Pierre s’était longtemps interrogé sur la raison qui poussait sa petite fée à demeurer aussi distante. Ses refus répétitifs avaient fini par l’inquiéter, au point qu’il craignait qu’elle ne s’opposât de cette façon à un engagement trop sérieux. La révélation de sa véritable nature lui permettait de mieux la comprendre la raison de ce choix. Mais, à bien y réfléchir, cela ne le rassurait pas pour autant. Cette obstination à ne nouer aucune attache tenait-elle de la simple prudence, ou de l’inéluctabilité d’un départ annoncé ?
Il avait promis de ne pas poser de questions ; pourtant, il ne se leurrait pas. S’il la suivait en Féérie, il abandonnerait les siens derrière lui. Un constat dont l’amertume le poussait à partager ses moments de libre avec ceux qu’il affectionnait dès que Gaëlle s’éloignait. Bien conscient que la séparation n’en serait que plus délicate, il marquait néanmoins une sorte de détachement qu’il ressentait d’a
Pierre s’éveilla seul dans le grand lit à baldaquin. Durant quelques instants, ses yeux firent inutilement le tour de la chambre. Celle qu’il cherchait ne se trouvait pas près de la fenêtre, éclairée par un pâle rayon de soleil. Elle ne le regardait pas avec son sourire enjôleur devant la coiffeuse au grand miroir oblong, tandis qu’elle disciplinait sa magnifique chevelure brune. Elle ne se tenait pas davantage devant la penderie étonnamment profonde, à choisir ses vêtements de la journée. Ni derrière le paravent chinois décoré de délicats motifs rouges et or, à enfiler ceux-ci. C’était la première fois que Gaëlle partait aussi longtemps sans l’embrasser une dernière fois avant son départ, et il en ressentait un immense chagrin. Il n’était pas jaloux de ceux qu’elle allait probablement voir, mais il souffrait de son silence. La semaine qui se profilait s’annonçait aussi morne que désœuvrée. Et
Joachim se transporta directement aux portes du château d’Aëlwenn, qu’il se refusait toujours intimement de nommer Gaëlle. En tant qu’ami de longue date et allié incontournable, elle lui permettait de vaquer à sa guise sur son domaine, et même de réquisitionner une partie de ses sujets en cas d’attaque. Grâce à cette largesse, les plans des Mages Gris avaient été ruinés par deux fois, alors qu’elle demeurait encore dans l’impossibilité de donner elle-même ses directives. C’était une façon pour Joachim de prouver sa loyauté à sa cause. Il n’entrait dans ce cadre aucun dessein pour la reconquérir. Il s’agissait simplement de faire front intelligemment contre un ennemi commun. Dès qu’il se présenta, un serviteur s’empressa de le recevoir. À sa question, ce dernier l’avertit que sa maîtresse se trouvait dans la bibliothèque. Il aurait pu l’y rejoindre directement, mais il préféra laisser le soin au domestique de l’annoncer. Il ma
Lorsque Pierre s’éveilla le lendemain matin, il se demanda d’abord pourquoi il entendait le bruit de la circulation urbaine avec autant d’acuité. Loin du centre-ville, la tour était isolée au sein d’un pas particulièrement bruyant l’incita à ouvrir les yeux, mais ce fut le toucher un peu rêche des draps de coton sous ses doigts qui le tira avec brutalité de la semi-léthargie où il flottait encore. Gaëlle n’utilisait que des draps de soie, et il avait pris l’habitude d’apprécier leur caresse sur sa peau nue. Gaëlle ! Affluant en masse, les souvenirs de la veille se déversèrent dans sa mémoire avec une précision si douloureuse, qu’ils lui arrachèrent un gémissement alors qu’il se redressait pour s’asseoir brutalement dans le lit. Qu’avait-il fait ? Un peu hagard, son regard fit le tour de la pièce, comme pour s’assurer qu’il ne divaguait pas dans un mauvais rêve.
