Isabella
Le froid est une vieille habitude.
Il me mord les joues comme un chien affamé, me creuse les os, me rappelle que je suis bien vivante — du moins, tant que je continue à avancer. Les branches craquent sous mes pas, recouvertes de givre, et mon souffle s’élève en volutes blanches dans le matin brumeux. L’hiver est rude cette année. Mais il est toujours rude ici. C’est pour ça que je suis venue.
Personne ne survit dans cette forêt sans le vouloir vraiment.
Je remonte le sentier que j’ai moi-même tracé, une vieille piste de cerf que j’ai aménagée, qui serpente entre les conifères et longe la rivière figée. Les pièges sont alignés comme les battements d’un cœur régulier. Je les vérifie chaque matin. C’est ma routine. Ma survie. Ma paix.
Le premier piège est vide. Le second aussi. Le troisième contient un lièvre blanc, les yeux ouverts dans la mort. Je le détache en silence, sans émotion. La nature prend, la nature donne. C’est une loi plus ancienne que les lois des hommes. Plus juste, aussi.
Quand j’arrive au quatrième, je m’arrête net.
Il y a du sang.
Beaucoup trop.
Le piège est arraché, comme s’il avait explosé. Des gouttelettes écarlates marquent la neige, formant une piste irrégulière. Un animal pris au piège aurait laissé des marques de lutte, des griffures, des touffes de poils. Mais ici… rien de tout cela. Juste cette tache. Épaisse. Rouge. Fraîche.
Et une odeur.
Une odeur métallique, lourde, qui me soulève le cœur. Du sang humain.
Je m’agenouille, inspecte les traces. Ce n’est pas un cerf. Ni un loup. Ce sont des pas. Nus. Profonds. Instables. Comme si la personne s’était traînée, à moitié consciente. Je suis la piste, lentement, en silence, le fusil sur l’épaule. Chaque sens en alerte.
Je connais cette forêt comme ma propre respiration. Chaque arbre, chaque cri d’oiseau. Rien ne m’échappe. Et pourtant… cette présence me trouble. Elle n’a rien à faire ici.
Je ne suis pas stupide. Les hommes qui s’égarent dans cette forêt ne repartent pas toujours. Certains sont retrouvés. D’autres, jamais.
Mais je ne m’attends pas à ce que je trouve.
Il est là, allongé entre deux rochers, le dos contre un tronc gelé. Ses cheveux noirs sont collés à son front, trempés de sueur et de neige. Sa chemise est ouverte, tachée de sang, révélant une plaie béante sur le flanc gauche. Et pourtant… il respire.
Je reste figée, fusil levé, le doigt sur la détente.
— Hé… murmuré-je.
Pas de réponse. Il est inconscient. Ou mourant. Je m’approche, prudemment, les yeux fixés sur lui. C’est un homme, oui, mais… il y a quelque chose qui ne colle pas. Sa peau est pâle, presque bleue, comme s’il avait passé des jours sans voir la lumière. Ses lèvres sont fendillées, ses cils givrés. Mais malgré tout ça… il est beau. D’un genre inquiétant. Troublant.
Je tends la main vers son cou. Juste pour vérifier.
Le contact me glace. Sa peau est glaciale. Pas froide. Glaciale comme de la pierre. Et pourtant, il a un pouls. Lent, profond… mais là.
Qui est-il ?
Qu’est-ce qu’il faisait dans ma forêt, en pleine nuit, sans chaussures, avec une blessure qui aurait dû le tuer ?
Je devrais le laisser là. Repartir. Oublier.
Mais ses paupières s’ouvrent.
Et ses yeux… Seigneur.
Ils sont d’un gris argenté, presque lumineux. Ils se posent sur moi avec une intensité qui me transperce. Il ne bouge pas. Il me regarde. Comme s’il me reconnaissait. Comme s’il voyait… autre chose.
Je recule d’un pas, prête à fuir. Mais il ne fait rien. Juste ce murmure rauque, à peine audible :
— Ne crie pas…
Sa voix est rauque, éraillée. Belle, aussi. Ça m’agace.
— Je ne crie pas, répondis-je, le canon toujours pointé vers lui. Qui êtes-vous ?
Il ferme les yeux une seconde, comme s’il luttait contre la douleur. Puis il rouvre la bouche.
— Je m’appelle Lucien.
Il ne dit rien de plus. Pas de famille, pas d’excuses, pas d’explication.
— Ce sang, c’est le vôtre ?
Il hoche lentement la tête.
— Vous vous êtes fait attaquer ? Par un ours ? Un loup ?
Un silence. Puis, dans un souffle presque honteux :
— Pire que ça.
