LOGINMara
Le groupe se dirige vers nous. Naëlle, rayonnante, traînant Elias dans son sillage. Son parfum entêtant de fleur exotique m’envahit les narines.
— Mara ! Lucian ! s’exclame-t-elle d’une voix suraiguë. Vous ne dansez pas ? Il faut profiter !
Son regard glisse sur Lucian avec une pitié à peine voilée qui me fait bouillir le sang. Elle se penche pour m’embrasser, un effleurement de joue qui me glace la peau.
— Je suis si heureuse que tu sois là, ma chérie. Vraiment.
Je hoche la tête, incapable de prononcer un son. Mon regard croise celui d’Elias. Le monde se rétrécit, le bruit s’éteint. Il n’y a plus que son gris d’acier, fixé sur moi. Il n’y a plus de douceur, plus de cette lueur que je voyais pour Naëlle. Il n’y a qu’une intensité primitive, un orage concentré. Il me dévisage comme s’il cherchait une faille, une preuve.
Il parle, et sa voix est un roulement de tonnerre lointain qui me traverse.
— Mara. Lucian. Le repas vous plaît ?
Je sens les doigts de Lucian se resserrer légèrement sur les accoudoirs de son fauteuil.
— Tout est parfait, Elias, répond-il avec un calme qui m’impressionne. Nous vous souhaitons beaucoup de bonheur.
Le regard d’Elias ne me quitte pas. Il ignore presque Lucian.
— Le bonheur est une chose. Le devoir en est une autre. On fait ce qu’on doit pour protéger les siens. N’est-ce pas, Mara ?
Le sous-entendu est une gifle. Pour la sauver d’un scandale. C’est la raison officielle de ce mariage. La raison pour laquelle il m’a laissée, moi, et a épousé Naëlle. Pour la protéger. Pour protéger la famille. Je ne suis qu’un détail dans cette équation. Un détail qu’on a sacrifié.
Mon sourire devient douloureux à force de le maintenir. Je sens une nausée monter.
— Bien sûr, je murmure.
Naëlle, inconsciente du duel qui se joue sous ses yeux, pouffe de rire et entraîne Elias vers d’autres invités. Il s’éloigne, mais son énergie, lourde et menaçante, reste accrochée à moi comme un suaire.
Plus tard, alors que la soirée touche à sa fin et que nous nous apprêtons à partir, je me retrouve seule un instant dans le hall d’entrée, à ajuster la couverture sur les genoux de Lucian. Une présence se dresse derrière moi. Je n’ai pas besoin de me retourner. Je le sens. L’air devient rare, chargé d’ozone.
— Tu crois que c’est fini, Mara ?
Sa voix est basse, rauque, uniquement pour moi. Je me fige, le dos tourné.
— Je ne sais pas de quoi tu parles, Elias.
— Tu crois que tu peux t’enfuir ? Te cacher derrière lui ?
Je me retourne enfin, forcée d’affronter le cyclone dans ses yeux. Il a bu. Je le vois à l’éclat sombre de son regard, à la tension sauvage qui émane de lui.
— Je ne me cache pas. J’ai choisi. J’ai une vie, maintenant. Une vie paisible.
Il avance d’un pas, réduisant la distance entre nous à rien. Je sens la chaleur de son corps, je hume son parfum, ce mélange de cuir et de nuit qui fut autrefois mon oxygène.
— Paix ? ricane-t-il, méprisant. Tu appelles ça une vie ? Regarde-toi. Tu es un fantôme. Et lui… — son regard balaye mon mari avec une froideur assassine — lui n’est qu’une ombre. Tu n’es pas faite pour l’ombre, Mara. Tu es faite pour le feu.
Ses mots m’enflamment. La colère, si longtemps contenue, monte d’un coup, brûlante et salvatrice.
— Le feu que tu as laissé s’éteindre ? Le feu que tu as piétiné pour elle ? Tu n’as aucun droit, Elias. Plus aucun.
Il penche la tête, et son sourire est une lame.
— Les droits, ça se prennent. Je suis parti une fois. C’était une erreur. Je ne la referai pas.
— Qu’est-ce que tu veux ? chuchoté-je, terrifiée par l’intensité de son regard.
