Início / Mafia / À l'ombre de nos désirs / CHAPITRE 8 : LA PREMIÈRE MORSURE

Compartilhar

CHAPITRE 8 : LA PREMIÈRE MORSURE

Autor: Darkness
last update Última atualização: 2025-11-10 18:13:40

Éliane

La nuit est tombée sur le manoir, épaisse et silencieuse. Les murs de pierre semblent absorber tous les bruits, jusqu’au battement affolé de mon propre cœur. Mais ce n’est plus le même cœur. Quelque chose a changé dans la petite salle d’étude, quelque chose d’irréversible. La graine de la faim a germé, et sa racine obscure se love autour de mes os, de mes nerfs.

Je ne suis pas retournée dans ma chambre. Je suis restée là, parmi les archives, les preuves matérielles des vies que Kaelan collectionne et méprise. Je parcours les rayonnages du bout des doigts, effleurant les reliures de cuir, les chemises en carton. Ce ne sont plus des documents. Ce sont des testaments. Des testaments de faiblesse, d’après lui.

Mais je n’y vois plus seulement cela. J’y vois des schémas. Des failles. Le mari de la marquise, aveuglé par son arrogance. La marquise elle-même, paralysée par sa peur. Kaelan a raison sur un point : ils détenaient tous les deux du pouvoir, et aucun n’a su s’en servir jusqu’au bout.

Mes pas sont sans bruit sur le tapis persan. Je me dirige vers le bureau de Kaelan. La porte n’est pas verrouillée. Il ne verrouille jamais. C’est une démonstration de plus de son pouvoir absolu, de sa certitude que personne n’oserait franchir cette ligne sans son autorisation.

J’entre.

La pièce sent le cuir vieilli, le whisky et lui. Cette odeur boisée et épicée qui me hante depuis mon arrivée. La lune filtre à travers les hautes fenêtres, dessinant des rectangles pâles sur le sol sombre. Son bureau, un bloc de bois massif et obscur, trône au centre comme un autel.

Je n’allume pas. La pénombre est mon alliée. Elle cache les tremblements de mes mains, mais elle ne peut rien contre la détermination froide qui s’est installée en moi. Il veut voir la femme qui a faim ? Qu’il la voie.

Je contourne le bureau. Ma main se pose sur le cuir du fauteuil où il s’assoit pour dicter son monde. Il est encore chaud, ou est-ce mon imagination ? Je parcours la surface du bureau du plat de la main. Des dossiers alignés avec une précision militaire. Un stylo en argent. Un cendrier vide.

Puis, le tiroir du milieu. Celui, je le sais, où il garde les choses qui importent vraiment. Les contrats initiaux. Les dossiers sur ses « invités ». Mon propre contrat, peut-être.

Je tire sur la poignée. Verrouillé. Bien sûr.

Un sourire froid étire mes lèvres. Il laisse une invitation, mais place un obstacle. Un test. Toujours un test.

Je me redresse et fais le tour du bureau. Mes yeux se sont habitués à l’obscurité. Je cherche une clé. Sous le sous-main ? Non. Derrière le tableau ? Trop évident. Mon regard se pose sur la bibliothèque. Sur une étagère, entre deux lourds in-folio, repose un petit coupe-papier au manche d’ivoire sculpté. La lame est fine, effilée, mortelle.

Je le saisis. Le manche est froid, lisse. Il repose dans ma paume avec un poids familier, comme s’il avait été forgé pour moi. Je reviens vers le tiroir. Je n’ai aucune compétence en crochetage. Mais la serrure est ancienne, ornementale. Une relique, comme tout ici.

Je glisse la pointe de la lame dans la fente, cherchant le mécanisme intérieur. Ma main est ferme. Étonnamment ferme. Je sens le métal grincer contre le métal. Je fais levier, doucement, puis avec plus de force.

Craaac.

Le bruit est sec, violent dans le silence. La serrure cède.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, mais ce n’est pas de la peur. C’est de l’excitation. Une ivresse sombre et nouvelle. J’ai forcé une barrière. J’ai transgressé.

J’ouvre le tiroir.

Il n’y a pas de dossiers. Juste un seul objet, posé sur le velours noir. Un collier. Un lourd collier en or pâle, serti d’une pierre noire et mate, qui semble absorber la faible lumière de la lune. Ce n’est pas un bijou de séduction. C’est un ornement tribal, sauvage. Une parure pour une reine barbare ou une esclave de choix.

Et posé contre le collier, un petit mot, d’une écriture que je reconnais trop bien.

« Pour la faim qui ose. »

Il savait. Il savait que je viendrais. Il savait que je forcerais le tiroir. Tout cela n’était qu’une mise en scène de plus. Une étape dans son processus de « forge ».

La rage devrait m’envahir. Le sentiment d’être une marionnette. Mais la rage ne vient pas. À la place, une froide acceptation. Il a tendu un piège, et j’ai marché dedans les yeux ouverts. Mais en marchant, j’ai appris à reconnaître la mécanique du piège.

