All Chapters of AU-DELA DES VAGUES : Chapter 61 - Chapter 70

AYALa porte de l'appartement est lourde, froide sous ma paume. Je la pousse et elle cède sans un bruit, avalant mon retour dans son silence complice.L'obscurité à l'intérieur est totale,épaisse. Elle sent le renfermé, le propre, et l'absence.Sonabsence.Il n'est pas là.Mon cœur, qui s'était mis à battre follement dans la cage de mes côtes à l'idée de le voir, de lui parler, de crier, s'arrête net, puis se serre en un poing douloureux.Bien sûr qu'il n'est pas là.Il est avec elle. Avec sa fiancée. Dans leur monde parfait, leur monde propre.— Il n'est pas là.Je sursaute. La voix de Maria, la gouvernante, fuse de l'embrasure de la cuisine. Elle s'avance, une ombre sévère dans la pénombre. Son visage est un masque de reproche.— Il est rentré tard. Il est reparti. Il ne t'a pas cherchée ?La question est une flèche empoisonnée. Elle sait. Elle sait tout. Elle a dû aider à préparer la tenue, le discours. Elle fait partie de leur monde, à sa manière.Je ne réponds pas. Je marche jusqu

AYALa porte de la chambre est close. Un rempart de bois entre lui et moi. Entre la trahison et ses conséquences.Je m’adosse contre le froid de la porte,les paumes à plat sur la surface lisse. Mon cœur bat un rythme de guerre dans ma poitrine, sourd, violent. Je l’entends qui respire de l’autre côté. Un souffle rauque, haché. Le son de la défaite.Je n’ai pas pleuré. Je ne tremblerai pas. La colère a coulé dans mes veines et s’est figée, une lave noire et solide qui me tient debout. Droite. Implacable.Je suis le fantôme de ta conscience.Je suis le prix de ton silence.Les mots que j’ai lancés étaient des couteaux. Je les ai aiguisés avec les éclats de mon cœur brisé. Et ils ont touché leur cible. Je l’ai vu dans ses yeux. La stupeur. La honte. La réalisation brutale.Il pensait que j’allais disparaître. Qu’il pourrait jouer au martyr dans le confort de son remords, une fois la tempête passée. Il ne s’attendait pas à ce que la tempête s’installe. Qu’elle prenne ses quartiers dans so

AYALe temps s'est étiré, visqueux, depuis son départ. Chaque minute, une éternité. J'ai éteint toutes les lumières, m'immergeant dans le noir, assise sur le canapé, les genoux remontés contre ma poitrine.J'écoute.J'écoute le silence de l'appartement,le bourdonnement lointain de la ville, le battement affolé de mon propre cœur.Il est allé les affronter.L'homme en lambeaux,vêtu de ses propres cendres, est allé défier ses dieux.Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?Sa question me hante. Parce que je lui ai dit la vérité. Parce que je suis restée. Parce que mon silence, mon mépris, ont été plus forts que tous les sermons de sa mère. J'ai forcé le lâche à se regarder en face. Et ce qu'il a vu l'a terrifié au point de tout briser.Une partie de moi, la partie encore blessée, saignante, espère qu'il va échouer. Qu'il va revenir, courbé, défait, le costume neuf enfin en place, pour me confirmer que je n'étais qu'un caprice, une erreur de parcours. Cela justifierait ma haine. Cela simplifiera

SALVADORLe bureau est nu. Quatre murs blancs, une baie vitrée sale donnant sur un paysage de toits et de conduits de ventilation. L’odeur de la peinture fraîche se mêle à celle, tenace, de la poussière et du vieux café. Un espace vide. Une page blanche. C’est tout ce qui me reste, ou plutôt, tout ce que j’ai choisi.Mes doigts effleurent la surface froide et bon marché du bureau en mélamine. Aucune comparaison avec l’acajou massif et luisant de mon ancien empire. Ici, tout est léger, fragile. Comme moi.J’ai passé les dernières semaines à appeler, à écrire, à mendier des rendez-vous. Les contacts de l’ancien monde. Certains ont ri, poliment, avant de raccrocher. D’autres ont écouté, par curiosité malsaine ou par pitié. « Salvador Silva, l’enfant prodigue devenu paria. » Mais quelques-uns, une poignée, ont entendu autre chose dans ma voix. Non pas l’arrogance du héritier, mais la détermination calme de l’homme qui a touché le fond et a repoussé du pied pour remonter.J’ai une poignée

AYALa régularisation est un tunnel. Un boyau administratif, étroit et sans air, où chaque étape franchie n'offre qu'un bref répit avant la suivante. Le dossier s'épaissit sur mon bureau, une pile de promesses et de menaces. Chaque formulaire signé est une victoire. Chaque silence de la préfecture, une torture.Salvador est devenu un expert en droit des étrangers. Il passe des heures au téléphone, son front plissé par la concentration, défiant les fuseaux horaires pour contacter des contacts à Naples, en Espagne, partout où le nom Neri pouvait encore ouvrir des portes. Il me rappelle les rendez-vous, relit mes réponses, sa main effleurant parfois la mienne pour apaiser la tension qui me tord les entrailles. Ce n'est plus une simple aide. C'est un pilier. Mon pilier. L'homme qui a hérité du nom de Silva et de la ténacité des Neri, et qui les utilise pour moi.Notre agence, elle, grandit. Le succès du premier client a engendré d'autres projets. Nous avons embauché. Léa, une jeune graphi