MasukMaëva
Les murs de l’hôpital suintent le désinfectant et l’oubli.
Le drap rêche me gratte la peau. Ma perfusion est vide depuis des heures, mais personne ne vient.
Je suis un corps en transit. Une ombre à libérer dès que la paperasse sera faite.
Un reste.
J’ai eu des points de suture. Une injection contre l’infection. Et une phrase vide du médecin :
Vous avez eu de la chance.
Non. J’ai eu la malchance de survivre.
Le silence dans la chambre est écrasant. Seul le bip intermittent d’un moniteur dans la pièce d’à côté me rappelle que le monde continue.
Pas le mien.
J’ai froid. Un froid qui ne vient pas du climatiseur ni du carrelage, mais du vide.
Un froid qui mord sous la peau, dans la moelle.
Un froid qui ne veut plus partir.
Mon sac est là, au pied du lit. Vide.
Plus de téléphone. Plus de portefeuille. Plus de rien.
Mais l’infirmière m’a tendu un vieux téléphone à clapet, en me disant :
— Il y avait une carte SIM. Peut-être qu’il reste un contact à appeler ?
Un nom m’est venu. Comme un réflexe.
Clara.
Ma meilleure amie. Ma presque-sœur.
Celle à qui je disais tout. Avant que tout s’effondre.
J’allume le téléphone. La batterie clignote. Il tiendra peut-être deux appels, pas plus.
Je compose son numéro d’une main tremblante.
J’ai besoin d’entendre une voix. Juste une. Une qui me dit : Je t’ai cherchée.
Elle décroche au deuxième son.
Une voix vive, pleine de vie, de confiance.
Tout ce que je n’ai plus.
— Allô ?
— … Clara, c’est moi.
Un silence. Puis un éclat de rire sec. Un rire qui griffe.
— Maëva ? C’est une blague ? C’est le téléphone du ciel ou t’es encore en train de faire ton petit numéro dramatique ?
Je serre le téléphone plus fort. Mes doigts tremblent. Je ravale ma fierté.
— Je suis… à l’hôpital. Je…
Elle ne me laisse pas finir.
— Et tu veux quoi ? Que je pleure ? Que je débarque avec des fleurs et une soupe ?
Tu crois que tu es la première à tomber ?
Une voix d’homme résonne derrière elle. Elle rit à moitié.
— Clara, s’il te plaît… Je suis seule. Je n’ai plus rien , mon mari m'a tout pris .
— Plus rien ? Ah, donc c’est vrai.
Il est parti avec ton fric, c’est ça ? Ton cher petit mari modèle ?
Je ferme les yeux. Une larme s’échappe malgré moi.
— Il a vidé mes comptes. Mon compte pro. Mon compte perso. Tout. Il a pris l’argent et il a disparu.
Je me suis retrouvée dehors, sans rien. J’ai dormi dans une cage d’escalier pendant deux nuits.
Elle souffle dans le combiné, agacée.
— Tu veux quoi, Maëva ? Une médaille ? Un câlin ? Ça fait des mois que t’as coupé tout le monde. Que tu jouais les grandes dames avec ton avocat de pacotille.
Et maintenant que t’es au fond du trou, tu veux revenir dans ma vie comme une pauvre chose ?
Je reste muette. Chaque mot me plante une lame.
— Tu n'as plus rien ? Alors tu n'es plus rien.
Tu étais utile quand tu payais les verres, quand tu avais l’appart, les bons plans, les restos. Mais maintenant ?
Tu es qu’un dossier social. Une erreur de parcours.
Et je suis pas assistante sociale.
— Clara, je…
— Non. Tu m’écoutes une dernière fois. Ce que tu as fait… ce que tu es devenue… c’est ton problème.
Tu t’es brûlée, c’est pas à moi d’éteindre l’incendie.
Elle rit à nouveau. Plus froidement.
— Allez, sois forte. Supprime mon numéro. Définitivement.
Bonne chance avec ta vie de merde.
Bip.
Elle a raccroché.
Je reste là. Le téléphone encore contre mon oreille. Vide.
C’est comme si le silence m’explosait dans la poitrine.
