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Sofia
Le parfum de Lorenzo m’enveloppe avant même qu’il n’entre dans la pièce. Un mélange de cuir, de cigare et de cette eau de Cologne âcre qui colle à ma peau même en son absence. Je suis devant le miroir de ma coiffeuse, un diamant à l’oreille tremblant entre mes doigts. Mes mains refusent de rester stables.
Il apparaît dans le reflet, immense, comblant l’encadrement de la porte. Son regard sombre se pose sur moi, un examen de propriétaire.
— Tu es magnifique, Sofia.
Sa voix est un râle bas, caressant et dangereux. Il s’approche, ses mains se posent sur mes épaules nues. Je sens la force contenue dans ses doigts, la même qui peut briser une vertèbre aussi facilement qu’elle me caresse. Un frisson me parcourt l’échine. Je ne sais plus, depuis longtemps, s’il est fait de désir ou de peur.
— La réception chez Mancini est importante. Je veux que tu sois à mes côtés tout le temps.
Ce n’est pas une demande. C’est un ordre. Dans son monde, je suis à la fois la reine et l’otage. Je hoche la tête, incapable de trouver ma voix. Son pouce trace un arc sur ma peau, puis il se penche, dépose un baiser sur mon cou. Un geste qui sent la possession, pas la tendresse.
— Je t’aime, mia moglie.
Les mots résonnent comme une sentence. Je ferme les yeux, m’efforçant de sourire.
— Je t’aime aussi, Lorenzo.
Le mensonge a le goût du sang sur ma langue. Je l’ai mordu trop fort.
La soirée est un étourdissement de lumières, de rires trop forts et de regards qui glissent sur moi avec une pitié masquée. Tout le monde sait. Tout le monde sait qui est Lorenzo, et ce que je suis devenue : un accessoire de luxe, un trophée vivant.
Je sers le bras de mon mari, un sourire figé collé aux lèvres. Je sens les regards des autres hommes, un mélange de convoitise et de crainte. Personne n’ose soutenir mon regard trop longtemps. Personne, sauf lui.
Un homme, près du bar. Il ne porte pas de smoking, mais un costume sobre. Il est différent. Son regard est franc, direct. Il me regarde, moi, pas la femme de Lorenzo Rossi. Et dans ses yeux, je ne vois ni peur ni convoitise. Je vois de la curiosité. Et une étrange tristesse.
Lorenzo, sentant mon hésitation, suit mon regard. Son bras se raidit sous ma main.
— Qui est-ce ? murmure-t-il, la voix soudain un couteau.
— Je ne sais pas.
— Luca Conti. Un procureur, crache-t-il. Un chien qui croit pouvoir mordre. Il ne mérite pas ton attention.
Il m’entraîne de l’autre côté de la pièce, mais c’est trop tard. L’image de l’inconnu, de Luca, est déjà gravée derrière mes paupières. Son regard m’a traversée, comme une première bouffée d’air dans une pièce sans fenêtre.
Plus tard, alors que Lorenzo est absorbé dans une conversation animée avec un homme aux mains tatouées, je me retrouve seule un instant près des terrasses. La fraîcheur de la nuit me mord les bras nus.
— La soirée vous plaît, Signora Rossi ?
La voix me fait sursauter. Je me retourne. Luca Conti est là, à quelques pas, un verre d’eau à la main. Il ne sourit pas. Ses yeux scrutent les miens, comme s’il cherchait une faille, un indice.
— Elle est… comme les autres.
— J’imagine. Ça doit être épuisant.
Ses mots sont simples, mais ils me frappent en plein cœur. Personne ne m’avait jamais dit ça. Personne n’avait jamais vu l’épuisement derrière les diamants.
— Épuisant ?
— De jouer un rôle. Tout le temps.