Je prends le collier. Il est lourd, froid. La pierre noire est comme un œil sans âme. Je ne suis pas une marionnette. Je suis une élève. Et une élève peut, un jour, dépasser le maître.

Je passe le collier autour de mon cou. Le fermoir se referme avec un déclic sourd. Le métal froid repose contre ma peau, un poids étrange, une possession. Une marque.

C’est à ce moment-là que la porte du bureau s’ouvre.

Kaelan se tient sur le seuil, immobile. Il ne semble pas surpris. Son regard balaie la pièce, l’obscurité, le tiroir forcé, et enfin, s’arrête sur moi. Sur le collier qui luit faiblement à mon cou.

Il ne dit rien. Il attend. Comme toujours.

Je ne baisse pas les yeux. Je ne cache pas le coupe-papier que je tiens toujours dans ma main. Je le tiens simplement, la lame tournée vers le sol. Une arme. Un outil. Une extension de ma volonté nouvelle.

— Le collier vous va bien, finit-il par dire. Sa voix est basse, neutre, mais je perçois la satisfaction qui couve en dessous. La fierté du dresseur qui voit sa bête montrer les crocs pour la première fois.

— C’était le but, n’est-ce pas ? Ma voix est plus assurée que je ne l’aurais cru. Vous vouliez me voir mordre. Me voici.

Il avance dans la pièce, contournant le bureau pour se tenir face à moi. Son regard plonge dans le mien, cherchant, évaluant.

— Avoir un couteau et savoir s’en servir sont deux choses différentes, Éliane. Avoir faim et savoir chasser aussi.

— Je suis une auditrice rapide.

Un sourire presque imperceptible flotte sur ses lèvres.

— La prochaine leçon, alors, sera plus pratique.

Il lève la main, lentement, et effleure la pierre noire du collier. Ses doigts frôlent la peau de mon cou. Un frisson me parcourt, un mélange d’appréhension et d’anticipation aiguë.

— La faim est une chose, murmure-t-il. Savoir quoi en faire en est une autre. Vous avez fait le premier pas. Vous avez pris. Maintenant, il faut apprendre à garder. Et à digérer.

Son doigt suit le contour du collier, un cercle froid et possessif autour de mon cou.

— La nuit va être longue.

Je soutiens son regard, sentant le poids du métal contre ma clavicule, la fermeté du coupe-papier dans ma paume. La peur est toujours là, tapi dans un coin de mon esprit. Mais elle n’est plus seule. Elle est accompagnée par cette faim vorace, et maintenant, par la première lueur d’une compétence naissante.

J’ai mordu. La blessure est faite. Le goût du métal et du pouvoir est sur ma langue.

Et je sais, avec une certitude glacée, que je ne pourrai plus jamais m’en défaire.

Continue a ler este livro gratuitamente
Escaneie o código para baixar o App

Último capítulo

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 11 : LA GEOGRAPHIE INTERIEURE

    ÉlianeLe silence après le départ de Richard Morel est plus éloquent que tous les discours. Il s'étend, se déploie, se charge de la substance même de ce qui vient de se passer. Kaelan ne bouge pas, observant la porte close comme s'il pouvait encore y voir l'empreinte fantôme de l'homme ruiné. Puis, son regard se tourne vers moi.Il n'y a pas de triomphe dans ses yeux. Pas de fierté mal placée. Seulement une évaluation froide, minutieuse. Comme un cartographe traçant une nouvelle terre découverte.— Alors ? Sa voix est calme, sans intonation.Je déglutis. Ma bouche est sèche, mais il n'y a plus de nausée. Plus de vertige éthique. Il y a un calme étrange, une clarté glaçante. Comme si un brouillard s'était dissipé, révélant un paysage austère et familier.— C'était… efficace, dis-je.Mon propre ton me surprend. Il est détaché. Professionnel.Un sourcil de Kaelan se lève, imperceptiblement.— Seulement efficace ?Je détourne les yeux, regardant par la fenêtre les jardins impeccables. Cha

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 10 : LE FESTIN DES OMBRES

    ÉlianeLes jours qui suivent sont un étrange intermède. Le manoir semble retenir son souffle. Kaelan se fait plus distant, absent pour de longues heures, me laissant errer dans la bibliothèque, parmi les archives qui n'ont plus le même goût. Je ne les vois plus comme des reliques, mais comme des manuels. Des études de cas. Chaque vie résumée dans un dossier est une leçon sur les failles humaines, sur l'art de la manipulation.Le collier ne quitte jamais mon cou. Son poids est devenu une partie de moi, un rappel constant de la faim qu'il symbolise. Je me surprends à toucher la pierre noire, lisse et froide, comme pour puiser une forme de courage dans son inertie.Ce matin, je me trouve dans la serre. La lumière y est diffuse, verte, tamisée par la jungle de plantes exotiques que Kaelan entretient avec une rigueur maniaque. L'air est lourd, humide, chargé du parfum entêtant des orchidées rares. C'est un lieu de vie exubérante, mais contrôlée. Domptée. Comme tout ici.Kaelan entre sans u