Je déglutis. Quelque chose en moi me dit de partir. De fuir cet homme, ce regard. Mais une autre partie… une partie plus profonde… veut comprendre. Veut le garder en vie.
Je sais ce que je suis en train de faire. Une erreur.
Et je la fais quand même.
Je glisse mon fusil dans mon dos, m’agenouille à côté de lui, et murmure :
— Si vous mentez… je vous achèverai moi-même.
Ses lèvres s’étirent en un sourire pâle.
— Je ne doute pas de ça.
Je le soulève. Son corps est lourd, malgré sa maigreur. Il ne proteste pas. Il ne gémit pas. Mais ses bras tremblent contre les miens. Je sens ses côtes sous mes doigts, comme si son corps n’était qu’une cage vide. Il a la peau glacée, les veines bleues, et pourtant il est vivant. Je n’y comprends rien.
Je le ramène à ma cabane, lentement, sur un traîneau de fortune. Chaque mètre me rapproche un peu plus de l’inconnu. Je sens ses yeux sur moi, même quand je crois qu’il a fermé les paupières. Il m’observe. Comme un animal blessé, mais lucide. Dangereusement lucide.
Ma cabane est modeste, mais solide. Une pièce principale, un poêle en fonte, une table, un lit. J’ouvre la porte d’un coup d’épaule et l’installe sur la couverture la plus chaude. Il ne dit rien. Il regarde les murs, les ombres, les objets. Il respire mon silence.
Je lève les yeux vers lui.
— Si tu bouges pendant que je soigne ta plaie, je te ligote.
Il acquiesce, un rictus à peine visible sur ses lèvres bleues.
Je retire sa chemise avec précaution. La blessure est profonde, mais propre. Pas une morsure. Pas une griffure. Quelque chose de plus… précis. Tranchant. Un coup d’arme ? Peut-être. Mais quelle arme laisse une marque aussi nette… sans casser la cage thoracique ?
Je nettoie, je désinfecte, je recouds. Mes mains sont sûres, automatiques. Je suis formée à survivre, pas à comprendre les étrangetés.
Quand j’ai fini, je l’observe.
Il me regarde aussi.
Longtemps.
Et puis, d’une voix brisée :
— Tu aurais dû me laisser mourir.
Je ne réponds pas. Je n’ai pas de réponse. Juste ce silence tendu qui s’installe entre nous.
Un silence chargé de questions.
Et de promesses.
Demain, peut-être, il parlera.
Ou il fuira.
Ou il me tuera.
Mais ce soir… il est là. Et moi aussi.
Et le froid dehors n’a jamais semblé aussi lointain.
ISABELLALe champ de bataille s’étend devant nous, un théâtre de chaos et de flammes.L’air est saturé d’odeurs de sang et de poudre, de cris déchirants et de hurlements sauvages.Je sens la puissance d’Élyas en moi qui gronde, un torrent prêt à se déchaîner.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan mes quatre piliers sont aux aguets, incarnations vivantes de la rage et de la stratégie.Je serre les poings.Il est temps.La bataille recommence, plus féroce, plus désespérée.Les ennemis surgissent en vagues ininterrompues.Leurs visages sont des masques de haine, leurs armes des prolongements de leur fureur.Je canalise la magie d’Élyas. Elle se déploie en éclairs bleus et pourpres, tissant des chaînes d’énergie qui foudroient et paralysent.Lucien élève sa voix en un chant d’ancêtres, libérant des ondes qui désorientent les assaillants.Mikhaïl charge, un mur d’acier indomptable, ses poings fracassant les boucliers.Ezra bondit tel un prédateur, griffes déchirant, crocs claquant, rugissant la veng
ISABELLALe vent hurle à travers les arbres du domaine, porteur d’un présage lourd et sourd. Il traverse les branches nues, emportant avec lui des murmures d’ombres et de dangers.Le ciel est bas, chargé de nuages lourds, menaçants, comme une tempête qui sommeille au-dessus de nos têtes.Depuis des jours, la menace se précise.Les sentinelles parlent à voix basse, à peine audible, de mouvements ennemis dans les bois profonds. Des éclats furtifs de lumière noire, des traces indéchiffrables laissées au sol.Le souffle de la guerre est à nos portes.Je marche dans le jardin, la terre humide sous mes pieds, mon manteau noir flottant dans le vent. Le regard fixé vers l’horizon où se dessinent des formes indistinctes, une armée obscure s’approchant.À mes côtés, mes quatre piliers. Mes amants. Mes gardiens.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan.Leurs présences sont autant d’ancres dans ce chaos naissant.Lucien serre les dents, ses yeux d’ambre brillant d’une flamme farouche.— Leur nombre dépasse t
