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Chapitre 6 – Le Fils brisé

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-06-27 22:18:28

Le père de David

Il y a des moments qui précèdent une tragédie où tout semble figé. Comme si le temps retenait son souffle. Ce soir-là, c’était l’un de ceux-là.

Je l’ai vu entrer, mon fils. David. Le regard tendu, la mâchoire crispée. Il portait encore ce costume noir trop grand pour lui. Celui qu’il enfilait quand il voulait se convaincre qu’il était un homme, qu’il pouvait faire face à tout, même à moi.

Mais ce soir, il ne jouait plus. Il était venu pour la vérité.

Il m’a fixé comme si je n’étais plus son père. Comme si j’étais devenu un étranger. Un monstre. Peut-être que je l’étais. Peut-être que je l’ai toujours été, et que je n’ai jamais su l’aimer autrement qu’à travers le prisme de la peur et du pouvoir.

— Tu savais, n’est-ce pas ? m’a-t-il lancé sans détour.

J’ai failli mentir. J’ai failli jouer la comédie, celle que je connaissais par cœur. Mais il n’y avait plus de place pour ça. Son regard m’arrachait toute illusion.

— De quoi tu parles, David ?

Il a sorti une feuille de sa veste et l’a jetée sur la table. Un extrait. Un dossier. Une preuve.

— Michel. Ce qu’il a vécu. Ce que tu lui as fait. Ce que tu as laissé faire.

Et là, j’ai su. Quelqu’un lui avait parlé. Pas assez pour tout dire, mais assez pour qu’il commence à assembler les morceaux. Trop tard pour les désassembler. Trop tard pour le protéger.

— Ce n’est pas aussi simple, ai-je tenté, la voix basse, presque suppliante.

Mais lui, il tremblait. De rage, de chagrin. Et moi, j’étais figé. Prisonnier de mes lâchetés.

— Alors explique-moi. Explique-moi pourquoi tu l’as laissé croire que vous étiez frères. Pourquoi tu as fait de lui ton ombre. Ton larbin. Pourquoi tu l’as élevé dans le mensonge. Pourquoi tu lui as volé son nom.

Ses yeux étaient mouillés. Et moi, j’étais sec. Vide. Comme toujours. Même face à lui, je n’arrivais pas à pleurer. Même en sentant que je le perdais.

Je me suis levé. J’ai voulu poser une main sur son épaule, lui dire que malgré tout, il restait mon fils. Mais il a reculé, comme si je le brûlais.

— Tu n’as jamais été un père, murmura-t-il. Juste un homme qui sait détruire mieux que construire.

Il s’est dirigé vers la porte. Et j’ai senti cette peur ancienne, viscérale. Celle qu’il parte pour de bon. Celle qu’il tourne le dos à tout ce que j’étais à tout ce que je n’avais jamais su être.

— David, attends… Tu ne comprends pas…

Il s’est figé, la main sur la poignée.

Et c’est là que tout a basculé.

Un bruit sec. Une vitre qui éclate. Un souffle glacé s’est engouffré dans la pièce. Puis un éclair. Rouge. Silencieux.

Le corps de mon fils a vacillé. Lentement. Comme s’il hésitait entre la vie et la mort. Comme si l’univers lui laissait une seconde pour se retenir à moi. Une seconde que je n’ai pas su saisir.

Un petit point rouge s’est dessiné sur sa chemise blanche. Puis un autre. Et une flaque. Trop rouge. Trop vite.

Il est tombé à genoux. Ses yeux m’ont cherché, sans colère cette fois. Juste un vide. Une incompréhension d’enfant qu’on abandonne.

— Non… non, non… pas ça…

J’ai hurlé sans bruit. J’ai voulu courir. Mes jambes ne répondaient plus. J’étais devenu statue, figé dans un cauchemar que je méritais.

Il s’est effondré, face contre terre, les bras ballants. Comme une marionnette sans fil. Comme s’il n’avait jamais existé. Mon fils. Ma dernière humanité.

Et moi, je n’ai pas crié.

Je n’ai pas couru.

Je suis resté là, debout. Parce que ce n’était pas un accident. Ce n’était pas un hasard.

C’était un message. Une sentence. Une exécution.

Il était la pièce que je n’étais plus capable de protéger. Le pion sacrifié sur un échiquier dont je n’avais plus la maîtrise. Et le regard de Michel, quelque part dans l’ombre, devait briller de cette lumière froide : celle des hommes qu’on a brisés et qu’on a laissés se reconstruire seuls. Pire que la haine : la justice.

Je me suis enfin effondré. Je me suis agenouillé près de lui. Son sang collait à mes genoux, à mes mains. Il respirait encore. Un souffle. Faible. Saccadé.

Ses lèvres ont bougé.

— Papa… il savait tout…

Sa voix n’était plus qu’un souffle. Un soupir d’enfant perdu. Puis ses yeux se sont éteints. D’un coup. Sans appel. Et le silence a envahi la pièce.

J’ai pris sa tête contre moi. Comme quand il était petit. Je lui ai murmuré des mots qu’il ne pouvait plus entendre. Je lui ai demandé pardon, des centaines de fois. Pour tout. Pour rien. Pour exister.

Je suis resté là longtemps. Assez pour que le sang sèche. Assez pour que la culpabilité devienne une seconde peau. Assez pour comprendre que ce moment m’avait tué moi aussi.

Je n’ai pas pleuré . 

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