Catalina :
Je suis assise sur la banquette arrière d’une que je n’aurais même pas osé regarder en rêve. Tout brille. Tout est propre. Tout est lisse. À l’intérieur comme à l’extérieur. Sauf moi. Je garde les yeux droits devant moi, figée dans le cuir beige, les mains crispées sur mon manteau trop grand, trop usé. J’ai froid. Pas à cause de la température. Mais parce que tout en moi tremble, lentement, en silence. Je ne pleure pas. Mais mes joues sont mouillées. Les larmes glissent seules, discrètes. Comme si elles savaient qu’elles n’ont pas le droit de faire de bruit ici. Dans cette voiture. À côté de lui. Je le vois du coin de l’œil. Droit. Sûr. Silencieux. Il dégage une aura impossible à ignorer. Le genre de présence qui bouffe l’oxygène, qui plie le monde autour de lui. Il ne parle pas beaucoup, mais tout en lui parle pour lui. Grand, la peau bronzée, des cheveux courts et bouclés, sombres comme la nuit. Une barbe parfaitement taillée, des traits nets, durs, maîtrisés. Et un corps… sculpté. Élégant sans effort. Comme s’il avait été façonné pour le pouvoir, pour le luxe, pour qu’on s’écarte sur son passage. Et ça marche. Il est assis à ma gauche. Il ne bouge presque pas. Tout en lui est calculé. Et même dans son silence, je sens son regard. Il me sonde. Il me pèse. Je garde mes jambes croisées. Mon dos tendu. Ma mâchoire serrée. Je me force à ne pas essuyer mes joues. Il ne mérite pas de voir mes mains trembler. - Tu as des affaires à faire récupérer chez toi ? demande-t-il soudain, d’une voix posée. Sa voix est calme. Comme s’il me proposait un café. Ou une place de cinéma. Je ne réponds pas tout de suite. Ma gorge est trop nouée. Puis je murmure : - J’ai rien. Il tourne légèrement la tête vers moi. - Rien ? Je secoue la tête. Mes yeux fixent toujours l’avant. - Ce que je porte, c’est tout ce que j’ai. Un silence. Je ne sais pas s’il est surpris. Il ne montre rien. Il inspire lentement, puis ajoute : - Ma femme ne peut pas ressembler à ça. Ses mots tombent comme une gifle froide. Je tique. Je baisse les yeux. Il n’y a rien à répondre. Il a raison. Dans son monde, je suis une insulte. Un détail mal taillé. - On va s’arrêter, dit-il. Il faut que tu sois présentable. Je serre les dents. J’ai envie de lui dire que je ne suis pas sa poupée. Que je ne veux pas qu’on me transforme. Mais je ne dis rien. Parce que je sais que ça ne servirait à rien. Parce que c’est déjà trop tard. La voiture s’arrête devant une vitrine immense. Une façade blanche, dorée, trop lumineuse. Je n’ai même pas besoin de lire le nom. Je sais. C’est ce genre d’endroit où les vendeuses te regardent de haut si t’as pas les bonnes chaussures. Le genre d’endroit où tu peux acheter une robe qui coûte plus cher que tout ce que j’ai mangé ces six derniers mois. Un des hommes ouvre la porte. Je descends, raide. J’ai l’impression que chaque passant me regarde. Voit à quel point je détonne ici. Alejandro descend à son tour. Il me rejoint, mais ne me touche pas. Il parle à l’oreille d’une vendeuse qui s’approche aussitôt, tirée à quatre épingles. Elle me regarde une seconde. Son regard glisse sur mon manteau troué, mes chaussures fatiguées. Je vois le jugement. Fugace. Elle se reprend aussitôt. Le masque professionnel revient. - Bonjour, Mademoiselle, dit-elle avec un sourire poli. - Monsieur a précisé qu’il fallait tout reprendre de zéro. Taille, style, tout. Vous venez avec moi ? Je ne bouge pas. Elle pose