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Chapitre 3 – Les Loups dans la Cour

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-09-12 02:57:50

Cristóbal Vargas

La nuit s’étire comme un fil tendu au bord de la rupture. Le genre de nuit où les fantômes chuchotent plus fort que les vivants. Je fixe les écrans. Chambre 4. Elle ne dort pas. Elle ne pleure pas. Elle pense. Trop.

Les femmes brisées s’effondrent dès la première nuit. Les autres se brisent au fil des jours.

Elle, non. Elle calcule.

Et ça, c’est plus dangereux que les larmes.

Mateo entre sans frapper. Il pue la sueur, l’adrénaline, la rue.

— Elle n’est pas dans nos bases, dit-il. Pas flic, pas pute, pas fugitive officielle. Mais…

Il me tend une photo. Une vieille impression délavée, récupérée d’un dossier oublié. Je l’attrape sans détourner les yeux de l’écran.

— Fabiola Santibanaise . Disparue depuis six mois. Ancienne chanteuse à Veracruz. Pas de famille. Pas d’ennemis connus. Mais y’a un homme qui a cherché sa trace. Un certain Torres. Avocat. Ancien procureur. Viré pour corruption.

— Il est ici ?

— À Tijuana. Il fouille dans les égouts. Il pose des questions. Aux mauvaises personnes.

Je me lève lentement. Mes os craquent comme un avertissement.

— Et maintenant, elle chante à El Infierno. Comme si c’était écrit.

Je serre la photo entre mes doigts. Le papier gémit.

— Fais crever Torres avant qu’il parle. Pas tout de suite. Mais bientôt. Qu’il sente la mort approcher, qu’elle colle à sa peau comme la sueur.

Mateo hoche la tête.

— Et elle ?

— Elle… elle reste. Jusqu’à ce que je décide ce qu’elle vaut. Jusqu’à ce qu’elle se vende ou se venge.

Camila Reyes

Je n’ai pas dormi. Pas vraiment. Les draps sentent la peur, le sperme et le sang lavé à l’eau froide. J’ai compté les secondes entre chaque pas des gardes. J’ai écouté les craquements du plafond, les murmures à travers les murs.

J’ai prié ma mère. En silence. Pas pour moi. Pour que sa mémoire reste propre.

Le jour se lève sans lumière. Gris. Dégueulasse.

Renata m’attend devant la porte. Elle fume. Elle a des cernes comme des cicatrices.

— Tu respires encore. C’est déjà pas mal, dit-elle.

Je ne réponds pas.

— Il te garde depuis longtemps ?

— Cristóbal ne garde que ce qui lui résiste. Le reste, il le jette.

Elle m’emmène vers les coulisses. C’est une ruche de femmes mortes debout.

Toutes trop maquillées, trop maigres, trop jeunes ou trop vieilles pour espérer s’en sortir.

Certaines me regardent avec pitié. D’autres avec haine.

Je suis la nouvelle. La favorite. La condamnée.

Dans un coin, une blonde se coupe une mèche de cheveux avec un couteau à beurre. Elle murmure :

— Elle finira comme les autres. Enterrée sous la scène, avec les cafards.

Je ne réponds pas. Je garde la tête haute. Même si mes jambes tremblent. Même si mon ventre brûle de peur.

Je ne leur donnerai pas ce plaisir.

Cristóbal Vargas

Je la convoque dans le patio. Là où on fait obéir les chiens. Là où les faibles apprennent à se taire.

Le soleil brûle sans chaleur. Deux molosses s’affrontent dans un enclos. Du sang éclabousse la poussière.

Elle arrive. Pas tremblante. Pas fière non plus. Une démarche de survivante.

Elle sait qu’on la regarde. Elle fait semblant de ne pas le savoir.

— Tu as volé quelque chose à Veracruz, dis-je sans détour.

— Ma liberté, señor.

Elle me fixe. Pas de défi. Pas de soumission non plus. Juste une vérité dite à voix nue.

Elle sait mentir. Mieux encore, elle sait choisir le moment où la vérité devient une arme.

— J’aime ta voix. Elle vend de la douleur. Les clients adorent ça.

— Parce qu’ils n’ont pas le courage de pleurer eux-mêmes.

Je ris. Vrai rire. Rare.

Et elle comprend. Elle vient de gagner un jour de plus. Peut-être deux.

— Je vais t’offrir un choix. Soit tu continues de chanter ici, pour moi. Soit je vends ta peau à celui qui paiera le plus.

— Et si je refuse ?

Je me penche. Assez pour qu’elle sente mon souffle.

— Alors je te brise. Et je garde les morceaux pour m’en souvenir.

Elle hoche la tête. Pas par peur. Par résolution.

— Je chanterai. Ce que tu veux. Mais souviens-toi… Les chansons gardent des secrets.

Je souris. Elle commence à comprendre les règles.

Mais moi, ce que je veux, c’est voir si elle sait les briser.

---

Mateo

J’ai fait ce qu’il a demandé. Torres est localisé. Hôtel minable, odeur de pisse et de bière éventée.

Il dort peu. Il parle trop.

— Tu veux qu’on le chope ce soir ?

Cristóbal me regarde, pensif.

— Non. On le suit. Il finira par tout nous dire sans qu’on le touche. Il est trop nerveux pour se taire.

— Et si elle bosse avec lui ?

Cristóbal s’approche de la vitre. Il regarde le monde comme un fauve regarde un troupeau.

— Alors ce sera encore plus amusant de la regarder s’effondrer.

---

Camila Reyes

Le soir tombe. Ma deuxième chanson. Ma deuxième condamnation.

Les lumières m’aveuglent. Ma gorge est sèche. Mais je chante.

Je chante comme si chaque mot pouvait repousser la mort.

Comme si chaque note contenait un message. Codé. Pour Torres. Pour moi-même. Pour la femme que j’étais.

Je chante comme si demain n’existait pas.

Comme si cette scène était mon dernier combat.

Et dans la foule, je vois une silhouette. Une ombre familière. Quelqu’un qui ne boit pas. Qui ne parle pas. Qui écoute.

Quelqu’un qui me reconnaît.

Mon cœur rate un battement.

Je retiens un frisson.

C’est lui. Torres.

Il m’a trouvée.

Mais dans ses yeux, il y a plus que la surprise.

Il y a la peur.

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