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Témoin à abattre
Témoin à abattre
Author: L'invincible

Chapitre 1 – Le garçon sous la capuche

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-07-13 02:24:15

LIV

Il pleut.

Pas une pluie douce ou mélancolique. Non. Une vraie pluie d’hiver, serrée, froide, brutale. Une pluie qui racle les trottoirs, détrempe les os, fait grincer les dents. Elle tombe en lames, droite, méthodique. Comme si le ciel s’acharnait à laver la ville de ses péchés.

Moi, je suis en dessous. Toujours en dessous.

Ma capuche me colle au crâne. Mes baskets prennent l’eau depuis des semaines. Mes doigts sont gelés malgré les gants troués.

Mais je marche. D’un pas rapide, rasant les murs, les mains dans les poches, le regard au sol.

Ne pas croiser les yeux. Ne pas répondre. Ne pas exister.

Je m’appelle Léo.

Quinze ans. Silencieux. Cassé. Un garçon de trop, un gosse de rien.

C’est ce que je montre. Ce que je joue. Parce que dans la rue, être un garçon, c’est déjà un peu moins dangereux. Moins vulnérable.

Être une fille, c’est une cible peinte sur le front.

Alors j’ai effacé Liv. Enterré ses cheveux, ses hanches, sa voix. J’ai appris à cracher par terre, à marcher les jambes écartées, à baisser la tête comme si j’étais prêt à cogner. Et souvent, ça suffit.

Ce soir encore, je suis ce garçon.

Le trottoir brille sous les néons blafards. Le froid mord. Les gens défilent, silhouettes fantômes, absorbées dans leurs mondes. J’aime cette foule sans visages. C’est là que je disparais le mieux.

Je longe les quais. Mon refuge n’est plus très loin. Un ancien entrepôt portuaire condamné, planqué derrière des containers rouillés. Personne ne vient jamais là-bas. Juste moi. Et parfois les rats. J’ai appris à les ignorer, eux aussi.

Mais ce soir, un détail m’arrête.

Le portail. Il est entrouvert.

Je me fige. Mon cœur fait un bond. Une ouverture, un souffle de lumière dans ma cachette.

Personne ne sait que je dors ici. J’en suis certaine. Je n’ai rien dit à personne.

Et pourtant…

Je m’accroupis dans l’ombre d’un lampadaire éteint. Mes doigts glissent sous ma veste. Je touche le manche de mon petit couteau. Pas grand-chose. Une lame émoussée. Mais c’est ma sécurité, ma frontière. Un reste d’instinct.

Je m’approche. Lentement. En silence. Mes semelles glissent sur le béton détrempé.

À l’intérieur, une lumière danse. Faible, mobile. Pas un feu. Pas une lampe de camping.

Les reflets sont ceux d’un phare de voiture.

Mais le moteur est coupé.

Non… je tends l’oreille.

Non. Il tourne encore. Faiblement. Un ronron comme un chat qui attend de bondir.

Je me plaque contre le mur. Mes doigts tremblent. Ma gorge est sèche.

Je m’accroupis à la hauteur d’une brèche dans le mur. Une ancienne fente d’aération. Parfaitement alignée avec la zone centrale.

Et là, je les vois.

Trois hommes.

Deux debout. Un à genoux.

Le dernier est attaché, les poignets entravés derrière le dos. La tête basse, les cheveux collés par la pluie. Il pleure. Il gémit.

Les deux autres sont calmes. Trop calmes.

L’un d’eux est massif. Un manteau long noir, bien taillé. Des gants. Des chaussures cirées. Il ne ressemble pas aux voyous de la rue. Trop précis. Trop net.

Il parle d’une voix grave. Un murmure coupant.

— Tu pensais qu’on te laisserait parler, hein ?

Une pause.

— Qu’on te laisserait trahir la famille sans conséquence ? Tu me déçois.

L’homme à genoux tente de bredouiller. Mais l’autre lève la main.

Et soudain, il sort une arme. Un silencieux.

Je me mords la lèvre. Je sais ce qui va venir.

— Pas un mot de plus, souffle-t-il.

Bang.

Le corps s’écroule.

Je recule. Je perds l’équilibre. Mon dos heurte une poubelle métallique. Un bruit. Léger, mais réel.

Merde.

Je me plaque au sol. Ma respiration se fait démente.

Ils m’ont entendue.

Non. Peut-être pas. Peut-être…

Des pas. Lents. Précis.

Je me lève et cours. Instinct. Terreur.

Je bondis derrière une benne. Je me recroqueville. Je retiens mon souffle.

Et la voix. Plus proche. Cette même voix.

— Tu peux sortir. Je sais que t’es là.

Mon cœur manque un battement.

Je serre mon couteau. C’est dérisoire. Je le sais.

— J’ai vu ton ombre. J’ai entendu ta chute. Et j’ai vu ton sac. Un sac d’enfant.

Il marque une pause.

Mon souffle se bloque. Je ne réponds pas.

Il approche encore.

— Tu te caches bien, le garçon. Tu as de la chance. Tu pourrais me servir.

Soudain, une main m’attrape.

Je hurle. Je tente de frapper. Il bloque mon poignet. Me plaque contre la tôle glacée.

Son visage est proche du mien. Il me jauge.

Il sourit. Froidement.

— Un petit témoin. Ma nuit est plus intéressante que prévu.

Je me débats. Je le griffe. Il grogne.

— Calme-toi, gamin. Je vais pas te tuer. Pas ce soir.

Il m’immobilise d’une seule main. L’autre fouille mes poches.

— Tu portes un couteau ? Brave petit. T’as pas froid aux yeux.

Il le jette plus loin, sans ménagement.

Ses yeux se posent sur moi. Intenses. Lents. Il scrute.

Je baisse les paupières. Je serre les dents.

Il dit :

— Tu es qui, au juste ?

Je ne dis rien.

— Ton nom.

Toujours rien.

Il approche sa bouche de mon oreille. Sa voix est un souffle :

— J’ai demandé ton nom, gamin.

Je mens.

— Léo.

Il répète doucement :

— Léo… Hm. Ça te va bien. Discret. Comme toi.

Il recule enfin d’un pas. Mais il reste là. Sa silhouette bloque la lumière. Et moi, je suis toujours coincée.

Il plisse les yeux.

— Alors, Léo… Tu vas m’écouter très attentivement maintenant. Parce que tu as deux choix : disparaître avec moi. Ou disparaître tout court.

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