Maëlys
Le silence est un piège qui se referme sur moi.
Aleksandr se tient derrière moi, son souffle effleurant ma nuque. Nos regards se croisent dans le reflet du miroir, et je vois exactement ce qu’il veut me montrer.
Moi.
Moi, cambrée sous sa main, mes hanches saisies par ses doigts possessifs. Moi, la respiration erratique, le corps figé entre la fuite et l’abandon. Moi, captive d’un jeu dont je ne connais pas encore les règles.
— Tu comprends maintenant ? murmure-t-il.
Je déglutis avec peine.
— Qu’est-ce que je suis censée comprendre ?
Aleksandr esquisse un sourire. Il relâche doucement ma taille, et ses doigts remontent le long de mon bras, paressent sur la courbe de mon épaule nue.
— Ce que je fais de toi, dit-il enfin.
Sa voix est un fil de soie et d’acier.
Il me veut façonnée. Modelée. Il veut laisser son empreinte sur moi, une marque invisible qui ne s’efface pas.
Je secoue la tête, brisant notre reflet d’un battement de cils.
— Je ne suis pas une œuvre, Aleksandr. Ni un objet à façonner.
— Oh, mais tu l’es, Maëlys.
Il se penche, ses lèvres frôlant la peau sensible de mon cou.
— Et je vais t’en donner la preuve.
Ses mains quittent mes hanches.
Je pense qu’il va s’éloigner, mais non. Il contourne mon corps avec une lenteur calculée, s’installant face à moi. Il me domine de sa hauteur, ombre menaçante et magnétique à la fois.
— Tourne-toi.
Un ordre.
Je ne bouge pas.
Il arque un sourcil, amusé par mon défi silencieux.
— Tu penses encore pouvoir résister ?
Je soutiens son regard.
— Je ne suis pas une marionnette.
Son sourire s’élargit.
— Non, tu es un feu. Et moi, je veux voir jusqu’où tu peux brûler.
Il glisse une main sur ma joue, la caresse du pouce.
— Alors brûle pour moi, Maëlys.
Et lentement, il me fait pivoter face au miroir.
Ma propre image me défie.
Je ne me reconnais plus tout à fait.
Il glisse ses mains sur mes épaules, puis redescend lentement, explorant chaque frisson qui naît sous sa paume.
— Regarde-toi.
Ma respiration se heurte à ma cage thoracique.
— Qu’est-ce que tu vois ?
Sa voix est un murmure sombre, une incantation qui s’insinue sous ma peau.
Je vois…
Je vois une femme prise au piège entre la résistance et l’abandon.
Je vois une tentation dangereuse.
Je vois une vérité que je ne suis pas prête à admettre.
Aleksandr incline légèrement la tête, son regard accroché au mien dans le miroir.
— Tu vois ?
Sa main s’attarde sur ma hanche, sa poigne ferme, ancrée dans la possession silencieuse qu’il revendique.
— Tu es déjà à moi.
Un frisson court le long de ma colonne vertébrale.
Je ferme les yeux.
Mais même dans l’obscurité, je sais.
Je ne pourrai plus jamais m’enfuir.
Maëlys
Le cuir craque doucement sous ses doigts.
Aleksandr fait courir la pointe de ses ongles le long de la lanière de cuir souple, un sourire imperceptible au coin des lèvres. Il s’amuse. Il savoure chaque seconde.
Moi, je retiens mon souffle.
L’air est trop épais, saturé de quelque chose d’indéfinissable, entre la peur et l’excitation.
— Tourne-toi.
Un ordre, encore.
Je reste immobile. Pas par défiance. Pas cette fois.
Par hésitation.
Je ne sais pas ce qu’il attend de moi. Ce qu’il veut voir.
Ce qu’il veut briser.
Aleksandr lève un sourcil, visiblement amusé. Il se lève lentement, contourne la pièce avec cette assurance féline qui lui est propre.
— Tu as peur ?
— Non.
Il s’arrête derrière moi. Son souffle effleure ma nuque.
— Mens-moi encore une fois et je t’attache sans douceur.
Un frisson me traverse.
— J’ai peur.
Il rit doucement, et je le déteste pour ça.
— Bonne fille.
Ses doigts glissent sur mon bras nu, effleurent la peau en une caresse trompeuse.
Puis il s’écarte.
Je me retourne enfin.
La pièce a changé. Ou peut-être est-ce moi.
Chaque détail me frappe avec une intensité nouvelle.
La croix de Saint-André, massive, ancrée au mur. Les lanières de cuir suspendues au plafond, prêtes à emprisonner. Le fauteuil de velours, ses accoudoirs élargis pour mieux contenir.