doucement une main sur mon bras. Je la suis. Les autres vendeuses s’activent autour de moi comme des abeilles autour d’un cadavre sucré. On me fait asseoir. On me déshabille du regard. Puis pour de vrai. Je me retrouve en sous-vêtements. Je croise les bras sur ma poitrine, mal à l’aise. Une d’elles s’approche avec un mètre ruban. - On va prendre les mensurations, d’accord ? Je hoche la tête. Muette. Honteuse. Prisonnière d’un luxe qui me dévore. Elles mesurent. Touchent. Commentent. - Jolie cambrure. - Elle a une silhouette parfaite. - Un teint magnifique, vous avez vu ? Je me sens comme un objet en vitrine. Comme si j’étais une voiture qu’on inspecte avant de l’exposer. Puis on m’apporte des robes. Des pantalons. Des ensembles de lingerie. Je ne sais plus où regarder. J’essaie. Je ne reconnais pas mon reflet. Je me vois dans le miroir, maquillée, coiffée, habillée. Et je ne vois plus Catalina. Juste une autre. Une coquille. Quand je ressors, Alejandro est là. Assis dans un fauteuil. Il lève les yeux. Son regard me parcourt. Lentement. Il ne dit rien. Mais je vois. Je sens. Il est satisfait. Et moi, je me déteste un peu plus. Alejandro ne discute pas. Il ne demande pas s’il me faut une taille ou l’autre. Il fait un signe de tête, et la vendeuse comprend tout. - Nous prendrons l’ensemble, dit-il, sans même me regarder. Tout. Chaque robe. Chaque paire de chaussures. Chaque ensemble de lingerie qui a été présenté. Elle hoche la tête, s’incline légèrement, comme si elle remerciait un roi. Je suis à côté, debout, figée, incapable de croire que tout ça est pour moi. Mais ce n’est pas pour moi. Rien n’est jamais pour moi. C’est pour ce que je dois être. Ce que je dois représenter à ses côtés. Une image. Une façade. Un mensonge habillé en Dior. Il ouvre la porte de la voiture, ne m’adresse pas un mot, et attend que je monte. Je m’installe à l’arrière, droite comme un piquet. Il monte après moi, s’assoit, croise les jambes. Le moteur démarre. - Tu n’as pas posé de question, dit-il soudain, sans tourner la tête. Je reste silencieuse. Il continue. - C’est bien. C’est ce que j’attends de toi. L’obéissance. La discipline. La dignité. Je serre les dents. - Tu peux penser ce que tu veux de moi, Catalina. Mais je déteste le chaos. J’ai grandi dedans. Je ne le tolère pas dans ma maison. Je tourne la tête vers la vitre. Il m’ignore. - Je t’ai choisie parce que tu as ce que je cherche. Pas ce que je désire. Ce que j’ai besoin de montrer. Une femme posée. Calme. D’apparence douce. Rien d’excessif. Rien de vulgaire. Ses mots me coupent comme des lames froides. Il me décrit comme on décrit une pièce rare, mais inerte. Il parle de moi sans émotion. Comme d’un objet qu’il a acheté avec soin. La voiture ralentit. On arrive. La villa est immense. Plus grande que ce que j’imaginais. Des colonnes blanches, un portail en fer forgé, une fontaine au centre, un jardin taillé au millimètre. Tout est impeccable. Froid. Parfait. Je descends en silence. Il ne m’attend pas. Il entre. Je le suis. - Ferme la porte, ordonne-t-il. Je m’exécute. Le hall est immense. Marbre clair, tableaux aux murs, odeur de propre, de luxe, d’ordre. Chaque chose est à sa place. Moi, je ne le suis pas. Il avance sans m’expliquer. Je le suis jusqu’à une porte sur le côté. Il l’ouvre. - Ta chambre. Tu y restes. Tu ne montes jamais à l’étage sans y être invitée. Tu ne dors pas dans mon lit. Tu ne fouilles rien. Tu n’ouvres aucune