เข้าสู่ระบบ
Anya
Mes doigts s’immobilisent sur le clavier. La sonatine de Sibelius s’éteint dans un dernier frémissement de cordes, laissant un silence bien plus lourd que la musique. Le son était vide. Comme moi. Mon regard se pose sur l’enveloppe crème posée en équilibre sur le tabouret. L’encre noire, l’écusson inconnu. Une invitation, ou une sentence.
Maintenant, je me tiens devant la porte. Le Domaine des Soupirs. Un nom qui n’a jamais été évoqué dans ma famille qu’à voix basse. La pierre est froide, humide sous ma paume. La clé grince, un son de protestation ancienne. L’air qui s’échappe sent le bois pourri, la cire morte et les secrets.
Je marche. Le bruit de mes pas est obscène dans ce silence. Des fantômes de meubles sous leurs linceuls blancs me regardent passer. Et puis, je le vois. Dans le salon aux volets clos, un piano Érard. Noir. Parfait. Intact. Comme posé là pour moi. Je soulève le couvercle. L’ivoire jauni m’appelle. Un la. Une note pure, vibrante, qui se love dans la poussière et perce quelque chose en moi.
Mes doigts trouvent seuls leur chemin. Clair de Lune. Les notes de Debussy s’élèvent, caressent les murs, emplissent l’espace vide. Et c’est là que je le sens.
Une présence.
Ce n’est pas un bruit. C’est un poids dans l’air. Une respiration derrière mon épaule. Je m’arrête. Le silence revient, plus épais, plus lourd. Il m’écoute.
— Hallucinations, je murmure.
Ma voix est faible, avalée par la maison.
La nuit est tombée. Je suis allongée dans un lit ancien, les draps rugueux contre ma peau. Le sommeil vient, un puits noir.
Et je rêve.
Je suis au piano, mais ce n’est pas le mien. Je joue une valse que je ne connais pas, une mélodie sensuelle et triste. Une main se pose sur mon épaule. Une main de brume et d’ombre. Large. Froide et chaude à la fois. Je ne bouge pas. Un courant de feu jaillit de son contact, inonde mes veines. La main glisse le long de mon bras, effleure mon cou. Des doigts s’enfoncent dans mes cheveux, inclinent ma tête en arrière. Une bouche se pose sur ma gorge. Pas de chair. Une sensation. Une brûlure humide. Un frisson électrique qui m’arrache un souffle.
— Enfin…
Un murmure. Une vibration dans l’air, dans mes os.
Mon corps se cambre, traître. Magnétique. Un gémissement s’échappe de mes lèvres. Je suis offerte. Des lèvres invisibles descendent le long de ma clavicule, brûlent le coton de ma chemise. Un poids contre mon dos, un torse solide qui n’existe pas. Le désir est un coup de poing, aigu, douloureux. C’est plus qu’un rêve. C’est une violation. Une célébration. Je me noie.
Je me réveille en sursaut. Le corps en feu, le cœur battant à se briser. La chambre est glaciale. Je halète. Les draps sont un champ de bataille. La sensation est toujours là. Les lèvres. Le poids. Une marque invisible sur ma peau.
Je me lève, tremblante, je vais à la fenêtre. La lune éclaire le jardin à la française. Et je le vois.
Une silhouette. Un homme. Debout près du bassin. Immobile.
Je cligne des yeux. Je revois la main de brume, je sens la bouche sur ma peau.
Quand je rouvre les yeux, la silhouette a disparu.
Mais le sentiment, lui, est ancré. Je suis observée. Désirée.
Un frisson me parcourt, fait de peur et de fascination. Ma main touche mon cou. La peau est sensible, à vif.
Je me retourne vers la chambre vide. Le lit en désordre.
Le manoir n’est plus silencieux. Il est habité. Il m’a parlé. Il m’a touchée.
Le concerto a commencé. Et je suis déjà prisonnière de la partition.
