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Chapitre 5 – L’Héritier effacé

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-05-26 21:19:17

Michel

La porte d’entrée claque derrière moi. Elle ne grince pas. Elle s’écrase. Comme un couperet.

Le silence m’accueille. Dense. Fétide. Plus familier que je ne voudrais l’admettre. Le genre de silence qui colle à la peau, qui s’immisce entre les os. Celui qu’on reconnaît à l’odeur : peur rance, sueur froide, fin imminente.

Mes hommes se dispersent, comme une meute bien dressée. Aucun mot. Pas un échange. Ils connaissent la partition. L’un prend l’escalier, arme levée. Un autre passe les pièces au peigne fin, regard en alerte, doigt sur la détente. Deux restent derrière moi. Statues armées. Ils n'ont pas besoin d'ordres. Ils sont là pour que je n’aie pas à regarder derrière moi.

Moi, je marche. Droit. Lenteur calculée. Pas d’hésitation. Pas de tremblement. Le masque est en place. Ce n’est pas moi qui entre dans cette maison. Ce n’est plus Michel. C’est le nom qu’on murmure la nuit. La réputation qu’on prononce sans croiser les yeux.

Ici, ce soir, c’est la dette qui frappe à la porte.

Le parquet grince sous mes semelles. Chaque pas est une condamnation. Chaque pas, une gifle au souvenir de ce gosse caché dans un placard, trop petit pour hurler, trop lâche pour fuir.

Lucia aurait dit que je suis devenu pire que lui. Pire que le père de David. Elle n’a pas tort.

Sauf que moi, je ne me cache pas derrière des pardons creux ou des simulacres de morale. Moi, je regarde les morts dans les yeux.

Au fond du salon, il est là. À genoux. Menotté. Les poignets tremblants. Les traits tirés, vieillis, ravalés. Il sue comme un porc. Il sait qu’il ne sortira pas d’ici vivant.

Il n’est pas armé. Il ne se débat pas. Il est déjà vaincu.

— Michel…

Sa voix se casse sur mon nom. Il pense encore qu’il peut m’atteindre par là.

Il croit que ce prénom me raccroche à l’humain.

Il se trompe.

Je m’approche. Lentement. Je prends mon temps. J’ai attendu ce moment trop longtemps pour le bâcler. Mes bottes résonnent contre le sol. Un son sourd, implacable. Comme une marche funèbre.

Je le regarde comme on regarde une tache sur un mur. Et je parle. Sans hausser le ton. La voix basse, nette, plus coupante qu’un scalpel.

— Tu sais pourquoi tu es encore en vie ?

Il hoche la tête. Puis s’arrête. Non. Il ne sait pas. Il espère. Il espère qu’il y a une échappatoire, une pitié enfouie dans mes entrailles.

Mais mes entrailles sont creuses depuis longtemps.

Je tends la main. L’un de mes hommes me passe une enveloppe. Dedans, une photo. Froissée. Fatiguée. Une femme. Ma mère. Elle ne sourit pas. Elle est allongée. Rides profondes. Regard vide. Tubes autour du visage.

Je lui tends l’image comme une preuve.

— Tu l’as laissée crever seule. Tu t’es servi d’elle comme d’un bouclier. Tu l’as piétinée comme une domestique. Et tout ça pour quoi ? Pour te donner l’air d’un patriarche ? Pour effacer ce que t’avais fait à mon père ? À moi ?

Il ouvre la bouche. Il tente un sourire. Pitoyable. L’arrogance d’autrefois suinte encore dans le fond de ses yeux, mais elle se noie. Elle se noie dans la peur.

— Je n’ai jamais voulu… ce qui s’est passé ce soir-là… c’était ton père… il m’a provoqué…

Je le gifle. Pas fort. Juste ce qu’il faut pour éteindre la dernière étincelle de son orgueil.

— Tu mens. Tu mens comme tu respires. Et je t’ai laissé mentir trop longtemps.

Je fais signe. L’un de mes hommes avance. Ouvre une mallette. En sort un revolver noir. Sobre. Élégant. Gravé de mes initiales. Mon sceau. Ma sentence.

Je le prends. Le pèse dans ma main. Une arme peut être belle. Celle-ci est parfaite. Silencieuse. Loyale. Elle ne discute pas.

— Tu as tué un homme qui n’avait que ses mains pour défendre sa famille. Tu as volé ce qui ne t’appartenait pas. Et tu as élevé ton fils dans un mensonge.

Il ose me regarder.

— David ne savait rien. Il t’aimait, Michel. Il croyait que vous étiez des frères.

Je reste figé. Une seconde. Une seule. Une fissure, imperceptible, passe dans mon masque. Ce n’est pas de la pitié. C’est du regret. Et je le piétine aussitôt.

— C’est pour ça qu’il est vivant.

Je tire.

Une balle. Une seule. Propre. Rapide. Précise.

Le corps bascule. Comme un sac qu’on vide. Pas un cri. Pas un sanglot. Juste un souffle qui s’éteint.

Je remets l’arme dans la mallette. Je la referme. Avec lenteur. Je l’essuie. Aucune trace. Pas d’erreur.

L’un de mes hommes s’approche.

— Et maintenant, Patron ?

Je fais le tour du salon. Je m’imprègne des murs. Tout ici suinte le mensonge. Même la tapisserie tente de dissimuler ce qu’elle a vu. Mais l’odeur reste. L’odeur du passé. Celle que l’on ne chasse pas avec du parfum.

— On nettoie. On efface tout. Ce n’est jamais arrivé. Rien ne doit fuir. Rien.

Il hoche la tête. Il sait ce que cela implique. Les caméras. Les téléphones. Les témoins. Rien ne doit sortir d’ici. Même pas l’air.

Je me dirige vers la sortie. Avant de franchir le seuil, je me retourne. Je fixe le cadavre. Ce n’est pas un homme. C’est un chapitre. Un poison. Un fantôme que je viens d’exorciser.

Je murmure. Pour moi. Pour elle. Pour ce gosse dans le placard.

— Tu croyais que le pouvoir, c’était d’imposer le silence. Tu t’es trompé. Le vrai pouvoir, c’est d’y survivre.

La porte se referme derrière moi. Dehors, la nuit m’accueille comme une amante glaciale. Le vent me gifle.

La ville est là. Sale. Vivante. Injuste.

Elle ne change jamais.

Et moi, je redeviens ce que j’ai toujours été.

Un fils de personne.

Un fantôme avec du sang sur les mains.

Un héritier effacé… mais debout.

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