WILLOW
Le lendemain matin, je me levai à 7 h, comme à mon habitude. J’attrapai mon téléphone : rien n’avait changé.
On était bien le 19 juillet 2011.
Un frisson étrange me traversa la colonne vertébrale. Je me levai, savourant simplement le fait de pouvoir me tenir debout. J’ouvris les rideaux occultants et laissai entrer la lumière du soleil d’été.
Étrangement, je me sentais merveilleusement bien. Comme si plus rien ne pouvait m’atteindre.
J’avais une seconde chance, et je comptais bien en profiter pleinement. Je ne me sentais pas juste vivante, mais prête à tout affronter.
J’ouvris la fenêtre et respirai l’air frais du jardin. L’odeur des fleurs remontait jusqu’à ma chambre.
Après quelques exercices de respiration, je descendis prendre le petit déjeuner avec mes parents.
Pendant le repas, je regardais papa qui prenait une tranche de pain.
— Toujours sans beurre, tes tartines ma chérie ?
— Oui, rien n’a changé !
Il me regarda, me fit un petit clin d’œil et me tartina ma tranche de pain comme il le faisait depuis des années. Avant, bien entendu, il faisait celles de maman… et de Cassidy aussi. D’ailleurs, je m'étonnais de ne pas la voir à table.
— Où est Cassidy ?
— Elle est partie tôt ce matin, elle doit rencontrer un client avec Damon.
— Et toi, papa ?
— Moi, je suis resté à la maison pour profiter de ma petite fille.
Je souris, sentant le rouge me monter aux joues.
— Papa, je ne suis plus vraiment une petite fille…
Il a ri et m’a tendu la tartine.
— Tu seras toujours ma petite fille !
Puis je le vis attraper son petit pilulier à côté de son verre de jus d’orange. Et je ne pouvais m’empêcher de penser à ça justement : papa et son cœur fragile qu’il n’avait jamais vraiment pris au sérieux. Je m’étonnais même de le voir prendre ses médicaments, un coup sur deux il les oubliait !
C’était un traitement qu’il traînait depuis des mois, refusant de faire des examens complémentaires sous le faux motif de son manque de temps. Et maman, qui refusait toujours les examens, répétant inlassablement :
— Tant que je suis debout, c’est que tout va bien.
Mais cette fois, je savais que ça ne marchait pas comme ça. Alors, pendant que Margarette terminait de nous servir le petit déjeuner, je me tournai vers ma mère.
— Maman, tu as pensé à faire ton échographie du sein ?
Elle rit doucement.
— Pourquoi cette inquiétude ? Je vais bien, tu sais. Je ne me suis jamais sentie aussi bien.
— Parce que j’ai une amie qui a perdu sa maman à cause d’un cancer du sein, et je m’inquiète pour toi. On a de la chance si on le dépiste tôt, alors faisons le.
Mon visage était si grave qu’elle haussa un sourcil, surprise.
— Si ça peut te rassurer… je le ferai. Mais bon.
— Merci maman. Je prendrai rendez-vous pour toi. Et toi, papa… Tu as revu ton cardiologue récemment ?
Il faillit s’étouffer avec son café.
— Willow, qu’est-ce que tu nous fais là ?
— Je vous aime. Et j’ai peur de vous perdre.
Il sourit. Mais je ne laissai pas la discussion traîner.
— Je vais prendre rendez-vous pour vous deux. Un bilan complet. Le docteur Mathias pourra tout organiser rapidement dans sa clinique privée.
Mon ton ne laissait place à aucune objection.
Dès le surlendemain, le docteur Mathias, notre médecin de famille, nous attendait à la clinique. Une batterie d’examens fut lancée, dans une ambiance tendue mais presque banale, comme si tout cela n’était qu’une formalité, une routine.
Papa ressortit avec un traitement ajusté pour son cœur.
