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Chapitre 2

Author: nolwennfcr
last update Last Updated: 2025-05-19 14:51:53

Catalina

Je pensais que ça pouvait pas être pire que la veille.

Je croyais que j’avais atteint un certain seuil. Qu’il y avait un fond, un bas, et qu’après, on remontait, même un peu.

Mais j’avais tort.

Le lendemain matin, je me réveille avec l’estomac qui brûle et les jambes qui tremblent. J’ai pas vraiment dormi. J’ai juste fermé les yeux et attendu que la nuit passe comme une douleur sous anesthésie ratée.

Je me change. Enfin, j’enfile un pantalon propre. Le reste, c’est pareil : la même veste qui pue le café, le même sweat à capuche qui cache un peu mon visage, mes cernes, ma vie en ruines.

Quand je passe devant ma tante, elle est toujours affalée sur le canapé.

Je la regarde à peine. J’ai même pas la force de la haïr ce matin.

Je sors.

La rue est calme, pour une fois. Juste les pas qui claquent, le bruit des freins usés d’un bus, une musique étouffée dans un appart au-dessus de moi.

Tout semble loin. Comme si j’étais pas vraiment là.

Le trajet jusqu’au café me paraît plus court. Peut-être parce que je le redoute tellement que j’en efface les minutes.

Quand j’arrive, la lumière est déjà allumée. Il est 6h49.

J’inspire. Et je pousse la porte.

Mario est là. Comme toujours. Installé à sa table du fond. Il ne me dit pas bonjour. Il me regarde. Longuement. En silence.

Je sens le malaise me glisser le long de la nuque. Comme une main invisible.

- T’es en avance, princesse, dit-il enfin.

Je me contente de hocher la tête.

Je passe derrière le comptoir. J’enfile le tablier. Mes gestes sont mécaniques. Je le sens me suivre du regard à chacun d’eux. Je serre les mâchoires.

- J’ai réfléchi, il ajoute. T’as pas été très sympa hier soir.

Je me fige.

- J’te donne un boulot, j’te nourris, j’te laisse même mon café pour toi toute seule la nuit… et toi tu m’regardes comme si j’étais un violeur.

Je relève lentement les yeux. Mon regard le transperce.

- Si t’aimes pas que je te regarde comme ça… arrête de m’regarder comme si j’étais un morceau de viande, Mario.

Il se lève. Lentement. Il s’approche. Lentement.

- Tu veux jouer à ça, hein ? Me provoquer dès l’petit matin ? Tu crois que t’es en position ?

Il est devant moi maintenant. Je peux sentir son souffle sur ma peau. Il pue le tabac froid et le manque de limites.

- Je peux te virer quand j’veux, Cata. T’as signé aucun contrat. T’es personne. T’es juste une p’tite meuf perdue avec une tante camée et un frigo vide.

Je déglutis. Mais je le fixe toujours.

- Et tu sais quoi ? Une p’tite bouche comme la tienne, ça devrait être utilisée à meilleur escient…

Je détourne les yeux. Mon ventre se serre. Mes mains tremblent. Mais je reste droite. Je refuse de baisser la tête.

Il recule, en riant. Il est content. Il croit avoir gagné.

Et il l’a peut-être fait.

La journée est longue. Étouffante.

Il me laisse à peine respirer. À chaque table, chaque vaisselle, il me parle. Me susurre des menaces. Me rappelle que je suis “là grâce à lui”.

Que je devrais “être plus reconnaissante”. Que “y’a plein de filles qui se donnent pour moins que ça”.

Je réponds pas. Je me mure dans un silence qui me protège à peine.

Vers 13h, il m’attrape par le bras dans l’arrière-salle. Il me pousse doucement contre le mur, un sourire collé aux lèvres.

- Tu sais que j’peux te virer en claquant des doigts ?

Je baisse les yeux. Mes dents s’enfoncent dans ma lèvre.

- Mais j’vais pas le faire. Pas si tu fais un effort. Pas si t’ouvres un peu plus que ta bouche pour me répondre.

Il m’effleure la joue. J’ai la nausée.