Il n’y a plus rien à sauver.
Pas même ça.
Je laisse tomber l’appareil sur le sol, lentement.
Comme si mes os refusaient de continuer à faire semblant.
Je me replie sur moi-même, les bras autour du ventre, comme si je pouvais encore me protéger de ce monde qui me crache dessus.
Le silence revient.
Mais ce n’est plus le même.
C’est un silence après la dernière illusion.
Un silence de deuil.
Pas de la mort… mais de tout ce que j’ai cru vrai.
Je ferme les yeux. Je me dis que je pourrais rester là, me laisser ronger par l’air stérile, jusqu’à ce qu’ils m’oublient, comme tous les autres.
Mais la porte s’ouvre.
Et avec elle, entre quelque chose de plus froid que l’abandon.
Plus tranchant que la honte.
Plus réel.
Un homme.
Imposant. Massif. Tout en muscle et en calme. Si beau que ça en est irréel.
Un manteau noir impeccable, encore perlé de pluie. Une odeur de nuit et de cuir.
Une présence qui efface tout. Même la douleur.
Il ferme la porte sans un mot.
S’avance. Tire une chaise.
S’assoit.
Et me regarde comme on examine une arme cassée qu’on hésite à réparer… ou à utiliser pour une dernière balle.
— Tu es Maëva .
Il ne pose pas de question. Il sait.
Je hoche lentement la tête, le cœur qui tambourine sans rythme.
— Je m’appelle Jack Valmont.
Un frisson me parcourt.
Ce nom, je l’ai entendu.
Dans les journaux, comme une rumeur insaisissable.
Mais surtout… par des rumeurs .
Ils l’appellent le vampire.
Parce qu’il vide ses ennemis de leur argent. Et parfois, dit-on, de leur sang.
Il ne sourit pas. Il me fixe , il est effrayant .
MaëvaLe soleil se couche sur la ville, mais ici, tout en haut, il ne fait que commencer. La terrasse du penthouse est baignée d'une lumière dorée, chaude et douce. Ce n'est plus une forteresse de verre et d'acier. Ce soir, c'est une demeure. Notre demeure.Léo et Liliane, maintenant âgés de cinq ans, courent sur la pelouse synthétique, leurs rires cristallins se mêlant au sifflement discret du vent en altitude. Léo, sérieux et déterminé, poursuit un ballon avec une concentration de stratège. Liliane, plus espiègle, danse, ses petites jambes traçant des cercles désordonnés, ses cheveux noirs flottant comme une auréole sauvage.Je suis affalée sur un sofa profond, mon verre de vin à la main. Je regarde la scène, et pour la première fois depuis si longtemps, la sensation qui m'envahit n'est pas la satisfaction du pouvoir, mais une chaleur profonde, tranquille, qui emplit chaque espace de mon être. C'est une paix conquise, non octroyée.Victor sort de l'ombre intérieure, deux dossiers so
MaëvaLe silence se brise comme du verre. Un cri perçant, puis un deuxième, s’élèvent en un duo impérieux depuis le salon. Léo, toujours le premier à affirmer sa présence. Liliane, plus rusée, laisse son frère ouvrir la brèche avant d’ajouter sa voix, plus aiguë, plus exigeante.Je me lève de mon bureau, laissant derrière moi les clauses d’une acquisition hostile. Une lassitude familière, vite balayée par une vague de détermination froide, m’étreint. Ces cris ne sont pas une plainte. C’est un rappel à l’ordre.Alors que je m’approche des berceaux, une silhouette se détache de l’ombre du couloir. Elara, la gouvernante, aussi discrète qu’une ombre, s’incline légèrement.—Je m’en occupe, Madame.—Non. Laisse-nous.Je soulève Léo. Son petit corps est raide de colère, ses poings serrés, son visage écarlate. Liliane, sentant mon attention sur son frère, redouble de fureur. Je la prends dans l’autre bras. Leur poids combiné à leur rage est un défi. Mes petits prédateurs. Vous apprendrez.La