Son expression se fait plus sombre, plus tourmentée. Il n’y a plus trace du garde du corps professionnel, seulement l’homme, brut, possessif, dangereux.
— Je ne suis pas venu pour m’excuser. Je suis venu pour reprendre ce qui m’appartient.
— Je ne t’ai jamais appartenu.
— Tu te trompes. Tu m’as toujours appartenu. Depuis le premier jour. Ce n’était qu’un répit, Mara. La fuite est terminée.
Il tend la main, effleure ma joue du bout des doigts. Le contact est une décharge, une brûlure qui me traverse de part en part, réveillant tout ce que j’ai tenté d’enterrer. La passion, la douleur, le désir dévorant. Je recule, chancelante, heurtant le fauteuil de Lucian.
— Ne me touche plus jamais, je souffle, la voix tremblante de fureur et de peur.
Lucian a levé la tête. Son visage est grave. Il a tout entendu.
— Je crois qu’il est temps de rentrer, Mara, dit-il doucement, mais avec une autorité qui fait hésiter Elias.
Le regard d’Elias passe de moi à Lucian, et je vois la guerre s’allumer dans ses yeux. Une guerre qu’il est bien décidé à gagner.
Alors que je pousse le fauteuil de Lucian vers la sortie, je sens le poids du regard d’Elias sur ma nuque, comme une marque au fer rouge.
Il est de retour.
Plus sombre.Plus tourmenté.
Et dans le silence qui se reforme autour de moi,alors que la porte se referme sur les rires et la lumière, une seule question tourne dans ma tête, une question qui va embraser mon existence.
Vais-je me soumettre ?
Ou vais-je brûler?
MaraLe voisin, un homme d'un certain âge au regard compatissant, aide Lucian à reculer dans l'entrée. Je me relève et les suis, en fermant la porte derrière moi. Le bruit du monde extérieur s'éteint. Le silence de la maison nous enveloppe, différent de celui d'avant. Il n'est plus menaçant. Il est meurtri.Je me dirige machinalement vers la salle de bain. Je me regarde dans le miroir. Une étrangère me rend mon regard. Des cernes profondes, des cheveux en désordre, une joue rouge et gonflée, une petite coupure au coin des lèvres. Et dans les yeux... un vide. L'écho du pistolet contre ma tempe. La sensation du corps d'Elias, lourd et chaud, s'effondrant sur moi.Je fais couler l'eau, brûlante. Je me lave les mains, encore et encore, comme si je pouvais enlever la trace de son contact, l'odeur de la poudre et de la mort. Mais la saleté est incrustée sous ma peau, dans ma mémoire.Quand je ressors, Lucian m'attend dans le salon. Il a allumé une petite lampe. La lumière est douce, tamisée
MaraLe canon appuie plus fort. Je ferme les yeux. Lucian. Je suis désolée.Soudain, un bruit nouveau.Une voix.Faible, distordue par le haut-parleur d'un téléphone posé à terre, mais parfaitement audible dans le silence tendu à breaking point.— Lâche. Ma. Femme.C'est la voix de Lucian.Calme. Froide. Imprégnée d'une autorité qui fige le sang dans mes veines.Elias se raidit, surpris.— Ton infirme... murmure-t-il, méprisant.— Je ne suis peut-être pas là, enchaîne la voix, sans élever le ton. Mais je vois tout. J'entends tout. Et je te promets une chose, Elias. Si tu lui fais du mal, je passerai le reste de ma vie, et chaque centime que je possède, à te pourchasser. Il n'y aura pas de prison assez profonde, pas d'asile assez sécurisé pour te protéger de moi. Tu vivras dans la peur. Comme tu as voulu qu'elle vive.La menace est d'autant plus terrifiante qu'elle est proférée avec une tranquillité absolue. Ce n'est pas une bravade. C'est une promesse.Elias hésite. La pression du can
