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Chapitre 5

Author: LGRINA
last update Last Updated: 2025-06-26 20:05:12

Mes yeux sont à moitié fermés, car je lutte contre le sommeil. J’ignore depuis combien de temps nous sommes là, mais l’homme qui fumait de l’autre côté de la route est déjà parti. Le temps devient de plus en plus frais, et je frissonne comme un poussin mouillé. Une brume épaisse sort de ma bouche, qui évacue l’air chargé d’oxygène remplissant mes poumons. Le bruit d’un klaxon me vrille les oreilles, puis la lumière blanche des phares d’une voiture m’éclaire. Je lève les yeux vers cette dernière et je souris en voyant le conducteur de cette bagnole blanche. C’est une vieille Toyota.

Elle se gare juste devant moi. J’entends la détonation de la portière. Puis, quelques secondes plus tard, un visage familier apparaît devant moi. Scott, avec ses cheveux châtains et ses yeux noirs, vient d’arriver. Il est plutôt musclé et porte un blouson noir, un jean bleu ainsi qu’une paire de bottes hautes noires. Il s’approche lentement de moi. Je me lève, ce qui réveille Samantha au passage.

— Qu’est-ce que tu fous dans un coin pareil, Marjory ? dit-il sur un faux ton sérieux qui me fait plus rire qu’autre chose.

Marjory est mon deuxième prénom. Scott sait à quel point je le déteste, car au primaire, certaines personnes se foutaient de ma gueule quand les professeurs le prononçaient. Mais il prenait ma défense. Je me souviens qu’il serrait ses petits poings de gamin prépubère à chaque fois que quelqu’un se moquait de moi.

Scott me sourit. Et son sourire ôte en moi toute envie de lui en coller une, car je sais qu’il se moque un peu de moi. Je souris avec lui, puis je lui tape sur l’épaule pour qu’il arrête de se marrer.

— T’en as mis du temps, dis-je en arrêtant subitement de sourire.

Là, je remarque que ses yeux sont incroyablement sombres la nuit. Ce qu’ils dégagent est intense et charmeur. Ses sourcils sont froncés. Il croise ses bras sur son torse avant de me répondre.

— Tu pourrais quand même me remercier d’être arrivé aussi vite. J’ai roulé comme un putain de taré. Et ton amie, dit-il en arrêtant son regard sur Samantha, elle m’a l’air bien amochée.

Il renifle comme un chien, grimace, puis me regarde.

— Attends. Vous avez bu de l’alcool ? Dans ce coin paumé en plus ? T’es au courant que cet endroit est dangereux, surtout pour des femmes…

Je le stoppe dans son élan moralisateur. J’attrape Sam, qui se réveille sans ouvrir les yeux. Je la trimballe jusqu’à la voiture. Je l’installe sur la banquette arrière. Puis, je monte à mon tour. Scott, qui est toujours à l’extérieur, rit, les mains posées sur les hanches. Mon comportement taquin, que seul lui et mes autres amis connaissent, ne semble pas le choquer puisqu’il se contente d’en rire.

Quelques secondes plus tard, il me rejoint dans cette voiture qu’il démarre aussitôt.

— Au fait, merci d’être venu, Scott. T’es un vrai ami.

Ses mains tiennent fermement le volant. Je vois presque ses muscles se contracter. Il regarde la route et se contente de me répondre en hochant la tête.

— T’as bu quoi ? finit-il par dire.

— Le cocktail des anges. Tu connais ?

— Jamais entendu parler. Mais ça a l’air moins fort que ce que ton amie a bu. Elle ronfle comme un vieux moteur.

— Elle a bu du whisky. Tu sais que je déteste ça. Ça a le goût du pétrole.

Il pouffe de rire. Mais je garde ma mine sérieuse, que j’accompagne cependant d’un léger sourire. J’ai jamais goûté le pétrole, mais je suis sûre que ça a le même goût que le whisky. Les gens font semblant d’aimer ça. Sinon, pourquoi grimacent-ils toujours quand ils en boivent ? C’est la seule explication logique que j’ai pu trouver à ce qui reste, pour moi, un réel mystère étant donné que je n’en consomme pas.

— Je dirais plutôt que ça a le goût d’un très très vieux vinaigre. Mais ça reste bon. La première fois qu’on en boit, ce n’est pas exquis, mais après on s’habitue au goût.

— Tu trouves que je suis une sainte-nitouche ? Enfin, je veux dire, une fille ennuyeuse et coincée ?

Dire que la remarque d’Ashton, le barman, ne m’a pas touchée serait un mensonge. J’y pense encore. Je me demande s’il n’a pas totalement raison. Je suis une fille assez calme et réservée, qui aime rester avec ses proches plutôt que de se mêler aux inconnus. J’ai d’ailleurs du mal à m’exprimer en public. Il n’y a qu’avec mon père, les clients du café, les employés et mes amis que je suis extravertie.

Scott prend un air sérieux qui annonce une réponse purement sincère.

— Non. T’es la fille la plus intelligente que je connaisse. C’est juste que tu as tes petites habitudes de grand-mère, se moque-t-il en haussant les épaules.

— Arrête, je ris faiblement. Parfois, j’ai l’impression d’être invisible. Inexistante. Je ne sais pas. Y’a quelque chose qui ne va pas chez moi.

Mes propres pensées me martyrisent et me condamnent à une tristesse sans fond. J’ignore pourquoi, mais je me sens constamment vide, malgré le fait que j’ai un père génial, des amis supers et que mes études se passent bien. Je colle ma tête contre la vitre. La main de Scott se pose chaleureusement sur mon épaule, comme s’il voulait m’apporter toute la force de son être pour me réconforter.

— Pourquoi tu penses une chose pareille ? me demande-t-il d’une petite voix qui me réconforte.

— J’ai du mal à dire ce que je ressens, et ça dure depuis des années. Je suis devenue l’ombre de moi-même.

J’ignore pourquoi je suis aussi émotive. Je retiens difficilement mes larmes. J’accuse l’effet de cet alcool qui circule dans mes veines.

— Tu as perdu ta mère à huit ans, Era. C’est normal que tu sois aussi bouleversée et renfermée.

Une belle âme solitaire. C’est ce que je suis. Et jamais ça ne changera, malgré le fait que je fasse tout pour y remédier. Je me réfugie dans le silence. Je me réfugie dans mes propres bras, et j’avoue que quelque part, ça me convient. J’ai pu me créer ma propre zone de confort. C’est un mur épais en acier. Solide et infranchissable. Mais le problème, c’est que moi-même je n’arrive pas à en sortir. Car c’est devenu ma prison. Mon supplice mental et douloureux.

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