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Chapitre 2 : Era

Author: LGRINA
last update Last Updated: 2025-06-26 20:03:21

La salle fait silence. Mon père s’apprête à faire son fameux discours avant de servir les gaufres. Tout le monde attend qu’il parle. Samantha, ainsi que les autres employés, sont là aussi. Des paires d’yeux se posent sur moi, me traversent, et je me sens transparente. Tous ces regards font monter mon angoisse. Mais lorsque les bras de mon père se referment sur moi, je suis rassurée. Il a ce don-là. Le don de me réconforter par un simple contact. Voilà qui est Billy Andrews White. Un homme bon. Gentil. Serviable.

Je le regarde de bas en haut. Chaque trait de son visage, presque ridé, me réchauffe le cœur. Ses cheveux longs sont attachés en un chignon lâche. Sa barbe, mal rasée, lui couvre le menton. Il porte sa chemise rouge à carreaux, son jean et ses bottes noires montantes. Il s’éclaircit la gorge avant de parler.

— Bonjour à tous, et bienvenue au Billy Café. C’est toujours un plaisir de vous recevoir… surtout un lundi matin. Merci à tous ceux qui se sont déplacés. Je n’ai pas grand-chose à dire. Je veux juste que vous sachiez que vous comptez énormément pour moi. Je vous considère tous comme des membres de ma famille. Certains d’entre vous ont vu ma fille grandir, et ça me remplit de joie. Ce n’est pas qu’une histoire de gaufres, c’est aussi l’occasion de se retrouver autour d’un repas. Comme une famille. Enfin bref… bon appétit, et régalez-vous !

« Comme une famille. »

Oui, ces gens sont comme une famille pour moi.

Il y a le couple Bloom. Monsieur Carson, un homme d’une cinquantaine d’années qui commande toujours la même chose : pancakes et smoothie à la banane. L’officier Berley, qui débarque avec son sourire contagieux, toujours en uniforme. Et puis madame Veronica, une écrivaine en herbe. Elle s’installe toujours dans le même coin du café, avec son ordinateur, un bloc-notes et un stylo. Elle est en quête d’inspiration, et l’atmosphère apaisante de cet endroit semble l’aider.

Et les employés. Jino Rivers, un jeune homme d’origine argentine, co-chef en cuisine avec mon père. L’incontournable Samantha Colly, blonde au regard pétillant et à la langue bien pendue. Et puis Jessica, Lily et Sotoé, qui font aussi partie de l’équipe.

Samantha s’approche de moi. Elle me fait un clin d’œil puis sourit.

— Que la fête aux gaufres commence !

Les serveurs se mettent au travail. Je m’apprête à les rejoindre mais mon père me retient. Il plonge son regard dans le mien.

— Era, ça va ? Tu m’as l’air fatiguée. Prends ta journée. Samantha et les autres s’occupent du service.

— Non papa. Je vais bien. Je suis venue pour bosser, alors je vais bosser.

Sa main se pose sur ma joue, doucement. Il relève ma tête, qui flanche un peu.

— T’as oublié que tu es ma fille ? Je te connais bien plus que tu ne crois. Va t’amuser avec tes amis… et ce fameux Scott qui vient souvent te chercher après le boulot ?

Il arque les sourcils et je devine aussitôt ce qu’il insinue. Scott est un vieil ami, mais ça, mon père refuse de le comprendre. Il me fait toujours la même remarque. Et à chaque fois qu’il nous voit ensemble, il sourit comme un ado.

— Scott et moi, on est juste amis, papa. Va falloir que tu finisses par l’accepter, je lui réponds en me détournant.

Il me suit.

— J’ai à peine quarante-cinq ans, Era. Tu crois que j’ai oublié ce genre de choses ?

— Papa, arrête… j’espère que tu n’es pas allé lui parler, j’imagine même pas la gêne. Et puis… Scott a une copine. Ça aussi, tu fais comme si tu ne le voyais pas.

— Une copine qu’il voit moins souvent que toi. Vous êtes toujours collés. C’est normal que ton vieux père flaire une sorte de… jus d’amour entre vous.

Il rit.

