrir tout de suite. Elle la posa devant elle, sur la table de la cuisine, et la fixa longuement. Puis, lentement, elle glissa un doigt sous le rabat et en sortit une feuille pliée. Une écriture soignée. Masculine. > **“Lina, Je sais que ce que je ressens est déplacé. Que je ne devrais pas m’intéresser à vous. Que le monde dans lequel je vis ne laisse pas de place à ce genre de… vérité. Mais je me dois d’être honnête, ne serait-ce qu’une fois. Depuis que je vous ai vue, je vous cherche dans chaque silence. Votre regard m’apaise. Votre présence me trouble. Et j’ignore encore si c’est un piège… ou une délivrance. Je ne vous demande rien. Je ne vous impose rien. Je voulais juste que vous sachiez que, dans un monde où tout s’achète, vous êtes la seule chose que je n’arrive pas à contrôler. — E”** Elle relut la lettre trois fois. Dix fois. Puis une onzième. Chaque mot vibrait en elle comme une note de musique trop longtemps retenue. Elle sentit ses yeux se remplir de larmes. Pas de peur. Ni de tristesse. Mais d’un bouleversement qu’elle n’avait pas vu venir. --- Le lendemain soir, elle arriva au Palace avec une boule au ventre. Il était là. Elle le savait. Elle le sentait. Et quand elle passa devant la grande baie vitrée du couloir central, elle le vit assis, seul, dans un fauteuil de cuir brun, lisant un dossier. Elle s’arrêta, un pas trop long. Et sans savoir pourquoi… il leva les yeux. Leurs regards se croisèrent. Comme si son cœur l’avait appelé. Il ne bougea pas. Mais son regard disait tout : As-tu lu ? Elle ne répondit pas. Pas encore. --- Plus tard dans la soirée, elle fut appelée pour faire un remplacement de dernière minute au salon privé du dernier étage. Quelqu’un avait renversé du vin sur la moquette neuve. Quand elle arriva, il n’y avait personne. Juste un silence profond, presque solennel. Elle commença à nettoyer les taches rapidement, concentrée, quand une voix douce retentit derrière elle : — Merci d’être venue. Elle se retourna lentement. Ethan. Il n’y avait plus de masque, plus de distance. Juste lui. Homme. Fragile. Vrai. — Ce n’est pas vous qui avez renversé du vin, dit-elle doucement. — Non. C’est moi qui ai demandé à ce qu’on vous appelle. Elle baissa les yeux. Son cœur battait à tout rompre. — Pourquoi cette lettre ? demanda-t-elle. — Parce que je ne pouvais plus me taire. Pas après ce que j’ai vu dans vos yeux. Il s’approcha lentement. — Vous m’avez rendu humain, Lina. Et je ne sais pas encore si je dois vous en vouloir… ou vous remercier. Elle eut un rire nerveux. — Je suis juste une femme de ménage. — Non. Vous êtes bien plus que ça. Il marqua une pause. — Mais je comprends si vous préférez que tout s’arrête là. Vous avez le droit de me dire non. Vous avez le droit de me fuir. Elle le fixa longuement. Elle avait mille raisons de fuir. Mille raisons de se méfier. Mais une seule de rester. Elle fit un pas vers lui. — Et si je vous disais… que je ne veux pas fuir ? Il ne répondit pas. Il la regarda. Intensément. Lentement. Puis il tendit la main. Et Lina, pour la première fois depuis des années, ne recula pas.La pluie s’abattait avec rage contre les vitres brisées de l’entrepôt, comme si le ciel lui-même voulait effacer leurs traces. Lina, debout au milieu des caisses empilées, serrait la clé USB dans son poing. Ses doigts tremblaient, mais pas de froid : c’était une peur plus profonde, une peur qui avait pris racine depuis des heures. La peur de découvrir que l’ennemi dormait sous le même toit qu’elle, mangeait à la même table, partageait les mêmes silences. Clément, le visage crispé par la douleur de sa blessure, avait fini par s’endormir, la tête posée contre le mur. La femme, implacable, vérifiait calmement le chargeur de son arme, le cliquetis sec résonnant comme un glas. L’homme au foulard, lui, fixait toujours le couteau planté dans la table, comme si ce morceau d’acier concentrait toute la vérité qu’il n’arrivait pas à dire. Le silence pesait, lourd, suffocant. Et puis un bruit. Un fracas sec, venu de l’extérieur. Lina se redressa, son cœur battant à tout rompre. — Chut, souffla