porte sans ma permission. Je hoche la tête. Il s’approche, plus près. Son regard me traverse. - Quand tu es ici, tu es silencieuse. Tu observes. Tu écoutes. Tu apprends. Si tu fais un faux pas devant ma famille, je ne te protègerais pas. Je m’occuperai de toi moi même. Il recule d’un pas. - Repose-toi dix minutes. Maria t’appellera. On dîne ensemble. Et là, je t’expliquerai tout. Il ferme la porte. Me laisse dans une chambre immense. Trop propre. Trop vide. Je n’ose pas m’asseoir. Alors je reste debout, le regard perdu, les mains tremblantes. Quand on toque, dix minutes plus tard, je sursaute. Une femme d’environ cinquante ans entre. Petite, coiffée en chignon, le visage doux. - Catalina ? Je suis Maria. J’ai préparé à manger. Monsieur vous attend. Je la suis sans parler. La salle à manger est sobre mais impressionnante. Une table en bois massif, deux assiettes dressées avec précision. Alejandro est déjà assis. - Viens. Assieds-toi. Je m’exécute. Maria sert le repas en silence. Puis disparaît. Il plante sa fourchette dans sa viande. Mange deux bouchées. Boit une gorgée. Puis me fixe. - On va être clairs. Je le fixe. - Tu es ici pour deux ans. Pas une minute de plus. Le jour où l’échéance arrive, tu disparais. Ton nom sera effacé. Ton passage oublié. Et tu vivras dans un autre pays, avec une nouvelle identité si je le décide. Je déglutis. - D’ici là, tu es ma femme. Tu devra te plier à mes ordre, tous se que je te dirais de faire tu le fera et tu fermera ta gueule. Je baisse les yeux. Un pincement. Ridicule. - Dans deux jours, tu rencontreras ma famille. On dira qu’on s’est rencontrés dans un bar, que j’ai insisté, que tu as fini par céder. Que ça fait six mois. Que je t’ai cachée pour te protéger. Il s’appuie contre le dossier, croise les bras. - Dans cinq jours, on se marie. Je relève la tête d’un coup. - C’est rapide, je murmure. - C’est nécessaire. Mon père vieillit. La passation se fait sous conditions. Tu es l’une d’elles. Tu dois être parfaite. Belle. Calme. Fidèle à l’histoire qu’on aura répétée. Je serre la nappe. - Et si je me trompe ? Il sourit. Froid. - Tu n’as pas intérêt à te tromper, Catalina. Parce que si tu te trompes, tu m’humilies moi Alejandro Del Castillo. Et si tu m’humilies… Il ne finit pas. Il n’a pas besoin. Je hoche lentement la tête. Il se lève. Pose sa serviette. Me regarde une dernière fois. - Maria s’occupe de toi. Demain, ta journée commence à six heures. Bain. Petit-déjeuner. Répétition de notre histoire. Nouveau look. Et apprentissage des noms de ma famille. Il s’approche, juste assez pour me dominer. - Tu appartiens à ce mensonge maintenant. Fais en sorte de le rendre vrai. Il sort. Me laisse là. Seule. Muette. Et moi, je comprends que ce n’est que le début. Je monte lentement les escaliers. Chaque pas résonne dans le silence de cette maison parfaite. Les murs sont trop lisses. Trop propres. J’ai l’impression que même mes pensées font trop de bruit ici. J’entre dans ma chambre. Une serviette est posée sur le lit. Une nuisette de soie claire aussi. Neuve. Froissée par la main de Maria, pas encore par mon corps. Je pousse la porte de la salle de bain. Le marbre est glacé sous mes pieds nus. La baignoire encastrée est immense. Il y a des bougies, même si personne ne les a allumées. Un parfum léger flotte dans l’air. Quelque chose entre la vanille et l’ambre. C’est apaisant, mais trop. Je fais couler l’eau. J’y glisse quelques gouttes de