Chapitre 72 – Là où s’échangent les véritésSashaIl m’a donné rendez-vous dans l’ancien bureau, au fond du bâtiment Est.Celui qu’on n’utilise plus.Celui où l’air est plus dense, plus froid, chargé de l’odeur de la poussière, du bois sec et des secrets trop vieux pour respirer.Ici, même les murs semblent vouloir oublier.Je pousse la porte sans frapper.Alexeï est déjà là.Immobile.Silhouette haute, sèche, tournée vers les vitres opaques où la lumière grise du matin peine à filtrer.Son dos est droit, rigide.Ses mains croisées dans le dos.Une posture d’ancien soldat. Ou de vieux roi.Je referme doucement la porte.Le verrou claque avec un bruit discret, mais définitif.— Tu viens comme un homme en paix, ou comme un joueur ? dit-il sans se retourner.Sa voix est acérée, sans agressivité.C’est un scalpel qui ne cherche pas à trancher juste à sonder.— Ce matin, est-ce que les deux ne sont pas la même chose ?Il pivote lentement.Son regard me fixe.Froid.Limpide.Un regard d’hom
Chapitre 71 – Là où se tisse le filetMikhaïlLa nuit s’accroche encore aux murs, aux ombres, à la moiteur glaciale du QG.Elle s’accroche à moi aussi.À ma nuque, à mes épaules, à mes tempes battantes.Elle me tient comme un rappel : tout ce qui va suivre a commencé dans le noir.Sous les premières lueurs grises de l’aube, je suis déjà là, immobile, face à mes écrans qui clignotent, vibrent, me tendent leurs secrets.Chaque pixel, chaque flux, chaque ligne de code est un fil que je dois démêler avant que la toile ne se referme sur eux sur eux tous.Et moi.Je ne m’autorise aucune distraction.Même le café que j’ai laissé refroidir dans un coin de la console est oublié.Les capteurs thermiques, les flux satellites, les lignes codées sont mes battements de cœur.La lumière du jour n’est pas encore levée, mais la pression est déjà là, dense, poisseuse, comme une main autour de la gorge.Les sons du poste sont étouffés, presque irréels : un bip régulier d’une machine de surveillance card
Chapitre 70 – Là où se décide l’aubeAelisJe n’ai pas vraiment dormi.Ou plutôt, je me suis glissée dans le sommeil comme dans un vêtement trop étroit : à contrecœur, avec cette sensation d’étouffement au moindre mouvement.Pas plus que lui.Il ne dort pas vraiment, non plus. Son souffle est trop régulier, trop calculé, comme s’il retenait son propre rythme. Le poids de son bras autour de ma taille, son corps chaud contre moi, ne m’apportent pas la paix.Au contraire, c’est comme si la guerre s’était infiltrée sous ma peau, là où il m’a touchée, là où il s’est abandonné.J’ai fermé les yeux. Juste pour fuir ce silence. Cette attente insoutenable.Et l’espace d’un instant, j’ai cru qu’on pouvait encore choisir.Rester.Vivre.Mentir à la nuit.Mais au premier silence du matin, au moindre frémissement du jour, je sais.Il est déjà parti.Pas physiquement.Pas de la pièce.Pas du lit.Non. Il est parti de l’intérieur.Je sens ce vide qui l’habite, ce calcul froid qui l’obsède, ce visage
Chapitre 69 – Là où s’efface la peurNikolaiElle ne recule pas.Pas même quand mes bras l’enlacent.Pas même quand mes mains tremblent sur sa peau.Et pourtant, je sais ce que je suis devenu.Ce que je pourrais perdre.Ce que je suis déjà en train de sacrifier.Mais pas elle.Pas encore.Je la serre contre moi, plus fort. Pas pour la protéger.Pour m’empêcher, moi, de reculer.Car si je laisse le vide gagner maintenant, il n’y aura plus de retour.Elle relève la tête.Ses yeux brillent, tempête contenue. Mais ce n’est plus la colère. Ni la peur.C’est autre chose.Quelque chose qui me déchire plus sûrement que n’importe quelle balle.Confiance.Elle glisse ses doigts contre ma nuque, sans hésiter.Son souffle effleure ma mâchoire, et je me tends comme un arc trop longtemps bandé.— Regarde-moi, Nikolai.Je le fais.Et je tombe.Elle m’embrasse sans douceur.Sans patience.Mais avec cette urgence qui dit tout ce que nos silences n’osaient plus porter.Un baiser qui n’ouvre pas.Un bai
Chapitre 68 – Là où vacille le filAelisJe referme doucement la porte derrière moi.La lumière encore tiède de la salle de bains glisse sur ma nuque, comme un vestige d’abri. Je sens son regard avant de le croiser. Il est là, adossé au mur, les bras croisés, figé dans ce calme glacé qui me traverse toujours l’échine.Nikolai.Il ne parle pas.Et c’est précisément ce silence qui me met en alerte.Je passe devant lui sans le regarder, m’oblige à agir comme si rien ne vibrait d’électrique entre nous, comme si la tension ne frémissait pas dans chaque centimètre d’air.Je m’assieds. Noue mes cheveux. Il ne bouge pas.Et moi, je sens que tout en lui calcule. Anticipe. Pèse. Pas seulement le dehors. Mais moi aussi.Comme si j’étais devenue une variable instable dans son système.— Tu ne dors pas, je dis simplement, sans me retourner.Il répond après une pause trop longue.— Et toi, tu respires comme quelqu’un qui s’entraîne à ne pas paniquer.Je ferme les yeux. Touchée. Juste là, où c’est s
Chapitre 67 – Là où naît la stratégieNikolaiIls ne viendront pas tout de suite.Ils attendront que je me détende. Que je pense que leur silence est une forme de répit. Que j’abaisse ma garde.Ils espèrent me voir commettre l’erreur de croire à l’accalmie.Mais il n’y a pas d’accalmie.Il n’y en a jamais eu.Je ne suis pas de ceux qui se reposent.Je ne suis pas de ceux qu’on endort.Depuis que je suis né, j’observe les hommes comme des équations vivantes. Des schémas prévisibles. Chacun avec ses failles, ses patterns, ses angles morts. Je les lis comme d’autres décryptent les étoiles : dans les micro-frictions, dans les ruptures de flux. Une main qui hésite, un regard qui dure une seconde de trop, une phrase répétée à l’identique deux jours de suite. Tous ces détails trahissent plus que mille aveux.C’est une langue que je parle depuis l’enfance : celle des intentions masquées et des vérités dissimulées sous les plis du réel.Je suis né dans un lit de mensonges. Élevé dans les marge