Je cours sous la pluie.
Le souffle me brûle la gorge. Mon cœur cogne si fort qu’il pourrait exploser. Je glisse presque sur le trottoir trempé, mais je continue. Je cours parce que je n’ai plus que ça. Courir. L’implorer. Le retenir.— Dante, je t’en prie ! Ma voix se déchire dans l’orage, emportée par le vent.
Il ne s’arrête pas. Il ne se retourne même pas.Comme si je n’existais plus.
Comme si je n’avais jamais existé.Une douleur sourde éclate dans ma poitrine. J’ai envie de vomir. J’ai envie de hurler.
Il ouvre la portière de sa voiture. Non. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.Je plaque mes mains tremblantes sur le capot, haletante, désespérée. Mes cheveux ruissellent d’eau, collés à mon visage.
Il me regarde enfin. Et ce que je vois me glace.Ses yeux sont sombres.
Vides de toutes tendresses. Remplie de haine. Là, je ne suis même plus un être humain à ses yeux.La vitre descend. Lentement. Comme une exécution.
— Monte.
Sa voix claque. Tranchante. Sans une once de chaleur.
Je monte. Je ne réfléchis pas. Je suis trempée, glacée, les vêtements collés à ma peau. Mes dents claquent. Mais ce n’est pas le froid. C’est lui. Lui, à quelques centimètres. Si loin. Si cruel.Il démarre sans un mot.
Le silence est insupportable. Il pèse sur ma poitrine, m’écrase.Je le regarde du coin de l’œil. Je veux qu’il parle. Qu’il crie. Qu’il me regarde. Je veux n’importe quoi sauf ce vide.
— Dante… je t’en supplie… ce n’est pas ce que tu crois…
Il ne lève même pas les yeux.
— Encore un mot, et je t’éjecte de cette voiture.
Sa voix est calme. Monstrueusement calme.
Je me mords la lèvre. Je ravale mes mots, mes larmes, ma dignité.On roule.
L’hôpital approche. Trop lentement. Trop vite. Je ne veux pas arriver. Je ne veux pas comprendre ce qu’il va me montrer.Il freine brutalement. Mon corps heurte la ceinture.
— Descends.Je reste figée. Mon genou me lance. Mes mains tremblent.
Il sort, contourne la voiture, ouvre ma portière. Ses doigts s’enroulent autour de mon bras. Fort. Trop fort.— Bouge.
Je titube. Je trébuche. Il ne m’aide pas. Il me pousse presque.
Je suis une ombre. Un poids qu’il veut jeter au sol.On entre. Le hall m’agresse. Trop blanc. Trop propre.
L’odeur de désinfectant me donne la nausée. Le bruit sec de ses pas sur le carrelage me vrille le crâne.Une porte. Une chambre.
Il l’ouvre. Et je la vois.Elena.
Allongée. Inerte. Reliée à des machines.
Son visage est pâle. Presque irréel. Comme un fantôme.Je reste figée.
Je ne peux pas avancer.— Voilà ce que tu as fait.
Sa voix tombe comme une lame.
Je secoue la tête. Les larmes me brouillent la vue. J’essaie de parler.— Non… ce n’est pas…
— Tais-toi.
Il me regarde comme si j’étais un monstre.
— Tu vas rester ici. Dehors. Toute la nuit. À genoux. Sous cette putain de pluie.
Je crois que j’ai mal entendu.
Je ne comprends pas.— Quoi… ?
Il s’approche.
Ses yeux me transpercent. Son souffle me brûle.— Tu veux que je t’écoute ? Commence par souffrir. Comme elle. Comme moi.
Il est si près. Trop près.
Je sens sa haine. Elle me dévore.— Une nuit entière. À genoux. C’est le prix de ta rédemption.
Il me lâche.
Il me laisse là. Et je sors.La pluie me fouette le visage. Violente. Féroce. Comme lui.