ISABELLALe monde semble avoir changé.Le silence qui suit la tempête est lourd de promesses.Je tiens Élyas contre moi, sa peau encore tiède, son souffle léger comme une caresse sur mon cœur.Autour de nous, les flammes mystiques se sont apaisées.Leurs lueurs dansent encore, faibles, comme un dernier éclat avant l’aube.Mes amants sont là.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan.Leurs regards sont emplis d’une fierté tendre, d’un amour ancien et nouveau.Ils approchent doucement.Leurs mains se posent sur moi, sur l’enfant.Un cercle de force, un pacte silencieux.— Il est tout ce que nous espérions, murmure Lucien.— Un miracle vivant, souffle Mikhaïl.Je sens la puissance d’Élyas s’étendre en moi, en eux, en tout ce qui nous entoure.Il est notre lien, notre avenir.Je ferme les yeux un instant.Je sens leurs mains serrer les miennes.Je sens leurs cœurs battre avec le mien.Et je sais.Je sais que rien ne sera plus jamais pareil.Le chemin sera long.Parfois sombre.Mais il sera à nous.Élya
ISABELLALe matin s’étire doucement, presque avec hésitation, comme si le monde retenait son souffle, attendant quelque chose d’invisible, de grand, de sacré.La lumière pâle filtre à travers les volets entrouverts, caresse la poussière qui danse dans l’air immobile de la chambre. Pourtant, dans mon corps, c’est une tempête qui gronde.Je suis allongée, le regard fixé au plafond où les ombres se meuvent comme des spectres.Chaque fibre de mon être vibre sous l’assaut d’une énergie nouvelle, une force qui gonfle, qui pulse, qui s’ancre dans les profondeurs de mon ventre.Élyas s’éveille.Ce n’est plus un simple frémissement, un souffle léger, un caprice d’enfant à naître.C’est un chant, une force qui réclame sa place, qui hurle silencieusement pour qu’on l’écoute, pour qu’on le reconnaisse.Je sens sa présence partout, dans mes os, dans mes veines, dans chaque souffle qui quitte mes lèvres.Un courant chaud et froid à la fois qui m’envahit, me traverse, m’anime.Je ne suis plus la même
ISABELLATout brûle.Mais pas dehors. Pas dans la nuit glacée qui enlace les murs de pierre , non.C’est à l’intérieur que tout se déchire.C’est dans mes os que le feu prend. Dans mes veines que l’orage gronde.Mon ventre est une forge.Ma chair est une tempête.Je hurle, mais aucun son ne franchit mes lèvres.Je suis dans un entre-deux.Suspendue entre la vie et la mort. Entre ce que j’étais et ce que je suis en train de devenir.Je sens mes os s’élargir. Mes organes se tordre.Ma peau transpire du sang noir.Mes ongles s’allongent. Mes crocs grattent l’intérieur de ma mâchoire.Et lui, au creux de moi… il s’agite.Il n’a pas peur. Il commande.C’est lui, l’enfant, qui me pousse à basculer.C’est lui qui m’arrache à l’humanité.Il veut que je le rejoigne.Que je sois prête à l’accueillir dans ce monde qui ne sera plus jamais le même.Puis je les sens.Lucien. Mikhaïl. Ezra. Ivan.Ils arrivent comme des bourrasques.Leurs pas sont silencieux, mais mon cœur bat à leur rythme.Je les r
ISABELLALe soleil se lève à peine.Je le regarde se frayer un chemin entre les branches noires des cyprès, comme si lui aussi avait dû lutter pour survivre à la nuit.Moi, je l’ai fait.Je suis encore debout.Vivante.Aimée.Et enfin… libre.Je marche lentement dans le jardin, mes pieds nus effleurant l’herbe fraîche. Chaque brise sur ma peau me rappelle que je suis revenue d’un monde où le souffle n’était que douleur. Mais ici, maintenant, chaque respiration est une bénédiction.Mon ventre est rond.L’enfant en moi s’étire doucement, comme s’il sentait que quelque chose a changé.Comme s’il savait que le danger est passé.— Tu es en sécurité maintenant, je murmure. Et moi aussi.Je me retourne…Et je les vois.Ezra , Ivan , Lucien , Mikhaïl.Ils avancent vers moi, comme sortis d’un rêve ancien.Quatre âmes que j’ai aimées dans les ténèbres… et qui m’aiment, encore, malgré mes blessures, malgré le sang, malgré le passé.Mes amants. Mes piliers. Mes immortels.Ezra est le premier à m’