Kael
Le vent mord ma peau, une morsure glacée qui me fait me tendre sur place. Je ferme les yeux un instant pour l’accepter, mais je ne frissonne pas à cause du froid. Non. Ce n’est pas cela. C’est quelque chose d’autre, quelque chose qui naît au creux de mes entrailles et qui fait gronder ma poitrine.
Un frisson primordial, vieux comme le monde.
Je suis là, sur cette colline déserte, le souffle lourd, le regard fixé sur la forêt devant moi. Les pins noirs se dessinent contre la lueur cramoisie de la lune. Ils semblent m’observer, comme une armée silencieuse, un ancien cercle de vie et de mort, un murmure d’avertissement. L’air est lourd d’une énergie que je n’ai jamais ressentie auparavant, une pression invisible sur ma poitrine. Quelque chose qui pousse contre mes os, qui se frotte contre mon esprit.
Ce n’est pas la pleine lune qui me fait trembler. La lune, elle est rouge. Rouge comme le sang, rouge comme une plaie ouverte dans le ciel, une promesse de douleur. Elle brille de façon menaçante, presque arrogante, comme si elle savait ce qui allait se passer ce soir, comme si elle était la gardienne d’un secret que je ne peux percer.
Je ferme les poings. Mes muscles sont tendus, mes griffes se forment sous la peau, prêtes à se libérer. Mais cette sensation qui me parcourt n’est pas celle de la transformation. Ce n’est pas la faim qui m'habite, ni la violence qui caractérise ma nature. Non. Ce qui gronde en moi est beaucoup plus subtil, plus délicat et tout aussi dévastateur. C’est un appel.
Un appel lointain, comme une onde magnétique qui perce mon cœur. Un appel que je ne comprends pas encore, mais que je ne peux ignorer.
Je laisse échapper un souffle que je n'avais même pas conscience de retenir, et je ressens le sol sous mes pieds. La terre vibre sous moi. La forêt murmure. Elle sait. Elle ressent ce que je ressens. Elle retient son souffle tout autant que moi.
Je ferme les yeux pour plonger dans cette sensation, pour l’accepter, pour comprendre ce qui me pousse à ressentir cela, ce lien invisible qui m’unit à elle, cette... présence.
Et là, dans l'obscurité, je la vois. Elle est là, presque tangible, dans l’obscurité de mon esprit, un éclat de lumière dans cette nuit infinie. Son visage se dessine lentement devant mes yeux, doux, parfait, envoûtant. Elle n’a pas de nom, pas encore. Mais son visage m'est gravé à l'intérieur, comme un tatouage indélébile.
Je vois ses yeux. Ces yeux qui me fixent avec une intensité folle, qui semblent sonder mon âme, remuer des émotions enfouies. Son regard... il est tout à la fois étranger et familier, doux et sauvage, une promesse et une menace. Elle est une énigme, un paradoxe incarné. Ses lèvres s’entrouvrent, à peine, et un frisson me secoue, un appel silencieux qui me fait m’avancer, me tendre vers elle, me perdre dans son regard.
Elle n’est pas loin. Non. Elle est plus proche que tout ce que je peux imaginer.
Mais alors que je me perds dans ses yeux, je sens le froid de la nuit qui me ramène à la réalité. Je suis toujours ici, seul, sur cette colline, sous cette lune écarlate. Le vent se lève, me frappant de nouveau, me rappelant que je suis en proie à un désir plus vaste que moi-même, plus fort que tout ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent.
Elle est là. Mais je ne sais pas où.
Un frisson me traverse, cette fois-ci, plus sombre. Mon esprit lutte pour comprendre ce lien invisible qui se tisse autour de moi, mais tout ce que je sais, c’est que cet appel ne me laisse aucune échappatoire. C’est une brûlure qui s’allume en moi, un incendie qui ne cessera que lorsqu'il aura tout consumé.
Je sens la terre vibrer sous mes pieds, comme si elle aussi répondait à l’appel, comme si elle aussi était prête à révéler les secrets enfouis.
Je serre les poings. Mon souffle est plus rapide. Le loup en moi gronde, tiraillé entre l’envie de courir vers l’origine de cet appel, et la nécessité de rester maître de la situation. Mais même dans ce calme apparent, une certitude naît en moi.
Elle m’appelle. Elle est mienne.
Je l’ai toujours su.
Je n’ai jamais été aussi certain de rien.
Liam
Je suis dans mon bureau, seul. Tout autour de moi, la ville déploie ses lumières scintillantes, une mer d’acier et de verre qui s’étend jusqu’à l’horizon. Mais je n’y prête pas attention. Ce n’est pas l’agitation de la ville qui me fait trembler.