Je m’agenouille. Lentement. Mes genoux s’enfoncent dans la terre détrempée.
Je suis trempée, glacée, souillée. Mais je reste. Pour lui. Pour qu’il me voie. Pour qu’il comprenne.Les heures passent. Mon corps hurle.
Je suis fatiguée. Trop. Mais je tiens.Et puis… il revient.
Je lève les yeux, implorante. Un dernier regard. Un dernier espoir.
Et il me frappe.
Un coup de pied brutal dans les côtes.
Je m’écroule dans la boue. Le souffle coupé. Ma joue heurte le sol.— C’est toi qui l’as détruite. Toi !
Sa voix est partout. Dans mon crâne. Dans mes os. Elle me hante.
Je veux crier que ce n’est pas vrai.
Mais je n’ai plus de voix.— Si tu ne disparais pas… Je détruis ta famille. Tu sais que je peux le faire. Et je le ferai.
Puis il s’éloigne.
Ses pas s’éteignent.— Prévenez les Anderson. Lancez les procédures.
Je reste là.
Seule. Tremblante. Face contre terre.Dante m’a poussée à l’intérieur de sa voiture comme une poupée désarticulée, sans me regarder, sans un mot. Il a claqué la porte avec force. J’ai sursauté, les larmes brûlant encore mes joues.Ses hommes se sont activés autour du véhicule comme des soldats en mission. Un claquement sec, puis sa voix, froide et autoritaire :— Retrouvez le taxi. Ramenez ses affaires.Il a murmuré quelque chose à l’un de ses hommes. Je n’ai pas entendu ce qu’il disait. Ce que je savais, en revanche, c’est que j’étais prise au piège. Encore une fois. Mais là… je n’avais plus la force pour me battre.Je me suis blottie contre la portière. Mes mains couvraient mon visage, mais elles tremblaient trop pour m’apporter le moindre réconfort.Et les larmes… elles coulaient toutes seules, incontrôlables.Je détestais pleurer devant lui. C’était une faiblesse qu’il adorait observer. Une chute silencieuse qu’il provoquait sans même lever la voix.— Conduis jusqu’au bar, ordonna-t-il au chauffeur, sans me jeter un s
— La fille que tu as connue… elle est morte.Un silence puis je continuai, plus bas :— Il ne reste plus rien à humilier, Dante. Tu peux me piétiner encore, ça changera quoi ? J’ai déjà tout perdu.Il resta figé devant moi. Le vent fit claquer sa veste ouverte.Je crus percevoir une hésitation dans son regard, mais elle fut vite balayée par cette flamme froide, celle qu’il allumait chaque fois qu’il voulait m’anéantir sans lever la main.— Tu m’en veux ? souffla-t-il. D’avoir fait ce que j’ai fait ?Je ne répondis pas. Pas tout de suite. Je savais où il voulait en venir.— D’avoir appelé la police, Lila ? D’avoir laissé les juges te condamner ?Ma gorge se serra. Mes mains tremblaient doucement contre mes hanches, mais je les plaquai contre ma robe pour les cacher.— Tu n’as fait que payer pour ce que tu avais fait. Rien de plus. Rien de moins.Il marqua une pause, me détailla, me scruta comme on inspecte les ruines après un incendie.— Si tu respires encore aujourd’hui… c’est unique
— Sortez, mademoiselle Anderson.Je sursautai.La voix tranchante venait de la droite, juste derrière la vitre.Mon regard se leva lentement… et mes entrailles se nouèrent.C’était Clarisse. La secrétaire personnelle de Dante. Robe noire stricte, chignon tiré à en faire mal, rouge à lèvres carmin impeccable. Chaque fois que je l’avais croisée dans les couloirs de la tour Withemore, elle me lançait ce même regard… Ce mélange de mépris élégant et de dégoût poli. Comme si ma simple existence salissait l’air qu’elle respirait.Et là, devant la vitre, elle m’observait comme une chose insignifiante. Son doigt parfaitement manucuré tapota contre le verre.— Allez. On ne va pas jouer à cache-cache. Sortez de là.Je secouai la tête, le cœur en feu. — Non… Je vous en prie… je ne veux pas...Ma voix s’étrangla, inaudible.Je me retournai vers le chauffeur. Je fouillai mon sac. Je rassemblai tous les billets que j’avais.— Je vous en supplie. Partez. Je vous donne tout. Je vous paierai plus, j