Deux ans plus tard.La pluie fouette les baies vitrées du penthouse qui surplombe toute la ville. C’est notre nouvelle forteresse, plus haute, plus imprenable que le loft. D’ici, nous voyons tout. Nous contrôlons tout. Les tours de verre et d’acier qui se dressent dans la nuit sont autant de pièces sur notre échiquier.Victor est debout devant la fenêtre, une silhouette sombre et immuable. Il ne regarde pas la pluie, il regarde son reflet, et le mien, qui le rejoint. Je m’approche, glissant mes mains autour de sa taille, posant ma joue contre son dos. Je sens les muscles tendus sous le tissu de sa chemise. Il y a eu une réunion tendue ce soir. Un concurrent a eu l’audace de défier notre mainmise sur le marché asiatique.— Il va falloir les rappeler à l’ordre, dis-je, ma voix est calme, mais le tranchant est là, toujours là.Il se retourne, ses mains viennent se poser sur mes hanches. Son regard est cette nuit d’orage, plein d’éclairs contenus.— Ils vont le être. J’ai déjà mis en mouv
MaëvaLe temps a coulé comme du miel et du venin mêlés. Les mois ont passé, rythmés par les procédures judiciaires, les articles de presse qui ont fait de nous des célébrités troubles, et les nuits à célébrer notre impunité grandissante dans le loft, notre forteresse de verre et de béton. L'argent de Darian , non, de Marcus , travaille pour nous maintenant, générant une fortune propre, légale, qui blanchit à la perfection l'origine trouble de son premier investissement.Aujourd'hui, nous sommes de retour dans un tribunal. Mais pas dans le box des accusés. Nous sommes assis sur les bancs réservés au public, Victor et moi, main dans la main. Je porte une robe ivoire sobre mais coupée dans un tissu qui coûte le salaire mensuel du procureur. Victor est en costume sombre, élégant et impénétrable.Marcus Valen, alias Darian Blackwood, est amené menotté. Il a maigri. Son costume lui flotte. Son regard, autrefois si vif et arrogant, est terne. Il nous voit, assis là, comme des spectateurs pri
MaëvaLa sueur sèche à peine sur nos peus, la respiration s'apaise à peine, que déjà l'énergie dans la pièce change. Ce n'est plus la torpeur du triomphe, mais une vibration nouvelle, plus sauvage, plus impatiente. Le premier round a été la célébration. Celui-ci sera la folie pure.Victor se lève sans un mot, son corps une silhouette d'ombre et de muscles tendus dans la pénombre. Il me regarde, allongée sur les draps en désordre, et son sourire n'est plus celui du stratège satisfait, mais du prédateur qui a goûté au sang et qui en redemande.— Ce n'était qu'un avant-goût, Maëva, dit-il, sa voix un grondement bas.Il ne revient pas vers le lit. Il va vers la table où repose la bouteille de champagne à moitié pleine. Il la prend, non pas pour boire, mais pour en verser le contenu doré et pétillant sur ma poitrine, dans un geste lent et délibéré.Le liquide glacé me fait sursauter, un choc délicieux après la chaleur de nos corps. Des gouttes ruissellent le long de mes côtes, dans le creu
MaëvaLa voiture glisse dans la nuit, loin des lumières criardes des médias et de la façade sinistre du commissariat. Je ferme les yeux, la tête renversée contre la sellerie de cuir douce. Il n’y a plus de tension, plus ce fil tendu à l’extrême qui vibrait en moi depuis des mois. Juste un calme profond, une satisfaction qui coule dans mes veines comme un élixir. J’ai gagné. J’ai tout gagné.Le loft est baigné d’une lumière tamisée quand j’entre. Des bougies ont été allumées, jetant des ombres dansantes sur les murs de béton. Et là, debout près de la baie vitrée, Victor. Il tient deux flûtes à champagne, une bouteille de Dom Pérignon déjà débouchée posée sur la table basse en verre. Son regard croise le mien, et il n’y a pas besoin de mots. La fierté, la possession, la convoitise, tout est là, palpable dans l’air.— Maëva, dit-il simplement, et mon nom dans sa bouche est une célébration.Il tend une flûte vers moi. Je m’approche, nos doigts se frôlent lors du passage du cristal. Une ét