AnyaLe premier son est un gémissement. Le mien. Il déchire le silence de plomb, si faible, si humain après la symphonie démoniaque. Chaque muscle crie, chaque nerf est une corde trop tendue qui vibre encore de l'horreur. Le froid du parquet mord ma peau nue, constellée de marbrures bleutées qui ne sont pas tout à fait des ecchymoses, mais l'empreinte de doigts spectrals.Je me redresse, le corps lourd, étranger. Le vide en moi est une chambre d'écho glaciale. Lysander n'est plus ce murmure constant, cette présence enveloppante. Il s'est retiré dans les profondeurs du manoir, blessé, furieux. Je le sens, comme on sent une tempête se préparer au loin. Sa colère est un frisson dans la pierre, un goût de cendre et de métal sur ma langue.Mes yeux se posent sur Gabriel.Il gît près du mur, inconscient, une fine traînée de sang coulant de sa tempe sur le bois ciré. Le livre d'exorcisme est ouvert à côté de lui, ses pages semblent brûlées sur les bords. La vue de son sang, si rouge, si viva
AnyaLa musique est devenue ma respiration. Elle coule de mes doigts sans effort, un poison doux qui nourrit la présence en moi et autour de moi. Lysander est un murmure constant dans mon esprit, une basse profonde qui accompagne chaque pensée. Je ne sais plus où je finis, où il commence. Le manoir est notre corps à tous les deux, ses murs notre peau, ses ombres notre sang.C'est lui qui perçoit le premier la perturbation. Une vibration dans le silence, un grésillement dans la parfaite harmonie de notre isolement. Un moteur de voiture. Il se fige, et je me fige avec lui. Sa colère est un éclair froid dans mes veines.— Il revient.Le nom de Gabriel est comme une souillure dans notre espace partagé. Je ressens un écho lointain, un pâle reflet de ce qui fut autrefois de l'amour. Maintenant, ce n'est qu'une irritation. Une note discordante.— Laisse-moi faire, je murmure, mes doigts effleurant les touches du piano dans un glissando menaçant.La porte d'entrée s'ouvre. Il n'a même pas pri
AnyaLes jours qui suivent sont un brouillard. Je ne vis plus que la nuit, aux heures où sa présence devient plus tangible, plus exigeante. Le manoir n'est plus une maison, c'est une scène. Et je suis à la fois le public captif et l'artiste forcée.Je me tiens devant le piano, mais je ne joue pas. Je suis jouée.Ce soir, c'est différent. L'air est chargé d'une tension nouvelle, électrique, presque violente. La présence de Lysander n'est plus une caresse insistante, c'est un étau. Il est là, derrière moi, et je peux presque distinguer les détails de son visage – l'arête orgueilleuse du nez, la courbe cruelle de la bouche. Il se matérialise, et chaque parcelle de mon être crie à la fois en avertissement et en invitation.— Tu as fui le monde des mortels. Maintenant, plonge dans le mien.Sa voix n'est plus un écho. C'est une vibration physique dans l'air, qui fait frissonner la coupe de vin posée sur le piano, vide depuis des jours.— Je… je ne sais pas comment.Un rire bas, sans joie.—
AnyaLe claquement de la porte résonne encore dans la maison. Le silence qui suit est pire que tout. C'est un silence complice, chargé du triomphe glacial de Lysander. Je reste immobile au milieu du salon, tremblante, le corps encore vibrant du choix que je viens de faire. J'ai choisi l'ombre contre la lumière. La partition contre la vie.La présence se densifie à nouveau derrière moi. Ce n'est plus une forme de brume, mais une impression de solidité, de froideur vivante. Je sens une main, plus réelle que jamais, se poser sur mon épaule. Les doigts sont longs, froids, et leur contact me transperce comme une aiguille de glace et de feu.— Tu as choisi la musique, Anya. Tu as choisi l'éternité.Sa voix n'est plus un simple murmure dans ma tête. Elle résonne dans la pièce, un baryton velouté qui caresse l'air et fouille mon âme. Elle est d'une beauté à vous glacer le sang.Je me retourne. Il n'est plus tout à fait une ombre. Je distingue la coupe altière d'un visage, des yeux d'un gris d
AnyaGabriel a insisté pour rester. Il a allumé un feu dans la cheminée de la cuisine, une tentative futile de chasser l'humidité et l'oppression. La lumière des flammes danse sur son visage, si humain, si réel. Il me parle de son dernier concert, de la ville, de tout sauf de ce qui importe. Sa voix est un doux ronronnement qui heurte les murs silencieux du manoir.Moi, je suis ailleurs. Chaque parcelle de ma peau se souvient. La pression des doigts de brume sur ma main, la brûlure des lèvres sur ma nuque. La musique de Lysander tourne en boucle dans ma tête, une mélodie parasite. Je sens son regard sur moi, pesant, possessif, même ici, avec Gabriel à mes côtés.— Tu n'écoutes pas, Anya.La voix de Gabriel me ramène brutalement. Il a posé sa main sur la mienne. Elle est chaude. Trop chaude. Elle me brûle.— Désolée. Je suis fatiguée.Son regard se fait insistant, inquiet.— Cette maison te dévore. Je le vois. Partons. Maintenant. Nous pouvons être à Paris avant minuit.Paris. La norma
AnyaLe jour se lève, gris et froid. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. La sensation de cette bouche sur ma peau est un tatouage brûlant. Je descends, poussée par une force que je ne comprends pas. Mes pas me ramènent au piano. La pièce est baignée d’une lumière pâle.Je m’assois. Le bois est froid sous mes doigts. Je ferme les yeux, cherchant la mélodie du rêve, cette valse obsédante. Mes doigts effleurent les touches, hésitants. Une note. Puis une autre. Ce n’est pas ça.Soudain, une main se pose sur la mienne.Une main réelle. Froide comme le marbre, mais solide.Je retiens un cri, les yeux s’écarquillant. Personne. Mais je la sens. La pression est ferme, précise. Elle guide mes doigts, les pose sur des touches que je n’avais pas choisies.Une mélodie naît. Lente, sensuelle, profondément mineure. Celle de mon rêve.— Lysander… je souffle, le nom m’échappant comme une évidence.La pression sur ma main se fait plus forte. Un acquiescement. Un frisson de terreur et d’excitation me pa