Il s’approchait de moi lentement. J’étais incapable de bouger. Sa silhouette me dominait, son regard me terrifiait. J’aurais voulu crier, fuir, disparaître mais à la place, j’ai fermé les yeux.Une seconde. Deux. Je me suis préparée au pire et puis… j’avais l’impression de retrouver le Dante qui me fascinait. Je me revoyais folle amoureuse de lui ... comme si ces trois années n’ont pas existé ... Je crus qu’il allait m’embrasser.Et puis…— T’es vraiment pathétique.J’ai rouvert les yeux. Il me regardait comme une ordure qu’on trouve collée sous sa semelle.— Tu croyais quoi, Lila ? Que j’allais t’embrasser ? Il ricana. Un rire froid, cruel, tranchant. — Tu me dégoûtes.Mes jambes ont failli me lâcher.— Tu crois que je vais poser mes lèvres sur une fille que le premier venu reluque comme une serveuse de bar à strip-tease ? Tu crois que j’ai envie de toi après ce que t’as fait ?Il s’approcha encore, tout près, si près que je sentais son souffle contre mon front.— T’es sale, Lila.
Ce n’était plus une simple humiliation. Un courant électrique, insidieux. Je ne savais pas ce que c’était mais mon corps, lui, avait compris.— Tu parles sérieusement ? lança Jason, le sourcil levé. C’est juste une femme, Dante. Une femme qui travaille ici. Depuis quand tu t’énerves pour si peu ?“Juste une femme.” Je mordis l’intérieur de ma joue pour ne pas flancher.Dante se tourna et croisa son regard.— Tu ne comprends pas. Reste en dehors de ça, dit-il d’une voix grave.Jason haussa les épaules, toujours intrigué.— Attends… tu ne me la présentes même pas, et maintenant tu me l’arraches comme si elle t’appartenait ? Comment elle s’appelle, au juste ?Mon cœur se serra. Je voulais disparaître, devenir invisible.— Lila Anderson, répondit Dante, les dents serrées.Jason cligna des yeux, interloqué. Puis l’homme de l’escalier me regarda autrement, avec plus d’attention.— Anderson ? Lila ?Ses yeux descendirent lentement sur moi.Comme s’il cherchait à voir quelque chose que les au
bouffon.Puis, il parla d’un ton sec. Un ton qui ne laissait aucune place à l’humanité.— Embrasse le garde à l’entrée.Je crus mal entendre.— Quoi… ? soufflai-je, la gorge nouée.— Tu m’as supplié, Lila. Très bien. Je t’accorde mon silence mais à une condition.Il se pencha légèrement, comme s’il voulait s’assurer que je comprenais bien :— Tu veux jouer à la soumise ? Montre-le-moi. Embrasse-le. Devant tout le monde.C’était trop.J’étais une femme de ménage, pas une poupée de foire.Mais à cet instant, je n’étais plus qu’un corps.Un corps que l’on déplace, qu’on utilise.Je me sentais comme une fille de spectacle, forcée de faire sa pirouette.Une humiliation publique, parfaitement orchestrée.Je secouai la tête, vacillante.— S’il te plaît… murmurai-je. Je ne peux pas…— Tu n’as rien à négocier, trancha-t-il. Absolument rien.Alors, j’avalai ma fierté. Encore.Je me levai, le souffle court.Et je fis ce que j’avais appris à faire depuis que j’étais en prison : OBÉIR.Je me dirig