— Ce soir, tu vas comprendre.
Sa voix est basse. Une promesse. Une menace.
Il m’observe, scrute chaque nuance sur mon visage, chaque tremblement imperceptible sous ma peau.
Puis il lève un bras et désigne l’un des anneaux fixés au plafond.
— Approche.
Je le fais, lentement, le cœur battant trop fort.
— Donne-moi tes poignets.
Je les tends.
Un silence.
Puis le cuir vient s’enrouler autour de ma peau. Pas brutalement. Pas violemment.
Avec une lenteur cruelle.
Aleksandr serre les lanières juste assez pour me priver de tout mouvement.
Mes bras s’élèvent légèrement au-dessus de ma tête, exposant mon corps à sa merci.
Il recule d’un pas, admire son œuvre.
Je suis à sa merci.
Et pourtant, ce n’est pas la peur qui me domine.
C’est l’attente.
Il s’approche de moi et glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Tu as déjà été punie, Maëlys ?
Je ravale ma salive.
— Non.
Son sourire est carnassier.
— Ce sera une première, alors.
Puis il recule, s’empare d’un objet sur la table basse.
Un martinet en lanières de cuir.
Je sens ma gorge se serrer.
— Tu vas compter, murmure-t-il.
Mon ventre se noue.
— Et si je ne le fais pas ?
Il s’approche, sa main agrippe ma mâchoire, me forçant à le regarder dans les yeux.
— Alors je recommence. Jusqu’à ce que tu comprennes.
Je frémis.
Il recule.
Le premier coup tombe.
Un claquement net. Pas brutal, mais précis.
Une brûlure fugace s’étale sur ma peau.
Je ne dis rien.
— Un, souffle Aleksandr.
Son regard est un piège.
Il attend.
— Un, murmuré-je enfin.
Son sourire s’agrandit.
Le deuxième coup tombe.
Je ferme les yeux.
— Deux.
Et ainsi de suite.
Les chiffres s’égrènent dans le silence.
Mon souffle devient erratique.
Le feu s’ancre sous ma peau.
Chaque impact, chaque morsure du cuir m’arrache un frisson qui n’a rien de douloureux.
Ce n’est pas de la souffrance.
C’est autre chose.
Quelque chose de plus insidieux. De plus profond.
Aleksandr le sait.
Il le voit.
Quand le dernier coup tombe, mon corps est en feu.
Mais je ne veux pas qu’il s’arrête.
Je me hais pour ça.
Aleksandr s’approche à nouveau, son doigt glisse sur ma peau rougie.
Il murmure contre mon oreille :
— Maintenant, tu comprends.
Je rouvre les yeux.
Et je sais.
Je suis à lui.
Que je le veuille ou non.
MaëlysLe temps a perdu sa morsure.Je ne sais pas combien d’heures se sont écoulées depuis notre retour, ni même si nous avons vraiment dormi. Tout ce que je sais, c’est la chaleur de ses bras, la respiration calme qui s’élève et retombe près de mon oreille, comme une mer apaisée après la tempête.Le soleil, doux et pâle, inonde la pièce. La maison respire le calme, ce calme si rare, presque irréel. Je m’étire lentement, mon bras blessé encore engourdi par la douleur, mais un sourire naît malgré moi. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens entière. Pas seulement vivante. Entière.Aleksandr est là, couché à côté de moi, une main posée sur ma taille comme un instinct de possession et de protection mêlées. Ses yeux noirs me scrutent, encore marqués par la fatigue, mais il y a dans ce regard un éclat nouveau. Quelque chose de plus doux. De plus vrai.— Tu es encore là, dis-je, ma voix un peu rauque.— Là où je dois être, répond-il avec ce timbre grave qui me fait vibrer.Il gl
AleksandrLe fracas des armes et des cris me vrille les tempes. La nuit semble se refermer sur nous, une cage étouffante où la mort danse avec la lumière des balles. Chaque souffle est un défi, chaque pas un pari.Je me tiens droit, immobile un instant, écoutant le tumulte autour, cherchant le point faible de cette attaque sauvage.Puis je vois l’ouverture : un éclat de métal mal placé, une silhouette trop confiante. J’explose en avant, tirant, frappant, ne laissant aucune chance.MaëlysLe sang ruisselle sur ma peau, le goût métallique dans ma bouche me donne l’impression d’étouffer. La douleur lancinante de mon bras s’est muée en une brûlure constante.Je tire, encore, toujours. Le corps de l’un après l’autre s’effondre sous mes coups. La peur s’est muée en colère, la colère en une force sauvage.Je sens Aleksandr à mes côtés, un mur de protection et de feu.AleksandrUn hurlement. Un ennemi fonce droit sur moi, fou de rage et de désespoir. Je l’accueille avec un coup de crosse, pui