La nuit pesait lourdement sur l’entrepôt. Pas un bruit ne filtrait de l’extérieur, seulement le sifflement discret du vent à travers les vitres brisées. Lina était assise contre un mur froid, les bras entourant ses genoux, ses yeux fixés sur la clé USB qu’elle faisait tourner entre ses doigts. Elle avait cru que tenir cet objet suffirait à leur donner de la force. Mais plus elle le regardait, plus il ressemblait à une menace, un fardeau qui les divisait peu à peu.Le Réseau avait répété son avertissement. La taupe est encore là. Ces mots résonnaient dans sa tête comme une incantation. Elle scrutait les visages autour d’elle, chacun éclairé par la lumière blafarde d’une vieille lampe halogène. Clément, appuyé contre une caisse, serrait son bras blessé avec une grimace. La femme, impassible, regardait droit devant elle, ses yeux durs comme des pierres. L’homme au foulard tapotait nerveusement sur son clavier, cherchant encore des signaux, des confirmations, comme si le monde entier pass
Le soleil ne s’était pas encore levé quand le monde commença à trembler sous le poids de la révélation. Lina ouvrit les yeux dans une pièce encore envahie par l’odeur âcre de la fumée, le souvenir des coups de feu martelant sa mémoire. Elle avait cru que tout s’arrêterait là, dans ce sous-sol étouffant, mais le destin avait choisi une autre trajectoire. Le transfert avait atteint 100 %. Et dehors, quelque chose d’immense était en train de naître.Elle se redressa lentement, ses muscles encore crispés. Clément, assis sur une chaise bancale, tenait son bras enserré dans un tissu taché de sang. La femme nettoyait son front avec un linge humide, ses gestes durs mais précis. L’homme au foulard, malgré son épuisement, tapait toujours sur le clavier, comme s’il craignait que l’ordinateur ne trahisse leur victoire.— Ça… ça a marché ? demanda Lina, sa voix enrouée.Il leva les yeux vers elle, ses iris rougis par la fatigue mais brillants d’une lueur neuve.— Oui. C’est dehors maintenant. Je n
La porte basse grinça, et le silence se brisa comme une vitre. Lina eut l’impression que tout l’air de la pièce avait été aspiré d’un seul coup. Trois silhouettes entrèrent, leurs pas lourds faisant vibrer le sol. La lampe fixée au plafond éclaira leurs visages : masqués pour deux d’entre eux, le troisième à découvert.Lina eut un sursaut. Elle connaissait ce visage. Pas personnellement, mais elle l’avait vu, à travers les vidéos de la clé USB : un des cadres de Moreau Industries, celui qui supervisait les chargements clandestins. Un homme d’une quarantaine d’années, cheveux bruns parfaitement peignés, costume sombre, regard froid.— Vous êtes allés trop loin, dit-il calmement, sa voix résonnant dans l’étroite pièce.L’homme derrière l’ordinateur se figea, ses doigts suspendus au-dessus du clavier. L’écran affichait encore le transfert en cours, bloqué à 12 %.Clément s’interposa instinctivement, légèrement en avant, prêt à bondir si l’un des hommes bougeait. Lina serra la pochette bl
Le troisième coup métallique résonna comme une alarme muette. Lina sentit sa respiration s’accélérer. Ce n’était plus le grincement d’un vieux bâtiment : c’était le son clair et précis d’un objet frappant volontairement le métal.— Ils sont de l’autre côté, dit Clément, la voix tendue.La femme hocha la tête et sortit de sa poche un trousseau de clés rouillées. Elle choisit l’une d’elles, ouvrit une porte latérale à moitié dissimulée par une cloison de béton.— Par ici.Ils s’engouffrèrent dans un couloir encore plus étroit, aux murs nus, éclairé seulement par quelques ampoules protégées par des cages métalliques. L’odeur d’humidité était plus forte, mêlée à un parfum de rouille.En refermant derrière eux, la femme glissa une barre métallique dans les gonds pour bloquer l’accès.— Ça ne les arrêtera pas longtemps, murmura-t-elle.Leur marche rapide résonnait dans cet espace confiné. Lina tentait de se souvenir de la route qu’ils prenaient, mais chaque embranchement ressemblait au préc
La pièce semblait plus petite depuis que la phrase avait été prononcée : « Trop tard. Ils sont déjà là. » Lina sentit ses mains se glacer autour de la pochette blindée. Clément, lui, n’avait pas bougé. Il fixait la femme comme pour vérifier si ce n’était pas une simple paranoïa. Mais l’expression grave sur son visage ne laissait aucun doute : elle parlait sérieusement. — Éteignez les lumières, dit-elle d’une voix basse mais ferme. Clément obéit aussitôt. L’appartement plongea dans une pénombre où seul le halo du lampadaire de la rue filtrait à travers les rideaux. La radio continuait de grésiller à un volume suffisant pour couvrir tout murmure. Ils se figèrent, à l’affût. Un bruit sourd monta depuis le bas de l’immeuble. Une porte qu’on claque. Des pas. Pas précipités, mais assurés. Pas le genre de bruit qu’un voisin pressé ferait. — Combien ? demanda Clément. — Deux… non, trois, répondit la femme, tendant l’oreille. Et armés. Je reconnais la démarche. Lina déglutit. Elle s’ét