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 9 : LA LEÇON DE CHASSE

    ÉlianeLa nuit est effectivement longue.Kaelan ne me quitte pas. Il ne me touche pas, ne me menace pas. Sa présence seule est une leçon. Elle occupe l'espace, l'air, la lumière. Elle me dicte une nouvelle façon de respirer, plus lente, plus consciente. Je suis assise dans le fauteuil en face de son bureau, le collier lourd à mon cou, le coupe-papier toujours niché au creux de ma main, caché dans les plis de ma robe.Il a allumé une seule lampe, projetant un cône de lumière dorée qui isole notre monde du reste de l'obscurité. Il a sorti un nouveau dossier. Non pas des lettres anciennes, mais des documents contemporains. Des rapports financiers, des contrats, des profils psychologiques.— Lisez, dit-il en poussant le dossier vers moi. Pas comme une archiviste. Comme une prédatrice.Je l'ouvre. Ce sont les détails d'un homme. Un concurrent. Un nom qui revient souvent dans la presse économique. Des photos le montrant en costume souriant, entouré de sa famille, serrant des mains. Un homme

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 8 : LA PREMIÈRE MORSURE

    ÉlianeLa nuit est tombée sur le manoir, épaisse et silencieuse. Les murs de pierre semblent absorber tous les bruits, jusqu’au battement affolé de mon propre cœur. Mais ce n’est plus le même cœur. Quelque chose a changé dans la petite salle d’étude, quelque chose d’irréversible. La graine de la faim a germé, et sa racine obscure se love autour de mes os, de mes nerfs.Je ne suis pas retournée dans ma chambre. Je suis restée là, parmi les archives, les preuves matérielles des vies que Kaelan collectionne et méprise. Je parcours les rayonnages du bout des doigts, effleurant les reliures de cuir, les chemises en carton. Ce ne sont plus des documents. Ce sont des testaments. Des testaments de faiblesse, d’après lui.Mais je n’y vois plus seulement cela. J’y vois des schémas. Des failles. Le mari de la marquise, aveuglé par son arrogance. La marquise elle-même, paralysée par sa peur. Kaelan a raison sur un point : ils détenaient tous les deux du pouvoir, et aucun n’a su s’en servir jusqu’

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 7 : L'ÉVEIL DE LA FAIM

    ÉlianeLa déchirure résonne encore dans la pièce close, un écho de violence qui semble avoir fendu l’air lui-même. Les morceaux de la lettre de la marquise gisent à mes pieds, des papillons morts aux ailes couvertes de mots assassins. Je ne les vois plus. Je ne vois que Kaelan. Son mépris est une force tangible, une pression qui m’écrase et, paradoxalement, me révèle la forme exacte de mon propre vide.Il a dit « avoir faim ». Et « mordre ».Ces mots ne devraient évoquer que l’horreur. La bête. Le prédateur. Pourtant, ils atterrissent en moi, et au lieu de rebondir sur l’armure de ma peur, ils s’enfoncent. Ils trouvent un écho. Une cavité que je n’avais jamais nommée, que j’avais meublée de politesse, de compétence, de discrétion. Tous ces traits qui font une bonne employée, une femme convenable. Une proie idéale.Kaelan ne bouge toujours pas. Il attend. Son regard est un scalpel qui dissèque chaque micro-expression sur mon visage, chaque frémissement de mes paupières, chaque pulsatio

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 6 : LE FESTIN DES CORBEAUX

    ÉlianeLa pluie a cessé, laissant derrière elle un monde lavé, trop net, comme une blessure fraîchement suturée. Kaelan m’a donné de nouveaux documents, plus anciens, plus fragiles. Des lettres personnelles cette fois. Des confidences jaunies par le temps. Il m’a installée dans la petite salle d’étude attenante à son bureau, une pièce sans fenêtre, éclairée seulement par une lampe basse. Une cellule de moine pour un travail de profanation.— Lisez, m’a-t-il dit en posant devant moi une liasse de lettres liées par un ruban de soie décolorée. La marquise de Thierry à son amant. Dites-moi ce que vous y trouvez.Sa voix était neutre, mais son regard pesait sur moi, un fardeau familier. Il ne me quittait pas. Il s’était assis dans un fauteuil de cuir, en retrait, observant, attendant. Un prédateur à l’affût des frémissements de son gibier.J’ai délié le ruban. Il s’est effiloché entre mes doigts, comme une dernière résistance. La première lettre. L’encre était d’un brun sépia, l’écriture é

Mais capítulos
Explore e leia bons romances gratuitamente
Acesso gratuito a um vasto número de bons romances no app GoodNovel. Baixe os livros que você gosta e leia em qualquer lugar e a qualquer hora.
Leia livros gratuitamente no app
ESCANEIE O CÓDIGO PARA LER NO APP
DMCA.com Protection Status