Il plaisanta sur les médicaments, comme s’ils étaient des bonbons. Il dit qu’il les prendrait “sérieusement, cette fois”. J’ai souri, mais au fond, je savais qu’il ne changerait jamais vraiment. C’était sa façon de gérer : l’humour, le déni, la légèreté.
Quant à maman…
Mon cœur se serra. Ce mot, “anomalie”, prononcé par le médecin, avait un goût amer. Un mot trop vague, trop calme, et pourtant chargé de peur. J’aurais préféré qu’il dise “problème”, ou même “danger”. Quelque chose de clair. Mais non. Une “anomalie”. Une ombre au fond d’une échographie.
Maman haussa les épaules avec ce petit sourire rassurant qu’elle maîtrisait depuis toujours.
— Tu vois, rien de grave, dit-elle.
Mais ses yeux… Ses yeux disaient autre chose. Une inquiétude muette, un doute qu’elle s’efforçait d’enterrer sous des années de fierté, de silence, de “ça ira”.
Elle n’a pas posé de questions au médecin. Elle n’a pas demandé ce que ça pouvait être. Elle a juste remercié, remis son manteau, et s’est levée, droite comme une reine. Comme si elle refusait de donner à la peur le moindre centimètre.
Moi, je suis restée figée. Je voulais lui demander pourquoi elle faisait semblant. Pourquoi elle ne me regardait pas. Pourquoi elle ne me prenait pas la main.
Mais je n’ai rien dit.
Parce que dans notre famille, on ne dramatise pas.
On encaisse.
On avance.
Et ça, je crois que je ne peux plus le supporter.
Elle a souri à papa et lui a raconté brièvement qu’elle avait d’autres examens à faire.
— Ah bon ?
A dit papa, inquiet.
J’ai passé mon bras sous celui de ma mère pour la rassurer, et je lui ai dit :
— On ira ensemble, maman. Ne t’inquiète pas !
Elle m’a souri et a déposé un tendre baiser sur ma joue, tandis que papa regardait sa montre et nous proposait d’aller au restaurant !
WillowAlors que je continuais à danser, je sentais toujours son regard sur moi, brûlant, insistant… presque en train de me déshabiller.Je me suis penchée vers Lucie, encore un peu haletante.— Je vais prendre une petite pause. À tout de suite.Je me suis éloignée de la piste, et sans avoir besoin de le regarder, je savais qu’il me suivait du regard. Je suis retournée à notre place, faisant mine de ne pas le voir.À peine assise, un serveur est arrivé, deux verres à la main.— Ces cocktails vous sont offerts par le monsieur au fond.Je me suis tournée, presque obligée.Et là, j’ai senti mon cœur faire un écart violent dans ma poitrine.L’homme qui me regardait… je me souvenais, soudain.Il était là.Lui.Assis seul. Dans l’ombre.Regard noir, intensité tranquille, mais palpable. Il leva son verre.Et moi, je suis restée un court instant figée.Ce visage… ça y est, tout me revenait !Je l’avais vu.Sur l’écran de Damon.Dans un dossier confidentiel, marqué d’un drapeau rouge.“À élimi
WILLOWRevoir Lucie, c’était comme retrouver mes parents. Un bonheur brut, sans nom, presque irréel. Je n’arrêtais pas de bénir ce retour en arrière. Ce foutu miracle du destin.Lucie, c’était l’amie parfaite. Un peu barrée, un peu excessive. Comme moi. Et franchement… je ne comprenais toujours pas comment j’avais pu croire Damon. Mais bon, on dit que l’amour rend aveugle, non ?Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai embrassée, et elle m’a serrée fort. Après un café expédié en vitesse, on a foncé dans LE magasin qui avait bercé notre adolescence : Chez Isabella.Une boutique chic, élégante, presque intimidante. Là où nos mères nous traînaient petites, pour nous faire essayer des tenues trop sages, pendant qu’elles rêvaient d’élégance.Camélia, la vendeuse, nous a reconnues tout de suite. Elle nous a accueillies avec un sourire complice et nous a laissées libres de fouiller à notre guise.Je me suis dirigée vers les tailleurs, presque comme un réflexe. J’ai attrapé un rouge flamboyant… p