SofiaLorenzo se lève avec une grâce d'animal. Il écrase son cigare dans le cendrier, méticuleusement.— Le public est arrivé, murmure-t-il.Ses pas résonnent alors qu'il se dirige vers la porte. Il ne me jette pas un regard. Je ne suis plus sa femme, son trophée, son unique faiblesse. Je suis un spectateur. Un témoin. Le prix de la trahison.La porte d'entrée claque en bas. Des voix étouffées montent. Deux. Celle, grave et contrôlée, de Lorenzo. Et une autre, que je reconnais trop bien, malgré la distance et les murs. Luca. Elle est crispée, tendue. Il ne sait pas. Mon Dieu, il ne sait pas qu'il marche dans une gueule de loup.Les pas approchent dans l'escalier. Lourds. Déterminés. Lorenzo entre le premier, reprenant sa place face à moi. Il a ce petit sourire en coin, celui qui précède toujours la tempête.Et puis Luca franchit le seuil.Son regard me trouve immédiatement, plantée dans ce fauteuil qui n'est pas le mien, sous la lumière crue de l'écran d'ordinateur. Ses yeux, ces yeux
Lorenzo Le temps s’étire, élastique et cruel. Le seul bruit est le ronronnement à peine audible de l’ordinateur, le petit disque dur qui continue, implacable, à vider ses secrets dans la clé USB dont la lumière rouge clignote, trahissant mon crime.Je devrais bouger. Arracher la clé. Fermer les fichiers. Crier. Pleurer. Quelque chose. Mais je suis paralysée, hypnotisée par sa présence silencieuse.Il avance enfin. Ses pas sont feutrés sur le tapis épais. Il contourne le bureau avec la démarche souveraine d’un prédateur inspectant son territoire violé. Son regard passe de mon visage, sans doute livide sous la lueur bleutée de l’écran, à la clé USB, puis à la barre de progression.Il s’arrête juste à côté de moi. Je peux sentir la chaleur de son corps, respirer le parfum familier de son savon, mêlé à l’odeur indéfinissable de la nuit. Une intimité qui devient, à cet instant, la chose la plus horrible au monde.Il se penche. Son souffle effleure ma tempe. Je ferme les yeux, m’attendant
SofiaElena et moi nous précipitons pour éponger avec des serviettes. Dans la confusion, alors que je suis penchée, je glisse la clé USB dans la poche secrète que j’ai cousue il y a des mois, par défi, dans la doublure de mon peignoir. Un geste invisible.Quand Elena part, avec un sourire professionnel et un regard complice pour moi, la clé est sur moi. Brûlante. Accusatrice.Marco monte vérifier.— Tout va bien, Signora ?— Mieux, merci Marco. Je pense que je vais essayer de dormir.Il hoche la tête et sort. La porte se referme.Le vrai combat commence maintenant.Je compte les minutes, assise dans mon lit dans le noir. J’écoute les bruits de la maison. La télévision en bas. Les pas de Marco faisant sa ronde. Je connais son parcours. Il passe devant le bureau de Lorenzo toutes les vingt minutes.Son bureau. L’antre du lion. Interdit. J’ai la clé. J’ai l’opportunité. Et j’ai une peur qui me tord les entrailles.Une heure passe. Puis une autre. La nuit est profonde. Je me lève, mon pei
SofiaJe baisse les yeux, jouant avec ma serviette. Je sens son regard peser sur moi, évaluant, jaugeant la véracité de mes mots.— Tu as besoin de repos, dit-il finalement, sa voix neutre. C’est sans doute mieux. Ces réceptions sont épuisantes. Tu resteras ici. Marco veillera sur toi.— Je n’ai pas besoin de Marco, protesté-je faiblement. Je vais juste dormir.— Marco restera, coupe-t-il avec une douceur qui n’admet pas de réplique. Je ne veux pas que tu sois seule si tu tombes plus malade.Bien sûr. Même malade, je dois être gardée. Emprisonnée. Je hoche la tête, feignant la résignation, alors qu’un affreux soulagement m’envahit. La première étape est franchie.La journée est un supplice. Je reste alitée, écoutant les bruits de la maison se préparer pour le soir. Lorenzo entre une fois, pose une main froide sur mon front.— Tu n’as pas de fièvre.— C’est… c’est neuralgique. C’est comme ça.Il hoche la tête, son expression impénétrable. Il se penche, dépose un baiser sur mon front.—
SofiaLa librairie est un lieu sombre et poussiéreux, sentant le vieux papier et la cire. C’est l’antithèse du monde clinquant de Lorenzo. Marco reste près de l’entrée, son imposante silhouette bloquant presque la lumière. Je m’enfonce dans les allées, entre des étagères montant jusqu’au plafond.Au fond, une petite porte entrouverte laisse voir un bureau encombré. Mon cœur est un tambour fou. Je jette un regard derrière moi. Marco me surveille, mais son attention est retenue un instant par le libraire qui l’aborde pour lui demander s’il cherche quelque chose.C’est mon moment.Je pousse la porte et entre.Il est là, debout, tourné vers la fenêtre qui donne sur une cour intérieure. Luca Conti. Il se retourne à mon entrée. Il ne sourit pas. Son visage est grave, tendu.— Sofia.Juste mon nom. Prononcé sans le possessif écrasant de Lorenzo. Comme une simple constatation. Un soulagement.— Vous êtes fou, murmure-je, le dos contre la porte refermée. Mon garde du corps est à vingt mètres.
Sofia Et puis, je le vois. Une lueur brève, au loin, près des arbres qui bordent la propriété. Une seule. Puis deux. Comme un signal.Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Il a trouvé la bague. Il est là.La fissure vient de s’élargir, et dans l’obscurité, je sens le vertige de l’abîme m’appeler. Je suis terrifiée. Et pour la première fois depuis des années, je me sens vivante .La nuit a été un long combat contre les draps, peuplée de regards accusateurs et de mains qui se referment. Au petit jour, je me sens plus épuisée que lorsque je me suis couchée. Le petit-déjeuner est un rituel silencieux. Lorenzo lit des rapports, son visage un masque de pierre. Il a oublié la tension de la veille, ou il a choisi de l’ignorer. Son monde doit rester lisse, sans aspérités.— Marco te conduira chez la modiste, puis aux boutiques de la Via Montenapoleone. J’ai annulé ton déjeuner avec Chiara. Tu as l’air fatiguée. Une journée calme te fera du bien.Un ordre, déguisé en sollicitude. Je hoche la