Je continue d’avancer, puis mes yeux croisent un regard d’un vert électrique. Un regard qui brûle. Un regard qui me cloue sur place. Je ne sens plus ma peau. Mon âme quitte lentement mon corps. Tout en moi est attiré vers lui. Une force invisible me pousse à l’implosion. Je perds le contrôle de tout. Mes poumons ne captent plus l’air. Mon cœur ne pompe plus assez pour que je respire.

Cœur en panique. Poumons à l’arrêt. Peau en feu.

Ce que je ressens est physiologique. Hormonal. L’adrénaline me monte à la gorge. Mes jambes tremblent.

Et comme chaque jour, à neuf heures pile, il arrive.

Cet homme. Grand. Large d’épaules. Brun. Costume noir.

Il attire tous les regards. Il impose un silence.

Je continue de le fixer, aussi longtemps que mon cœur me le permettra.

Ses lèvres, d’un rose pâle, se contractent dans un sourire bref. Une seconde. Juste une. Et soudain, il son visage s’illumine. Il passe une main dans ses cheveux en arrière, sombres, presque noirs.

Son entrée glace l’air ambiant. Il est aussi froid que la glace. Et pourtant, je sais que derrière ce masque de marbre, un cœur bat. Même s’il s’acharne à le dissimuler.

L’électricité qui règne dans la pièce me traverse toute entière. Je frissonne. Je sens mon âme partir.

Son ombre plane. Ses yeux me consument. Il passe à côté de moi. Mon cœur s’arrête.

Et son odeur… ambrée, boisée, sophistiquée… s’imprime dans mes narines.

Il ne me regarde pas. Et c’est mieux ainsi. Parce que je sais qu’il ne m’apportera rien de bon. Rien qui puisse rivaliser avec ce que je ressens. Son regard cherche à me soumettre. À me posséder. Et je déteste cette emprise. Ce frisson qui me prend tout le dos, qui m’électrise, et me vole toute ma force.

Angel De La Touré m’arrache tout.

Je fais demi-tour. Mes pas me dirigent vers lui. Il est seul à une table. Ses doigts dansent sur son téléphone. Il ne lève même pas les yeux. Et ça suffit à me faire comprendre : je ne suis rien pour lui.

— Un café. Sans sucre, lâche-t-il.

Et ses yeux, d’un vert hypnotique, ne croiseront jamais les miens. Pas une seule fois. Pas une seule seconde.

Je rebrousse chemin jusqu’au comptoir. Samantha me lorgne. Son regard de braise est tourné vers Angel, qui parle au téléphone. J’entends à peine sa voix grave et rauque. Et pourtant, elle me déstabilise.

Pourquoi un homme qui ne m’a jamais regardée me fait autant d’effet ? Pourquoi cette admiration nue que j’ai pour lui ne faiblit pas ?

C’est indomptable. Comme sa chevelure sauvage, qui encombre à nouveau son visage.

Mes lèvres brûlent. Et ça me tue. Parce que je sais qu’il ne les verra jamais.

— Encore ce putain de gosse de riche ! De La Gouré, c’est ça ? balance Samantha en déformant son nom. Il dit jamais bonjour, mais j’aime bien les pourboires. La dernière fois, il a laissé cent dollars sur la table. J’ai pu m’acheter un sac en croco grâce à lui.

— C’est De La Touré, j’articule, en prenant le café prêt sur le comptoir.

J’avance. La voix de Samantha s’éloigne. Le sol devient flou sous mes pas. Je tremble. J’ai le cœur pincé. La distance entre nous diminue à mesure que je me rapproche. Mon corps ne m’appartient plus. Et sa voix résonne dans ma tête, comme un ordre doux, mais ferme.

Mon père arrive à sa table avant moi. Il tente de faire la conversation, mais Daemon semble ailleurs. Indifférent.

J’arrive. La tasse tremble dans mes mains. Je la pose doucement.

— Tiens. Voilà ma fille, Era.

Deux secondes.

C’est le temps qu’il lui a fallu pour me regarder.

Deux secondes.

Et mon sang s’est mis à bouillir.

Deux secondes.

Et ses yeux verts m’ont coupé le souffle.

Juste… deux secondes.

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Comments (1)
goodnovel comment avatar
Antliaz
Whoua,du courage tu fais des merveilles.
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