Le cri terrifié de Sonia lui répondit, tandis que la jeune femme se ramassait inutilement sur elle-même. Les premières ramures frôlaient déjà sa tête. La masse compacte de la branche qui suivait allait lui fracasser directement le crâne.
Horrifiée, Gaëlle réagit en parant au plus pressé. Sans se soucier des témoins éventuels, elle tendit un bras devant elle, paume ouverte et doigts écartés, pour engendrer une violente bourrasque. Habilement orienté, le souffle puissant dévia instantanément la trajectoire de la branche, empêchant ainsi sa partie la plus lourde de frapper Sonia.
Le bois s’écrasa sur le sol dans un froissement de feuilles et de brindilles brisées. Projetée à terre par la rafale et l’impact des branchages annexes, Sonia paraissait sonnée. Sautant par-dessus les buissons de roses, Pierre se précipitait déjà auprès d’elle. Inquiète pour la jeune femme, Gaëlle le rejoignit en emprunt
Ils étaient arrivés au bout de l’embarcadère. L’air était doux. Un clapotis léger s’élevait de sous leurs pieds. Debout et immobiles l’un près de l’autre, ils accordaient leurs esprits en les mariant à la beauté sereine du paysage. — Où sommes-nous ? demanda Gaëlle alors qu’elle enlevait son trench coat pour offrir ses bras nus aux rayons du soleil.— Cet endroit s’appelle le lac des Amants. La jeune femme retint un sourire. — Un nom prédestiné, commenta-t-elle sobrement. — Tout dépend de ce que tu vas me dire, trépondit-il, en posant son regard clair sur elle pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité.&nbs
Toujours liée par la punition qui l’exilait sur Terre, Gaëlle ne disposait que d’une marge de manœuvre réduite, qui l’exposait à toutes les insatisfactions. Impossible d’emmener le jeune homme en Féérie pour le présenter à son peuple. Et difficile de lui expliquer en quoi consistait le rôle d’un Passeuravant qu’il ne soit en mesure de mettre en pratique ses nouvelles fonctions. Sa peine ne s’achevait que la veille du prochain Noël, et Gaëlle en frémissait autant d’impatience que d’inquiétude. Elle savait d’expérience que tout pouvait arriver durant ce laps de temps incompressible. Un peu plus de sept mois d’attente, durant lesquels le danger le plus grave serait que Pierre révèle leur secret à un tiers.&nb
Gaëlle repartit une semaine plus tard. Elle devait présenter un court exposé à Berlin, dans une université proposant un cursus sur les métiers du septième art. Un déplacement de seulement deux jours, qui ne l’éloignait pas trop longtemps de son jeune amant. Le premier soir, alors qu’elle profitait d’une fin d’après-midi ensoleillée pour regagner à pied son hôtel, elle eut soudain l’impression d’être suivie. Il lui suffisait de procéder de sa manière habituelle pour se transporter directement dans sa chambre, mais une sensation familière la retint d’utiliser cette méthode afin d’échapper à l’importun. Alors qu’elle franchissait la Spree, elle ralentit volontairement l’allure pour finir par s’
L’aveu de Gaëlle consommé, la vie reprit son cours pour inscrire les jours dans une routine apparemment ordinaire. Pierre se partageait équitablement entre son emploi, qui lui assurait un minimum de contacts sociaux normaux, et le bonheur de retrouver les bras si peu conventionnels de sa jolie maîtresse. Extérieurement, rien ne distinguait la singularité de leur couple, si ce n’était qu’ils évoluaient au sein d’un bonheur dont ils excluaient tous les autres. Les amis et les collègues du jeune homme s’en étaient un peu inquiétés au départ, mais depuis qu’il fréquentait Gaëlle, Pierre rayonnait d’une telle sérénité intérieure et faisait preuve d’un dynamisme si efficace au travail qu’ils auraient trouvé mesquin de le critiquer.&n