Non, ce qui me fait frissonner ce soir, c’est une chaleur étrange, qui se diffuse lentement, insidieusement, à travers ma poitrine. Un feu qui brûle au fond de mes entrailles. Il gronde, monte, déchire chaque fibre de mon être, me secoue comme si quelque chose en moi se réveillait. Je devrais être détendu, maître de moi-même, tout comme je l’ai toujours été. Mais ce soir, il est impossible de cacher ce qui se déchaîne à l’intérieur.
Je pose mon verre, observant le whisky tourbillonner dans le cristal. La lumière lunaire pénètre à travers la baie vitrée, une lueur rouge sang qui teinte la pièce d’une atmosphère irréelle. La lune... elle n’est pas ordinaire ce soir. Rouge, comme un feu ardent. Un feu que je ressens jusque dans mes os.
Je me lève. Mes mouvements sont mécaniques, presque étrangers. Une force m’entraîne, une énergie que je ne contrôle pas. Elle est là, dans l’air, palpable, lourde, prête à m’envahir. Et je sais que je dois la suivre.
Je suis un homme de contrôle, un maître de ma destinée. Mais ce soir, quelque chose échappe à ce contrôle.
Puis je la vois.
Son nom m’effleure l’esprit avant même que mes yeux ne l’aperçoivent. Neriah.
Je l’ai vue, il y a quelques jours. Un simple croisement de regards. Un instant. Mais depuis ce moment, elle hante chacune de mes pensées, chaque moment de ma solitude. Ses yeux, sa peau, la promesse qui se cache derrière ses lèvres… Ils sont gravés dans mon esprit comme une obsession.
Elle se tient là, à l’orée d’une fête qu’elle ne désire pas rejoindre, son corps élégant, mais sa posture distante, presque sauvage. Elle me fixe, sans détourner le regard, et je me sens submergé, pris au piège par cette attraction qui me brûle.
Il n’y a pas de raison pour que je sois attiré par elle ainsi. Elle n’est qu’une femme parmi tant d’autres. Mais elle n’est pas comme les autres.
Ses yeux. Ils me scrutent, me sondent. J’ai l’impression qu’ils savent des choses sur moi, des choses que je n’ai même pas osé affronter.
Tout en elle semble incompatible avec ce que je suis. Pourtant, une part de moi, une part que je ne reconnais pas, désire la posséder.
Un désir charnel, insensé, qu’aucune logique ne peut expliquer.
NeriahIls ne bougent pas.Leurs poitrines se soulèvent lentement, en cadence mais comme à contrecœur, comme si même respirer au même rythme les mettait en danger, comme si reconnaître ce souffle commun était déjà céder quelque chose qu’ils refusent de lâcher.Kael garde les mâchoires serrées, les yeux fixés sur moi mais pas sur moi, comme si j’étais devenue transparente et qu’il cherchait à travers ma peau un point d’ancrage pour ne pas basculer. Liam, lui, me fixe directement, mais je sens que ce n’est pas moi qu’il voit, c’est Kael derrière moi, c’est l’ombre qu’il s’est juré de détester.Je ne dis rien, pas encore, je laisse le silence se déposer, lourd et profond, jusqu’à ce qu’il devienne insupportable, jusqu’à ce qu’il colle à leurs veines comme une brûlure lente.— Regardez-vous.Ma voix fend l’air comme un coup sec.Liam détourne le regard une fraction de seconde, Kael aussi, mais jamais en même temps, comme si leur refus devait rester désynchronisé pour être crédible.— Vous
NeriahIls sont là.Kael, à ma gauche, blessé, haletant, la chemise déchirée, le torse strié de sang, ses yeux vrillés d’ombre et d’or. Le souffle court, animal. Les crocs encore visibles. La rage pas tout à fait descendue.Liam, à ma droite, ses épaules trop larges pour ce monde, ses mains encore chargées d’électricité, ses veines palpitantes sous la peau, son regard incandescent, animal, brisé. Sa poitrine se soulève, chaque battement comme un grondement contenu.Et moi, au milieu.Je ne bouge pas.Je ne fuis plus.Le moteur ronronne doucement, sans démarrer. Mes doigts sont sur les clés, mais je n’ai plus besoin de partir. Pas encore. Pas comme ça. Pas alors que tout s’ouvre sous moi, en moi.Ils ne disent rien. Le silence est lourd, saturé, vibrant, comme avant un séisme. Un entre-deux. Une suspension.Et je comprends.S’ils me tuent maintenant ce n’est pas moi qu’ils veulent atteindre, pas vraiment. C’est l’autre. C’est le miroir. C’est l’énigme. C’est le double. C’est ce qu’ils