MaraLe pistolet dans la main d'Elias semble absorber toute la lumière, devenant le point focal de cet enfer de béton. Naëlle sanglote doucement, prisonnière de son étreinte. Ses yeux me supplient, mais je ne sais pas si c'est pour mon aide ou mon pardon.— Lâche-la, Elias.Ma voix est plus ferme que je ne l'aurais cru. Le micro collé à ma peau me rappelle que Lucian écoute. Que je dois être forte pour nous deux.— Pourquoi ? répond-il avec une fausse candeur. Nous sommes une famille, non ? Une réunion de famille. Il est normal que les sœurs soient présentes.Il donne une petite secousse à Naëlle qui étouffe un cri.— Tu as amené des invités non invités, Mara. C'est impoli. Dis-leur de partir.Mon sang se glace. Il sait pour les policiers. Bien sûr qu'il le sait.— Je ne peux pas.— Alors les choses vont devenir... compliquées.Il soulève le pistolet, non plus vers le sol, mais pour le poser contre la tempe de Naëlle. Ses yeux se révulsent de terreur.— Sors ton téléphone, Mara. Appel
MaraLa brûlure sur ma joue pulse au rythme affolé de mon cœur. Les mots de Naëlle tournent dans ma tête comme des frelons enragés. Fille effacée. Mariage par dépit. Infirme. Chaque insulte est un clou planté dans le cercueil de ma sérénité.Je me tiens face à la baie vitrée, mes doigts effleurant la vitre froide. Le jardin nocturne semble paisible, mais je sais que cette paix est un mensonge. Chaque ombre mouvante pourrait être lui. Chaque bruissement de feuille, son pas.— Elle a tort, Mara.La voix de Lucian est rauque, usée par la colère rentrée. Je ne me retourne pas. Je ne peux pas supporter de voir la vérité de nos limites dans ses yeux en ce moment.— Le sait-elle ? Sur le "dépit", peut-être. Sur le reste... Ses mots, Lucian... Ils ne sont pas sortis de nulle part. Ils sont le venin qu'Elias a distillé en elle.Je me retourne enfin. Il est pâle, ses mains serrent les accoudoirs de son fauteuil comme s'il pouvait, par la seule force de sa volonté, en extraire le pouvoir de se l
MaraLa nuit a été une longue veillée funèbre. Chaque ombre dans la chambre prenait sa silhouette. Chaque craquement du parquet était son pas. Je me suis blottie contre Lucian, cherchant la chaleur rassurante de son corps, mais même dans ses bras, je sentais le froid d'Elias sur ma peau. Le petit caillou plat, strié de blanc, dansait derrière mes paupières closes. Un souvenir transformé en arme.Au petit matin, des agents de police sont venus. Polis, efficaces, désincarnés. Ils ont écouté mon récit, noté les détails de la voiture noire, de l'intrusion dans le jardin. Ils ont promis de patrouiller dans le quartier. Ils ont prononcé les mots "ordonnance d'interdiction" avec une routine qui m'a glacée. Pour eux, c'était un dossier. Pour moi, c'était ma vie qui se fissurait.Après leur départ, un silence de plomb s'est abattu sur la maison. Lucian était assis dans son fauteuil, le visage fermé. Je voyais la tension dans sa mâchoire, l'impuissance qui roidissait ses épaules. Il luttait con
MaraLa voiture noire me suit.Je l'ai vue dans le rétroviseur du taxi, deux points lumineux qui épousaient chacun de nos virages. Une présence obsédante, un rappel constant que mon répit était terminé. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour savoir qu'il est au volant. Je peux le sentir. Son ombre s'étire derrière moi, dévorant les rues, avalant la distance qui me sépare de chez moi.Chez moi. Le mot résonne faux. Ce n'est plus un sanctuaire. C'est juste l'endroit où la confrontation aura lieu.— Plus vite, s'il vous plaît, je murmure au chauffeur.Il hausse les épaules, indifférent. Le monde extérieur continue, ignorant du drame qui se joue dans ce minuscule habitacle. Je serre les poings sur mes genoux, mes ongles creusant des demi-lunes dans mes paumes. La sensation de ses doigts sur ma peau est toujours là, une brûlure fantôme. Tu as besoin de moi.Mensonge. C'est un poison. Un venin qu'il distille avec la maîtrise d'un serpent.Le taxi s'arrête enfin. Je paye précipitamment e