savon liquide. Ça mousse. Lentement. Presque élégamment. Je me déshabille sans me regarder dans le miroir. Je ne peux pas. Pas ce soir. Je glisse dans l’eau chaude. Elle me recouvre comme un linceul. Mes épaules se détendent enfin. Mon cou craque. Mes paupières deviennent lourdes. Mais mon esprit, lui, tourne encore. Je suis dans une maison qui n’est pas la mienne. Dans un corps qu’on a redessiné. À jouer un rôle que je ne comprends pas encore. Je ferme les yeux. Juste quelques minutes. Juste pour me retrouver. Puis je sors. Je m’essuie lentement. J’enfile la nuisette, trop douce pour moi. Je me glisse dans le lit immense. Les draps sentent le luxe. L’oubli. Je me tourne sur le côté. Je ferme les yeux. Et je me force à respirer. ⸻ Alejandro Je claque la portière de ma deuxième voiture à 22h05. Pas une minute de retard. Mes hommes sont déjà là. Le moteur tourne. Les phares éclairent la ruelle derrière l’entrepôt. Personne ne parle. On ne parle jamais ici. Je monte à l’arrière. Miguel me tend une tablette. Il a déjà les chiffres. - Colombie, 1800 kg. Port de Valencia, reçu ce matin. Costa Rica, 900 kg, il y a eu du retard. Mais ça passe. Je hoche la tête. - Les armes ? - Les caisses de Budapest sont arrivées. AK, Glock, fusils de chasse russes. Les douanes ont été payées. Pas de fuite. Je fais défiler les documents. Toutes les lignes sont vertes. Aucune alerte. - Nettoyage du cash ? - On passe par les hôtels de la zone 6 et les clubs de la vieille ville. Ça prend, mais ça reste discret. Les autorités ferment les yeux. Trop bien payées pour voir. Je croise les bras. Mon esprit calcule plus vite que le système bancaire. Chaque paquet. Chaque mort. Chaque dollar. - Et la Colombienne ? la pute de Javier ? - Disparue. Je souris. - Dommage. Je tends la tablette. - Préviens les Hongrois. On triple la commande d’ici la fin du mois. On va avoir besoin de plus. Beaucoup plus. Miguel hoche la tête, note, exécute. Je regarde par la fenêtre. Le monde est silencieux. Mais il est à moi. Chaque quartier. Chaque camion. Chaque goutte de sang. Et maintenant, j’ai une femme. Pas pour l’aimer. Pour gouverner. Catalina Maria ne me laisse aucun répit. À peine Alejandro a-t-il quitté la pièce qu’elle revient à côté de moi, carnet en main, regard concentré. Elle n’a pas besoin de dire que l’entraînement continue, c’est évident. Tout ici est réglé comme une horloge, et moi, je suis coincée dans le mécanisme. - On reprend, dit-elle simplement. Et je répète. Encore. Encore. Encore. Chaque mot devient une chaîne. Chaque phrase, une cloche qu’on me force à faire sonner jusqu’à ce que je n’entende plus rien d’autre. J’apprends à parler de souvenirs qui ne sont pas les miens. À raconter un baiser que je n’ai jamais donné. À décrire un homme qui ne m’a jamais aimé. Je m’embrouille. Elle me reprend. Elle m’oblige à recommencer. Parfois elle hausse la voix. D’autres fois, elle s’approche doucement, pose une main sur mon bras comme pour me calmer, mais je sais que ce n’est pas de la tendresse. C’est du conditionnement. Le temps passe sans que je le voie. Les heures défilent, avalées par des phrases vides. J’ai mal à la gorge, mal au crâne. À la fin de la journée, j’ai l’impression que je pourrais réciter toute cette merde dans mon sommeil. Et c’est peut-être ce qu’ils veulent. À l’heure du dîner, Maria m’apporte un plateau dans ma chambre. Je ne descends pas. Alejandro ne m’a pas convoquée. Il n’y a donc pas de repas partagé. Je mange à peine. Mon corps est là, mais ma tête est ailleurs. Je suis épuisée. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai juste envie que ça s’arrête. Mais je sais que demain, ça recommencera. Et je ne me trompe pas. Le lendemain, à la même heure, Maria frappe. Elle entre, me réveille, me prépare, m’habille. Son efficacité est presque militaire. Et tout recommence. Elle ne sourit plus. Elle ne m’encourage pas. Elle attend que je sois parfaite. Et moi, je parle. Je parle comme une autre. Je réponds avec des phrases qui ne m’appartiennent pas. Je commence même à anticiper ses corrections. À corriger moi-même ce que je dis. À me juger. À midi, je me rends compte que je viens de décrire un souvenir — un faux — avec un sourire sincère sur les lèvres. Et là, je me fige. Parce que je comprends que ce n’est pas seulement une histoire qu’on me fait apprendre. C’est moi qu’on est en train d’effacer.La voiture roule dans le noir. La route défile, monotone, mais l’air à l’intérieur est irrespirable. Je sens encore les regards de sa mère, les applaudissements, la bague. Tout ça colle à ma peau comme une deuxième couche que je ne peux plus retirer. Alejandro rompt le silence. - Tu as bien joué ton rôle. J’ai eu ce que je voulais. Je ne réponds pas. - Tu peux être fière de toi. J’ai envie de lui dire que je ne veux pas de ses félicitations. Que ce n’est pas un jeu pour moi. Que je ne suis pas une actrice. Mais je me tais. Parce que je sens que le pire n’est pas encore dit. Il tourne la tête vers moi. - Maintenant, il faut qu’on parle de la 2eme partie du plan. Je me crispe. - Quel 2eme partie ? - La nuit de noces. Mon ventre se tord immédiatement. Je sens un froid monter dans mes jambes. Je secoue la tête avant même qu’il continue. - Non. Non, Alejandro. Il ne bouge pas. - Il le faut, Catalina. - Je joue ton rôle, je mens pour toi, je porte ta bague… mai
Catalina Le réveil sonne à 8h.Mais je suis déjà éveillée.J’ai dormi d’un œil, le corps tendu, l’esprit embourbé dans un tourbillon de phrases apprises par cœur, de gestes à répéter, de sourires à maîtriser. Ce matin, je ne suis plus une survivante. Je suis un mensonge bien habillé.Maria entre sans bruit, comme toujours.- Bonjour Catalina. L’eau est chaude. Le petit-déjeuner sera servi dans une heure. Vous avez le temps de vous préparer.Elle me parle comme si aujourd’hui était un jour comme un autre. Mais ce n’est pas le cas.Je prends mon bain en silence, le regard fixé sur les carreaux blancs du mur. Mon reflet est flou dans la vapeur. Tant mieux.Je m’habille lentement. Robe noire Dior, longue, moulante mais élégante. Elle glisse sur ma peau comme un uniforme. Le tissu épouse mes courbes sans vulgarité. Sur les épaules, je pose un léger châle. Mes cheveux sont lissés, raides, tombant en rideau sur mon dos. Aucune mèche ne dépasse. Chaque détail compte.J’enfile mes talons blan
Catalina :Je suis assise sur la banquette arrière d’une que je n’aurais même pas osé regarder en rêve. Tout brille. Tout est propre. Tout est lisse. À l’intérieur comme à l’extérieur.Sauf moi.Je garde les yeux droits devant moi, figée dans le cuir beige, les mains crispées sur mon manteau trop grand, trop usé. J’ai froid. Pas à cause de la température. Mais parce que tout en moi tremble, lentement, en silence.Je ne pleure pas.Mais mes joues sont mouillées.Les larmes glissent seules, discrètes. Comme si elles savaient qu’elles n’ont pas le droit de faire de bruit ici. Dans cette voiture. À côté de lui.Je le vois du coin de l’œil. Droit. Sûr. Silencieux. Il dégage une aura impossible à ignorer. Le genre de présence qui bouffe l’oxygène, qui plie le monde autour de lui. Il ne parle pas beaucoup, mais tout en lui parle pour lui.Grand, la peau bronzée, des cheveux courts et bouclés, sombres comme la nuit. Une barbe parfaitement taillée, des traits nets, durs, maîtrisés. Et un corps