WILLOWJ’étais bien décidée à demander à mon père un poste dans l'entreprise familiale, si Cassidy y travaillait, pourquoi pas moi ?Je suis allée trouver papa un soir, après son travail. Il était dans le grand salon, assis dans son fauteuil, en train de lire le journal comme à son habitude. Dès qu’il m’a vue, il a posé son journal et m’a souri.— Toi, tu as quelque chose à me demander.Je lui ai souri et je me suis assise en face de lui.— Papa, j’aimerais travailler pour toi. Comme Cassidy. Je pense en être capable, et…— Mais bien sûr que tu en es capable !Il s’est redressé et a posé ses avant-bras sur ses genoux, le regard brillant.— Tu me fais le plus beau des cadeaux en me demandant ça. J’avoue que, dans le rôle de la femme au foyer, je ne t’y voyais pas du tout.J’ai vu de la fierté dans ses yeux, et mon cœur s’est emballé.Dans l’autre vie, est-ce que je l’avais déçu ?Cette pensée me serra le cœur douloureusement.Il reprit son journal.— Je regarde demain avec le chef du
WILLOWLe lendemain matin, je me levai à 7 h, comme à mon habitude. J’attrapai mon téléphone : rien n’avait changé.On était bien le 19 juillet 2011.Un frisson étrange me traversa la colonne vertébrale. Je me levai, savourant simplement le fait de pouvoir me tenir debout. J’ouvris les rideaux occultants et laissai entrer la lumière du soleil d’été.Étrangement, je me sentais merveilleusement bien. Comme si plus rien ne pouvait m’atteindre. J’avais une seconde chance, et je comptais bien en profiter pleinement. Je ne me sentais pas juste vivante, mais prête à tout affronter.J’ouvris la fenêtre et respirai l’air frais du jardin. L’odeur des fleurs remontait jusqu’à ma chambre. Après quelques exercices de respiration, je descendis prendre le petit déjeuner avec mes parents.Pendant le repas, je regardais papa qui prenait une tranche de pain.— Toujours sans beurre, tes tartines ma chérie ?— Oui, rien n’a changé !Il me regarda, me fit un petit clin d’œil et me tartina ma tranche de
DAMONJe raccrochais mon téléphone et le posai sur la table de nuit de ma chambre, les mots de Cassidy encore suspendus dans l’air.— « Elle va foutre en l’air tout ce qu’on a préparé. »Willow. Quelque chose clochait chez elle. Depuis qu’on était arrivés chez ses parents, je sentais qu’elle m’échappait. Son regard n’était plus le même. Elle doutait. Elle soupçonnait quelque chose.Mais non. Si elle nous avait surpris, elle aurait déjà explosé. Willow était trop émotive pour garder un secret. Trop pure pour jouer aux stratèges.Elle ne savait rien.Elle ne connaissait de moi que ce que j’avais bien voulu lui montrer : l’homme parfait. Doux, fidèle, patient. L’amoureux modèle. Elle avait toujours été une proie facile. Naïve. Rêvant de contes de fées. Il m’avait suffi de jouer le prince.Richard Valdrake , mon vrai père. Il m’avait fixé une mission : infiltrer le Groupe Leclair, le démanteler de l’intérieur. Et en échange, il ferait de moi son héritier. Son fils reconnu. Fini les humili
