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Chapitre 4 :

Author: LGRINA
last update Last Updated: 2025-06-26 20:04:39

Samantha s’est éclipsée. Je ne sais pas où elle est allée, mais soudainement, j’ai eu cette sensation étrange d’être épiée. Comme si des yeux invisibles suivaient chacun de mes gestes. J’ai décidé de me réfugier aux vestiaires.

Je me poste devant le miroir, le cœur lourd. J’ai envie de chialer mais, les larmes ne coulent plus. J’ai assez pleuré. J’ai tout vidé, tout donné. Alors j’essuie mon visage sec, je le rince à grandes eaux, je frotte fort, comme si cette eau pouvait me purifier, me laver… Me laver de ces images incrustées dans mon crâne depuis mes huit ans. Ces images que je ne souhaite à personne de voir. Personne ne devrait voir un de ses parents mourir lentement, impuissamment. C’est ce qui me ronge. Ce qui me déchire. Ça lacère ma peau de l’intérieur, et les cicatrices restent. Invisibles, mais présentes. Ça me bouffe vivante, comme un parasite collé à mes os.

Je ferme le robinet et me retourne brusquement. J’entends quelque chose. Des gémissements… faibles, étouffés, à peine audibles. Mais mes oreilles, elles, les captent. Mon instinct prend le relais, mon cerveau me dicte d’avancer. Alors j’avance, à pas feutrés, sur la pointe des pieds. Je scrute les portes des toilettes, une à une. La première : rien. La deuxième : rien non plus. Troisième, quatrième… toujours rien.

Puis la cinquième.

Les gémissements deviennent plus clairs, plus rythmés, presque… dérangeants. J’hésite, puis pousse doucement la porte. Deux yeux bleus s’écarquillent. Dans leur regard, je lis du dégoût, de la gêne, de la honte. Je recule d’un pas.

— Putain Era, qu’est-ce que tu fous là ! hurle Samantha, la robe retroussée, la culotte tombée jusqu’aux chevilles.

Elle est cambrée, son maquillage a coulé. Une main agrippe ses cheveux. Je vois des cuisses, nues. Je n’ai pas besoin d’en voir plus. Je sais qu’elle n’a plus rien en dessous. Un homme, derrière elle, la tient fermement. Il fume une cigarette, le regard ailleurs, comme si ma présence n’avait aucune importance. Il gémit encore. Comme si je n’avais rien interrompu.

— Attends-moi dehors Era. Accorde-moi une petite minute…

Il ne m’en faut pas plus. Je m’éloigne à grandes enjambées. Je suis écœurée. Cette image me hantera. Elle est gravée dans mon cerveau et me donne la nausée. Je rejoins le comptoir où Ash essuie des verres. Sans un mot, je croise les bras et souffle :

— Un cocktail, s’il te plaît.

— Vas-y mollo. Ta copine a déjà bu cinq shots de whisky. Qui va conduire si toi aussi tu t’y mets ?

Son sourire en coin ne le quitte pas. Ses yeux, maintenant clairement bleus, tentent de me percer à jour. Mais il n’y a plus rien à lire en moi. Je suis vide. Juste du chagrin, rien d’autre.

— Peu importe. Je vais appeler un taxi.

Samantha revient. L’odeur de l’alcool et de la cigarette l’enveloppe. Elle est ivre morte. Elle titube, rit nerveusement. Ashton disparaît discrètement. Samantha s’approche et me pince les joues avec maladresse.

— T’es trop mignonne Era. C’est dommage que t’sois vierge. Tu comprendrais qu’on n’interrompt pas deux personnes qui font l’amour.

— On rentre. Je vais chercher un taxi.

— Dis surtout rien à ton père… Sinon je perds mon job.

Ses mots sont flous, pâteux. Je la saisis par les épaules et sors de mon sac un billet que je pose sur le comptoir. Ashton réapparaît, nous regarde, puis baisse les yeux vers l’argent.

— La boisson est offerte par la maison. Garde ça pour payer un taxi.

Samantha s’accroche à mon cou. Elle pèse une tonne. C’est fou comme l’alcool rend les corps lourds. Ashton me fixe toujours. Son sourire, sa gentillesse, ça me fait quelque chose. Je lui adresse un sourire discret, puis murmure un « merci » avant de reprendre le billet.

Dehors, la nuit est tombée. Le ciel est noir, parsemé d’étoiles. J’essaie d’arrêter un taxi, mais Samantha, qui chante à tue-tête les yeux fermés, complique la tâche. Elle me serre encore le cou, se balance comme un pendule. On avance sur le trottoir, seuls. Seuls dans cette pénombre pesante.

— T’sais, j’t’aime bien Era. T’es gentille, comme ton père. Billy, c’est un super patron.

Elle tend le doigt vers le ciel. Je n’écoute plus vraiment. J’essaie juste de trouver un taxi. J’en arrête un, mais Samantha hurle au chauffeur de ne pas s’approcher. Il redémarre aussitôt. Avenue Street n’est pas un quartier recommandé après vingt-deux heures. Quelques passants errent, des sifflements nous suivent. Je sens les regards poisseux de certains hommes sur nous.

Je continue jusqu’à une supérette. Un banc en métal se trouve juste devant. Je pose Samantha dessus. Elle s’allonge aussitôt, sans se poser de questions. Je sors mon téléphone. Mes doigts composent un numéro presque par réflexe.

066-234-0***

Scott Cold.

Il décroche rapidement. La conversation dure à peine deux minutes. Je lui explique, je lui donne ma position. Il me dit qu’il arrive dans une demi-heure. Je raccroche. Je retourne auprès de Samantha qui dort, roulée en boule. Il fait froid. Mon t-shirt vintage ne me protège pas. Sam’ ronfle, douce mélodie d’un moteur au bout du rouleau. Moi, je veille. J’observe. Chaque passant. Chaque voiture. Je lève les yeux vers le ciel gris, couvert de nuages flous. La lune, en croissant, veille sur nous. Les arbres sont immobiles. Les commerces fermés. Un homme fume en face, adossé à un mur.

Tout est calme.

La nuit nous enveloppe dans un silence étrange. Presque mortel.

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