MasukCRISTÓBAL— Tu es tendue, murmure-je contre son oreille. Tu devrais te reposer davantage.— Je me reposais, avant que tu n’arrives, dit-elle d’une voix sourde, le visage enfoui dans le tissu.— Tu ne te reposais pas. Tu t’enfuyais. Il n’y a pas d’échappatoire, Camila. Je suis partout où tu es.Je la guide hors de la baignoire, ses pieds laissant des empreintes sombres sur le carrelage. Je ne la lâche pas. Je la dirige vers la chambre à coucher adjacente, une pièce plus petite, plus intime que la nôtre, qu’elle utilise pour ses siestes avec les enfants. Le lit est défait, couvert de coussins. La lumière est dorée.Là, je lâche la serviette. Elle tombe à ses pieds en un tas humide. Elle est de nouveau nue, frissonnante sous la caresse de l’air plus frais. Elle tente de se recroqueviller, mais je pose une main à plat sur son ventre, juste sous le nombril. La paume couvre la marque de ce qu’elle m’a donné.— Regarde ce que tu as fait. Regarde ce corps. Il est à moi. Il a porté mon sang. I
CRISTÓBALJe sais que l’après-midi est son heure. Le seul moment de répit qu’elle s’accorde. Les enfants dorment, leur sommeil lourd de lait et d’explorations matinales. Les domestiques s’effacent, suivant un horaire que j’ai moi-même établi. La maison retient son souffle.Et elle, elle se réfugie dans l’eau.Je monte l’escalier de service, mes pas absolument silencieux sur les marches de pierre. Je connais chaque craquement de cette maison, chaque murmure de ses tuyauteries. Je sais à quelle heure précise l’eau chaude commence à couler dans la baignoire de la chambre bleue, celle qu’elle a réclamée pour sa « détente ». Un caprice que j’ai accordé, voyant là l’occasion d’un rituel prévisible. Un moment de vulnérabilité programmée.La porte du boudoir est entrouverte. Une vapeur parfumée s’en échappe, chargée de senteurs d’amande douce et de fleur d’oranger , des huiles qu’elle commande en secret, pensant que je l’ignore. L’odeur est enveloppante, sensuelle. Elle croit se soigner, se r
CRISTÓBALJe ferme la porte de la chambre d’enfants avec une lenteur inhabituelle, la main sur le lourd bouton de bronze poli. Le bois massif absorbe le dernier écho du rire cristallin , celui d’Alba et l’isole du reste de la maison. De mon monde.Je reste un moment dans le couloir sombre, les doigts toujours posés sur le métal froid, écoutant le silence qui me répond. Mais derrière ce silence, dans le théâtre de mon esprit, les images persistent, tenaces.Luz. Ma petite guerrière. Secouant les barreaux de son lit comme les grilles d’une forteresse qu’elle compte bien conquérir. Ses yeux, mes propres yeux, jettent déjà des étincelles noires de défi et d’intelligence brute. J’ai vu, ce matin même, comment elle a attrapé le hochet d’argent que je lui ai offert, non pour le secouer avec la joie simple d’un bébé, mais pour l’examiner, le tourner, frapper le barreau avec, testant sa solidité, écoutant la qualité du son. Une scientifique de la puissance. Une graine de stratège. Une fierté,
Six mois.La mesure du temps n’est plus la même. Elle ne se compte plus en jours, ni en missions, ni en attentes anxieuses. Elle se compte en respirations synchrones, en regards qui se croisent et comprennent, en minuscules conquêtes qui font battre le cœur à tout rompre.Ils vont bien.C’est la première pensée, chaque matin, quand la conscience émerge du sommeil épars, haché par les pleurs et les tétées nocturnes. Une vérification immédiate, physique, avant même d’ouvrir les yeux. Les trois souffles dans la pénombre. Léger, rapide, régulier. Ils vont bien.Le berceau a été remplacé par trois petits lits à barreaux, alignés côte à côte le long du mur le plus chaud de la chambre. Le bois riche est toujours là, mais il est maintenant taché de lait séché, égratigné par des jouets en bois trop lancés, encadré par des tournesols en tissu que j’ai insisté pour accrocher. De petits territoires jumeaux, où leurs personnalités, déjà, dessinent des frontières.La petite guerrière du premier jou
CamilaJe m’assois lourdement dans le fauteuil à bascule près du berceau. Je défais ma chemise d’une main maladroite. Je n’ai aucune idée de ce que je fais. C’est mon corps qui guide, une mémoire ancestrale plus vieille que ma raison. Je la présente à mon sein. Elle cherche un instant, son petit visage se plissant d’effort, puis trouve. Et elle tète.La sensation est… électrique. C’est bien plus que physique. C’est un courant qui va de mon sein à mon âme, un circuit qui se ferme, une connexion archaïque et totale. Je regarde ses paupières palpiter, ses minuscules joues qui se creusent et se gonflent avec un rythme régulier. Je vois son petit poing se serrer contre ma peau, se raccrochant à la vie, à moi.Les larmes coulent à nouveau. Silencieuses, chaudes. Elles ne sont ni de joie ni de tristesse. Elles sont l’expression liquide de tout ce chaos, de cet amour-terreur qui me submerge. Je pleure sur sa perfection. Sur mon impuissance. Sur le lien incassable qui vient de se sceller dans
CamilaLe jour filtre à travers les persiennes, découpant des barres de lumière poussiéreuse sur le sol de la chambre. L'odeur de l'accouchement a été lavée, remplacée par des effluves de linge propre, de lait, et cette fragrance douce-amère, indéfinissable, des nouveau-nés. Un calme mortel a succédé à la tempête. Et au centre de ce calme, il y a eux.Ils dorment.C’est la première fois que je peux vraiment les regarder, sans la terreur immédiate de la douleur, sans son ombre écrasante entre nous. Elena les a nourris au biberon la nuit dernière, sur ordre. « Vous devez récupérer », avait-elle dit, évitant mon regard. Mais ce matin, après une toilette rapide et silencieuse, elle les a alignés dans le grand berceau en acajou qui trônait, sinistre et préparé, au pied du lit. Puis elle est partie.Je suis seule. Vraiment seule avec eux, pour la première fois.Mes jambes sont de coton, mon bassin n’est qu’une seule et immense douleur sourde, et mes seins sont lourds, tendus, douloureux. Ma