NeriahJe n’ai plus de force, plus de souffle, seulement cette impression de flotter entre deux battements de cœur, allongée dans l’humus humide et la poussière d’étoiles qui colle à ma peau, mes paumes en sang ouvertes comme des offrandes muettes, mes jambes écorchées, mes membres engourdis, mes cheveux collés à ma nuque, à mes joues, lourds de sueur, de terre, de peur, et cette morsure, cette marque en feu qui pulse dans ma nuque, dans ma cage thoracique, jusque dans mes os, comme un second cœur plus ancien, plus vaste, plus vrai que le mien.Et Kael est là, debout, inflexible, encore, son souffle rauque, guttural, presque animal, ses yeux fendus d’or et de nuit brillant dans l’obscurité comme deux éclats de fièvre, ses crocs sortis, sa peau tendue par la rage, par la promesse d’un massacre, par la violence d’un amour brut, sans mots, sans issue.Mais il ne frappe pas, il ne tue pas, pas cette fois.Il me soulève, doucement, comme si j’étais faite de verre et de nuit, comme un farde
NeriahJe les regarde.Leurs corps frémissent encore, pris dans une immobilité plus violente que la lutte, une tension si dense qu’elle en devient matière, souffle, feu, et dans cet instant suspendu, je ne respire plus, je ne pense plus, je me dissous dans ce face-à-face trop ancien, trop animal, qui me dépasse, leurs yeux se dévorent, leurs muscles tremblent, la pièce est trop petite, trop pleine de ce qu’ils ne disent pas, et moi, moi je suis là, entre eux, contre eux, et quelque chose dans mon ventre se met à hurler.Et tout change.Kael se tourne vers moi, d’un coup, comme s’il se souvenait que j’existe, ou comme s’il s’en souvenait trop fort, ses yeux me transpercent, noirs, brûlants, fendus d’or, et sans que je comprenne pourquoi, sans que je puisse bouger, sans que j’aie le temps de crier ou de penser ou de dire non ou oui, il me saisit.Ses bras m’enlacent, puissants, brutaux, possessifs, mon corps se plaque contre le sien, mes jambes battent l’air, mes mains cherchent un appu
NeriahIls ne bougent plus.Le silence est un tambour, sourd, prêt à éclater, chaque souffle est un cri que personne n’ose prononcer, la pièce entière est suspendue entre leurs deux regards, entre cette haine ancienne et ce désir trop vivant, trop brûlant, cette chose qui palpite entre eux et à l’intérieur de moi, cette chose qui me ronge, qui me dévore, cette marque sur ma peau qui n’est pas qu’un sceau, mais un appel, une fracture, une ouvertureIls se toisent, aucun ne recule, et je sens, au fond de mes entrailles, quelque chose d’invisible, d’ancien, qui monte, comme un grondement sous la terre, comme une bête qui remue après des siècles d’oubliKael avance d’un pas, Liam aussiLeurs muscles vibrent, leurs veines noircissent sous la peau, parcourues par une lumière sale, irisée, vivante, un éclat de fièvre qui rampe, qui s’enroule, comme un serpent de feu, ils sont beaux, ils sont terribles, ils ne sont plus des hommesJe recule, à genoux, je cherche à fuir mais mes jambes sont du
NERIAHJe suis encore là.Le souffle coupé. Le cœur en vrac. L’odeur de Kael sur mes lèvres, dans ma gorge, jusque dans mes poumons. Son baiser n’est pas terminé. Il n’a pas été un élan, ni une caresse.C’était un sceau.Je ne comprends pas ce qu’il a déclenché.Je le fixe. Il ne bouge pas. Et pourtant, quelque chose… change. L’air, les murs, la lumière elle-même semblent se replier.Ses yeux ne sont plus les mêmes.Plus sombres plus anciens. Un noir qui avale. Un silence chargé de millénaires.Il lève lentement une main, et du bout des doigts, effleure ma gorge. Juste là, sous l’oreille.Je frémis. Je crois qu’il va m’embrasser à nouveau.Mais il ne bouge rapidement et se rapproche de moi sans que je ne comprenne comment , mon cou est dans sa bouche , ses crocs me mordent jusqu'au sang . Je cri de douleur , puis il me relâche .Il murmure, comme un oracle :— C’est fait.— Quoi ? Ma voix n’est qu’un souffle éraillé.Et alors…Je sens comme une marée.Sous ma peau, à la base de ma nuq