Alejandro 7h00. Pile.Je ne tolère pas le retard. Le pouvoir appartient à ceux qui se présentent avant l’heure et parlent après que tout le monde s’est tué. Moi, je suis là depuis six minutes. Dans cette maison qui pue la mort lente, la crasse et la désillusion.Tout est humide ici. Les murs suintent quelque chose que je ne saurais nommer. C’est plus que la moisissure. C’est la pauvreté qui s’incruste. La honte, peut-être. Ou la résignation. C’est un lieu sans futur. Ça me répugne. Mais aujourd’hui, j’en ai besoin.Je suis assis sur une chaise bancale, face à une table collante. Mes deux hommes gardent le silence derrière moi. Ils savent qu’ici, ce n’est pas la force qu’on vient imposer. Pas tout de suite. C’est la loi du plus grand. Celle qui s’écrit dans les regards, pas dans les coups.Et moi, je suis le plus grand.Elle tarde à descendre. Catalina.Mais je ne m’impatiente pas. Elle viendra. Elles viennent toujours.Une minute encore. Puis j’entends des pas. Lents. Légers. Presque
CatalinaJe viens à peine de couper l’eau que la vapeur me brûle encore la peau. Elle me colle, comme un rappel moite de ce que j’essaie de laver. Mais il n’y a rien à nettoyer. Pas vraiment. Pas après hier soir. Pas après ce qu’il m’a pris, ce qu’il m’a volé, ce que je n’ai pas su défendre.Je sors de la douche, lasse, engourdie. Enveloppée dans une serviette trop rêche. La lumière vacille au plafond, grésille comme si elle allait s’éteindre. Tout ici menace de tomber en ruine. Comme moi. Comme cette vie qui ne tient qu’à deux fils : un boulot de merde, et une tante à moitié morte dans une maison qui pue la misère.Je remonte la serviette autour de ma poitrine et sors dans le couloir. Mes pieds nus claquent doucement sur le carrelage froid, quand un cri me perce les tympans.- LÂCHEZ-MOI, PUTAIN !Ma tante.Sa voix.Une voix déchirée. De bête acculée.Je me fige. Mon cœur rate un battement. Puis un fracas, violent, un meuble qui s’écrase. Un râle. Un bruit de verre brisé.Et tout mon
Catalina Je pensais que ça pouvait pas être pire que la veille. Je croyais que j’avais atteint un certain seuil. Qu’il y avait un fond, un bas, et qu’après, on remontait, même un peu. Mais j’avais tort. Le lendemain matin, je me réveille avec l’estomac qui brûle et les jambes qui tremblent. J’ai pas vraiment dormi. J’ai juste fermé les yeux et attendu que la nuit passe comme une douleur sous anesthésie ratée. Je me change. Enfin, j’enfile un pantalon propre. Le reste, c’est pareil : la même veste qui pue le café, le même sweat à capuche qui cache un peu mon visage, mes cernes, ma vie en ruines. Quand je passe devant ma tante, elle est toujours affalée sur le canapé. Je la regarde à peine. J’ai même pas la force de la haïr ce matin. Je sors. La rue est calme, pour une fois. Juste les pas qui claquent, le bruit des freins usés d’un bus, une musique étouffée dans un appart au-dessus de moi. Tout semble loin. Comme si j’étais pas vraiment là. Le trajet jusqu’au café me paraît p