- Ce soir, on ferme tous les deux. Et tu restes. Jusqu’au bout. T’as compris ?

Je hoche la tête. Pas parce que j’accepte.

Parce que je suis tétanisée. Et que mon corps me trahit.

Je retourne en salle. Je tremble encore. Mais personne ne le voit.

Personne ne regarde vraiment une fille comme moi. Une serveuse sans nom, sans avenir, sans protection.

Le café est vide.

La dernière cliente est partie il y a quinze minutes, en laissant une pièce de deux euros sur la table. J’ai ramassé la monnaie sans y penser, comme si j’étais ailleurs.

En vérité, j’y suis déjà.

Mario a verrouillé la porte d’entrée. Je l’ai entendu faire glisser le verrou comme un couperet.

Je suis seule avec lui. Il ne parle pas. Il me regarde. Il tourne autour de moi comme un vautour, tranquille, sûr de son pouvoir.

J’essuie machinalement les tasses au bar. Mes doigts sont humides. Mon dos est tendu.

Je sens qu’il va parler. Qu’il va agir. Et je sais… je sais que je ne peux pas fuir.

Il s’approche. Sa main se pose sur ma nuque.

- Tu sais pourquoi t’es encore là, hein ?

Je ne réponds pas.

- Parce que t’es utile. Et tu es jolie. Et parce que tu sais ce qu’il faut faire pour survivre.

Je ferme les yeux. J’ai envie de disparaître. De me dissoudre dans l’air.

Mais je reste là.

Il se place face à moi, me bloque contre le comptoir.

- Mets-toi à genoux, Catalina.

Ma gorge se noue. Mes jambes ne répondent pas tout de suite. Il n’élève pas la voix. Il ne frappe pas. Il sait qu’il n’a pas besoin. Il a déjà tout arraché.

Ce qui reste, c’est juste moi. Un corps. Une bouche. Un silence.

- Fais-le, ou tu peux dire adieu à ce boulot. Et à la bouffe de ta camée de tante.

Je reste figée une seconde. Puis je baisse la tête. Et je le fais.

Je le fais. Pas parce que je veux. Mais parce qu’il n’y a rien d’autre. Il descend son pantalon et son caleçon, il bande déjà. Il enfonce son sexe dans ma bouche.

Je me détache. Je me déconnecte. Mon esprit flotte ailleurs. Loin. Le plus loin possible.

Je n’entends plus que le bruit de ma propre respiration, hachée, honteuse, inhumaine.

J’essaie de ne pas sentir. De ne pas penser. De ne pas être là.

Mais je suis là.

Et je sens tout.

Chaque seconde.

Chaque mot qu’il chuchote.

Chaque insulte qu’il murmure comme une caresse. Il fini dans ma bouche et me force à avaler. Puis, il se rhabille en silence. Moi, je reste à genoux. Immobile.

Je n’arrive pas à me relever.

J’ai les mains moites. Les jambes mortes. L’âme explosée.

Il me regarde. Il ricane.

- Tu vois ? C’était pas si compliqué. T’es douée, en plus. Faut pas faire genre, j’suis sûr que t’as déjà fait ça pour moins.

Je me relève lentement. Je ne parle pas. Je ne crierai pas. Pas maintenant. Pas ici. Pas face à lui.

Il me tend un billet de 50. Je le regarde. Je ne le prends pas. Il hausse les épaules, le glisse dans mon pantalon en effleurant mon sexe du bout de ses doigts sans me demander.

- Pour ta gentillesse. T’as été très… professionnelle. J’espère que la prochaine fois je pourrais te prendre ta chatte et ton cul à quatre pattes sur l’une des tables du café.

Il rit.

Je sors du café sans rien dire.

Il ne m’appelle pas.

Je marche longtemps dans la rue. Je ne sens plus mes jambes. Ni mes bras. Je suis un fantôme. Un morceau de silence qui flotte entre les immeubles.

Je ne pleure pas.

Pas encore.

C’est plus tard, dans la salle de bain crade, à genoux devant la cuvette, que je vomis tout.

Et que les larmes sortent.

En silence.

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