Pierre s’était longtemps interrogé sur la raison qui poussait sa petite fée à demeurer aussi distante. Ses refus répétitifs avaient fini par l’inquiéter, au point qu’il craignait qu’elle ne s’opposât de cette façon à un engagement trop sérieux. La révélation de sa véritable nature lui permettait de mieux la comprendre la raison de ce choix. Mais, à bien y réfléchir, cela ne le rassurait pas pour autant. Cette obstination à ne nouer aucune attache tenait-elle de la simple prudence, ou de l’inéluctabilité d’un départ annoncé ? Il avait promis de ne pas poser de questions ; pourtant, il ne se leurrait pas. S’il la suivait en Féérie, il abandonnerait les siens derrière lui. Un constat dont l’amertume le poussait à partager ses moments de libre avec ceux qu’il affectionnait dès que Gaëlle s’éloignait. Bien conscient que la séparation n’en serait que plus délicate, il marquait néanmoins une sorte de détachement qu’il ressentait d’a
Pierre s’éveilla seul dans le grand lit à baldaquin. Durant quelques instants, ses yeux firent inutilement le tour de la chambre. Celle qu’il cherchait ne se trouvait pas près de la fenêtre, éclairée par un pâle rayon de soleil. Elle ne le regardait pas avec son sourire enjôleur devant la coiffeuse au grand miroir oblong, tandis qu’elle disciplinait sa magnifique chevelure brune. Elle ne se tenait pas davantage devant la penderie étonnamment profonde, à choisir ses vêtements de la journée. Ni derrière le paravent chinois décoré de délicats motifs rouges et or, à enfiler ceux-ci. C’était la première fois que Gaëlle partait aussi longtemps sans l’embrasser une dernière fois avant son départ, et il en ressentait un immense chagrin. Il n’était pas jaloux de ceux qu’elle allait probablement voir, mais il souffrait de son silence. La semaine qui se profilait s’annonçait aussi morne que désœuvrée. Et
Joachim se transporta directement aux portes du château d’Aëlwenn, qu’il se refusait toujours intimement de nommer Gaëlle. En tant qu’ami de longue date et allié incontournable, elle lui permettait de vaquer à sa guise sur son domaine, et même de réquisitionner une partie de ses sujets en cas d’attaque. Grâce à cette largesse, les plans des Mages Gris avaient été ruinés par deux fois, alors qu’elle demeurait encore dans l’impossibilité de donner elle-même ses directives. C’était une façon pour Joachim de prouver sa loyauté à sa cause. Il n’entrait dans ce cadre aucun dessein pour la reconquérir. Il s’agissait simplement de faire front intelligemment contre un ennemi commun. Dès qu’il se présenta, un serviteur s’empressa de le recevoir. À sa question, ce dernier l’avertit que sa maîtresse se trouvait dans la bibliothèque. Il aurait pu l’y rejoindre directement, mais il préféra laisser le soin au domestique de l’annoncer. Il ma
Lorsque Pierre s’éveilla le lendemain matin, il se demanda d’abord pourquoi il entendait le bruit de la circulation urbaine avec autant d’acuité. Loin du centre-ville, la tour était isolée au sein d’un pas particulièrement bruyant l’incita à ouvrir les yeux, mais ce fut le toucher un peu rêche des draps de coton sous ses doigts qui le tira avec brutalité de la semi-léthargie où il flottait encore. Gaëlle n’utilisait que des draps de soie, et il avait pris l’habitude d’apprécier leur caresse sur sa peau nue. Gaëlle ! Affluant en masse, les souvenirs de la veille se déversèrent dans sa mémoire avec une précision si douloureuse, qu’ils lui arrachèrent un gémissement alors qu’il se redressait pour s’asseoir brutalement dans le lit. Qu’avait-il fait ? Un peu hagard, son regard fit le tour de la pièce, comme pour s’assurer qu’il ne divaguait pas dans un mauvais rêve.