WILLOWLe dîner avait tout d’un tableau parfait : les rires de mes parents, la lumière des bougies, le parfum du rôti… Mais pour moi, tout sonnait faux.En face de moi, Damon multipliait les allusions à notre passé, glissant des souvenirs en espérant que je craquerais devant mes parents.— « Tu te souviens de notre premier rendez-vous, Willow ? »Je lui adressai un simple sourire, puis détournai la conversation sur le vin. Je ne voulais pas parler de ça, pas à leur table.Après le repas, nous sortîmes tous dans le grand parc du domaine. L’air frais du soir était agréable, mais je sentais le poids des regards : celui de Damon, appuyé, et celui de Cassidy, silencieux mais bien là, comme un poison dans l’ombre.Soudain, Damon se tourna vers mes parents, la main sur le cœur, la voix pleine d’une sincérité forcée :— « J’aime Willow de tout mon cœur. Je veux passer ma vie avec elle. Je vous demande officiellement sa main, je la rendrai heureuse, je vous en fais la promesse. »Je pris la pa
WillowL’air était chaud, chargé de l’odeur d’herbe fraîche, et la maison de mon enfance brillait sous le soleil de juillet.Mes parents me précédaient pour se diriger vers la maison, leurs sourires si vivants qu’ils me serraient le cœur.Mais je n’arrivais pas à savourer cette chaleur familiale – pas avec Damon à mes côtés, son sourire faux plaqué sur son visage, et Cassidy qui nous rejoignait et s’approchait, les yeux brillants de larmes de crocodile.— « Willow, tu m’as tellement manqué ! » gémit-elle, m’enlaçant avec une effusion théâtrale.Je la repoussai d’un geste sec, mon regard glacial.— « Ne me touche pas. Tu vas me salir. »Elle se figea, son sourire se crispant comme un masque qui craquait.— « Willow, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu me fais peur… »— « Je parle de tes larmes, » dis-je, la voix tranchante. « Évite de salir ma robe toute neuve. »Un silence glacial s’installa, aussi lourd qu’une lame. Damon intervint, sa voix mielleuse brisant la tension.— « Willow a fait un
WillowJe me réveillai en sursaut, les sourcils froncés, comme si mon cerveau refusait de lâcher le sommeil. L’odeur du cuir mêlée au parfum musqué de Damon flottait dans l’habitacle. Mon cœur cognait dans ma poitrine sans que je comprisse encore pourquoi.— « Chérie, réveille-toi, nous sommes arrivés ! » lança-t-il, sa voix douce comme une caresse. Douce, mais avec cette assurance arrogante qui, aujourd’hui, me donnait envie de vomir.Je bougeai mes jambes… et elles répondirent.Pas de douleur. Pas de métal. Pas de roues.Juste… mes jambes. Libres. Vivantes.L’émotion me coupa le souffle. J’avais envie de hurler. C’était trop net, trop brutal, trop réel. Mon pouls s’affolait. Une sueur froide me glissait le long de la nuque.Damon se pencha vers moi, un sourire éclatant plaqué sur le visage. Il tenta de m’embrasser sur la joue, comme si tout était normal.Je le repoussai d’un geste sec.— « Ne me touche pas, sale hypocrite. »Il me regarda, interloqué, mais son sourire ne vacilla pas
Willow sentait ses dernières forces l’abandonner.Ses bras, ses jambes, tout son être sombraient doucement dans l’obscurité glacée.Quand, au milieu de la Tamise, une lumière éclata.Ses paupières lourdes se fermèrent… puis se rouvrirent dans un sursaut.Et devant elle, suspendu dans la lumière, il apparut.Pas un homme.Pas un mortel.Quelque chose d’autre.Un être aux ailes immenses, repliées dans son dos, son corps translucide comme tissé de brume et de lumière.— « Bonjour, Willow. » Sa voix était un murmure qui vibrait jusque dans son âme.— « Je suis Evans, ton ange gardien. Le messager entre la vie et la mort. »Il sourit, et dans ce sourire, Willow sentit une chaleur si douce, si pure, qu’elle en eut les larmes aux yeux.— « Il me semble que tu n’es pas encore prête à quitter ce monde. »Tout cela semblait irréel, un rêve tissé de miracle et de douleur mêlés. Peut-être… Peut-être était-elle déjà morte après tout.Evans lui tendit la main, comme un partenaire qui invite à danse