AleksandrJe reste figé un instant, le corps vibrant sous l’impact du coup de feu que je viens de tirer. L’écho déchirant retentit encore dans la nuit, comme un jugement sans appel. Le silence tombe, lourd, oppressant. Le prisonnier gît là, inerte, une marionnette brisée.Son regard défiant s’est éteint, remplacé par un vide glacial qui me serre le cœur. Mais il n’y a plus de place pour la pitié. Plus de place pour les doutes.J’appuie mon front contre la carrosserie de la voiture, mes mains tremblantes laissant choir l’arme. La rage, la peur, l’épuisement tout se mêle et m’écrase.Je sens encore le goût amer de ses mots, comme un poison qui coule dans mes veines : « Elle t’appartient déjà ».Maëlys. Elle.Le poids de cette vérité m’écrase. Je voulais la protéger, la garder à l’écart de ce monde où les ombres s’agrippent à la peau comme des griffes. Mais c’est trop tard.Je relève les yeux vers elle.MaëlysJe me tiens là, tremblante, un souffle rauque au bord des lèvres. La douleur d
MaëlysTout va trop vite. Les lumières défilent comme des lames de verre tranchant la nuit. Le monde n’est plus qu’un mélange d’ombres, de bruits sourds et de cette douleur brûlante dans mon bras. Elle pulse, s’étend, comme si chaque battement de mon cœur était un coup de couteau. Mes doigts tremblent sur le tableau de bord, glacés et collés de sang.Je jette un regard au rétroviseur. Deux paires de phares. De plus en plus proches. Ils nous traquent, comme des loups sur une proie blessée.— Aleksandr…Il ne répond pas. Ses mâchoires sont serrées, ses yeux d’acier rivés sur la route, comme s’il voulait la déchirer avec sa volonté. Ses mains sur le volant ne tremblent pas. Elles serrent, écrasent, jusqu’à ce que ses jointures blanchissent.Un crissement métallique déchire le silence. La voiture derrière nous percute l’arrière. Le choc me projette vers l’avant, la ceinture m’arrête brutalement. Je suffoque. Aleksandr jure entre ses dents, reprend le contrôle, le regard dur comme la pierr
MaëlysJe ne sais même pas comment mes jambes me portent jusqu’à la voiture. Tout est flou, irréel, comme si le monde avait perdu ses contours. Mon bras brûle, une douleur sourde, lancinante, qui pulse au rythme affolé de mon cœur. Je sens la chaleur poisseuse de mon sang sous mes doigts. Aleksandr me pousse presque dans le siège passager, d’une brutalité qui ne laisse aucune place à la discussion.Le moteur rugit avant même que je claque la portière. Aleksandr balance le prisonnier à l’arrière comme un sac de sable. L’homme gémit, tente de se relever, mais son regard tombe sur Aleksandr… et il s’immobilise aussitôt, comme pétrifié par une force invisible. Je sens cette force, moi aussi. Cette rage glaciale qui émane de lui et qui remplit tout l’habitacle.— Aleksandr… mon bras…Il m’adresse un bref coup d’œil, mais ses mains serrent le volant comme si elles voulaient l’arracher du tableau de bord.— Tiens.Il me tend un morceau de tissu une chemise ou un vieux chiffon, je ne sais pas
MaëlysJe cours.Je n’ai pas le temps de réfléchir, ni même de sentir mes jambes. Aleksandr me tire presque par le poignet, ses doigts d’acier ne laissant aucune échappatoire. Chaque seconde, chaque battement de mon cœur est un coup de tambour sourd qui résonne dans ma poitrine. Le bruit de nos pas se mêle au claquement du vent sur les tôles rouillées du hangar. Et derrière nous, il y a ces voix. Des voix qui ne ressemblent pas à des hommes, mais à des prédateurs. Des ordres secs, lancés comme des coups de couteau dans une langue que je ne comprends pas.Je serre l’arme contre moi, glaciale, étrangère. Mon souffle se heurte à mes lèvres comme un nuage brûlant. L’adrénaline a un goût métallique, comme si du sang me collait à la gorge. Chaque craquement dans la nuit me donne envie de hurler.Aleksandr s’arrête net, me plaque contre le mur du hangar, son corps tendu comme un arc.— Pas un bruit.Je hoche la tête, même si je ne sais plus si je suis capable de respirer sans faire de bruit.