Décembre installa ses lumineux ornements de rues, les magasins changèrent de décor, et certaines façades virent fleurir des bonshommes rouges suspendus à leurs balcons ou à leurs fenêtres. Pierre rentrait à rentrer à pied. Il marchait depuis près d’une demi-heure sans vraiment faire cas des rares passants qu’il croisait. La nuit était tombée depuis longtemps. Le flot des voitures le frôlait dans son anonymat, et leur ronronnement incessant finissait par bercer le désarroi qui ne le quittait plus. Son souffle plus court se transformait en halo quand il passait sous un réverbère, et lorsqu’il s’approcha de la Maine, le froid vif le saisit davantage. Alors qu’il s’engageait sur le pont de la Basse-Chaîne, il hâta le pas sans grand espoir de se réchauffer. De l’autre côté, le château des ducs d’Anjou découpait sa masse imposante sur les lumières de la ville. Pierre laissa errer son regard sur ce bijou d’architecture sans éprouver
Pierre voguait au sein d’un rêve indistinct. Une impression de douce quiétude, indicible et inconcevable, prévalait sans qu’il sache préciser pourquoi. Il se sentait enclos dans une bulle protectrice dont il refusait de sortir. La chaleur qui l’environnait participait à cette conjugaison d’éléments fragmentés qui berçaient son corps et son âme. Un sentiment d’intouchabilité, qui se transformait en anormalité au fur et à mesure que sa conscience malmenée refaisait surface. Une première pensée cohérente frappa soudain son esprit, gâtant de son onde pernicieuse la béatitude où il évoluait. Il se rappelait sa chute. Le choc brutal de sa plongée dans la rivière, l’étau glacial qui s’était immédiatement refermé sur lui au point de lui couper le souffle. Ses vêtements gorgés d’eau et trop lourds, qui l’entraînaient inexorablement vers le fond. Son regard qui se perdait dans une nuit trouble et liquide, aussi sombre que le désespoir
Pierre s’aperçut alors qu’il se trouvait dans une vaste grotte aux parois incrustées de gypse et veinées de longs affleurements d’améthystes d’un joli violet clair. De gigantesques champignons bleus poussaient près d’une source d’eau limpide, tandis que très haut sous la voûte incurvée évoluaient des sortes de lucioles, qui constellaient la roche de la douce lumière clignotante d’un blanc rosé qui émanait de leur abdomen. Émerveillé, le jeune homme se redressa sur les coudes pour mieux admirer ces prodiges. Nul doute qu’il se trouvait en Féérie. Cette évidence ravivait sa curiosité, tout en étayant le bonheur incroyable qui lui arrivait. Près de lui, Gaëlle s’assit, remarquablement belle dans sa nudité impudique, que masquait à peine sa longue chevelure dénouée. Il se retourna complètement vers cette image envoûtante pour déposer un baiser gourmand sur sa hanche blanche. &n
Joachim repoussa discrètement les battants de la fenêtre qu’il venait de fracturer avant de se glisser subrepticement dans le couloir. Dissimulé par une encoignure, il jeta un œil prudent à droite et à gauche. De simples lampes à huile se répartissaient à intervalles réguliers sur les murs. Chichement éclairé, le corridor déroulait son sol de pierre dans une semi-pénombre propice à son intrusion. Il se félicita de son choix. Personne ne se trouvait à portée de vue. Par précaution, il avait décidé de suivre le chemin que les serviteurs empruntaient la journée. Comme il l’espérait, l’heure tardive rendait cette voie déserte. Sortant de sa cachette, il prit la direction qui s’enfonçait au cœur de l’édifice.&nb
Il approchait de la grande salle et les abords de celle-ci étaient toujours gardés. Il pensait progresser encore un peu en se dissimulant dans le couloir, quand une grille vint fort malencontreusement lui barrer le passage. Regardant autour de lui, il avisa sur sa gauche une porte étroite. Il n’avait plus le choix. Il devait s’engager en terrain découvert. Entrebâillant le battant, il jeta un œil de l’autre côté. Comme il l’espérait, il se trouvait au niveau de l’immense pièce centrale où le grand prêtre commémorait les offices sous l’égide de l’Étoile Céleste. Quarante énormes colonnes incrustées de pierreries soutenaient l’imposante coupole oblongue qui abritait le chœur de l’édifice. Taillé avec art, son verre dépoli d&eacut