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À l'ombre de nos désirs
À l'ombre de nos désirs
Autor: Darkness

CHAPITRE 1 : la bibliothèque

Autor: Darkness
last update Última atualização: 2025-11-08 19:32:12

Éliane

Le bruit de la plume qui gratte le parchemin est le seul son que je m’autorise. Ici, dans la bibliothèque ouest, le silence a une épaisseur, une texture. Il pèse sur les épaules comme un manteau de laine humide. Les étagères montent jusqu’au plafond voûté, des sentinelles de bois sombre veillant sur des armées de livres reliés de cuir. L’air sent la cire d’abeille, le vieux papier et quelque chose d’autre, une odeur froide et métallique que je n’ai jamais pu identifier.

Je suis une intruse dans ce décor de pierre et d’ombre.

Mon doigt suit la ligne d’un inventaire datant de 1892. … six chandeliers en argent, un service à thé en porcelaine de Saxe, un portrait de femme aux yeux de saphir… Je note tout sur mon carnet, de mon écriture la plus appliquée. C’est mon travail. Classer, archiver, mettre de l’ordre dans le chaos des siècles pour un homme qui est lui-même un chaos vivant.

Kaelan.

Même son nom, dans ma tête, est un frisson.

La porte de la bibliothèque s’ouvre sans un bruit. Je n’ai pas besoin de lever les yeux pour savoir que c’est lui. La pression dans la pièce change, l’air se raréfie, comme si la maison elle-même retenait son souffle. Je sens son regard sur ma nuque, une caresse glacée qui parcourt chaque vertèbre.

Je continue à écrire, feignant une concentration que je suis loin de ressentir. Mon cœur, lui, n’est pas dupe. Il cogne contre mes côtes, un oiseau affolé pris dans une cage trop fragile.

— Éliane.

Sa voix est plus grave que le roulement des tonnerres au loin. Elle ne résonne pas, elle imprègne.

Je lève enfin les yeux.

Il est appuyé contre le chambranle de la porte, vêtu d’un costume sombre qui épouse sa carrure puissante. Il ne sourit jamais. Ses yeux, d’un gris orageux, me déshabillent, m’analysent, me possèdent déjà. Il tient un verre de whisky entre ses longs doigts, qu’il fait tourner avec une lenteur hypnotique.

— Monsieur Valois.

— Le travail avance ?

— Oui. J’ai presque terminé le fonds du XIXe siècle.

— Bien.

Il pousse la porte derrière lui. Le léger claquement du bois me fait sursauter. Il traverse la pièce avec la démarche souple et mortelle d’un prédateur. Il ne marche pas, il rode. Il s’arrête de l’autre côté du lourd bureau en chêne, posant ses mains à plat sur le bois ciré. Ses cicatrices, des lignes pâles sur sa peau, me racontent une histoire que je n’ose pas encore lire.

— Vous avez l’air fatiguée. Cette maison vous pèse-t-elle déjà ?

— Non, monsieur. Elle est… impressionnante.

— C’est un mot. Un autre serait « impitoyable ». Elle absorbe les faibles. Elle ne fait que refléter son propriétaire.

Il dit cela sans fierté, comme un simple constat. Une loi de la nature. Le loup mange l’agneau. Kaelan Valois brise les âmes.

— Je ne suis pas faible.

Les mots m’échappent, plus audacieux que je ne le suis.

Un sourcil à peine se lève. Une lueur d’intérêt, froide et calculatrice, s’allume dans son regard.

— Non ? Le croyez-vous vraiment ? Vous êtes entrée ici comme un petit oiseau effrayé, prête à vous envoler au premier cri. Vous pensez que votre intelligence vous protégera ? Votre volonté ?

Il contourne le bureau. Je dois lever la tête pour maintenir son regard. Mon corps se raidit, chaque muscle tendu comme une corde d’arc. L’espace entre nous se réduit, chargé d’une électricité sauvage.

— Je tiens mes engagements.

— Votre engagement, — il se penche, ses lèvres sont à quelques centimètres de mon oreille, son haleine chaude caresse ma peau —, va bien au-delà du classement de vieux papiers. Et vous le savez.

Son parfum m’envahit, le cuir, le whisky et cette essence pure, sauvage, qui n’appartient qu’à lui. Je ferme les yeux une seconde, luttant contre l’étourdissement, contre la peur… et contre autre chose, une chose noire et attirante qui se tord dans mon ventre.

— Le contrat…

— Le contrat, — sa main se lève et effleure une mèche de mes cheveux, un contact si léger et pourtant si brûlant —, est un morceau de papier. Ce que je veux, c’est votre soumission. Pas celle que vous donnez par devoir. Celle que vous criez dans le silence, celle que vous offrez quand il ne vous reste plus rien d’autre.

Je recule d’un pas, le dos heurtant une étagère. Je suis prise au piège.

— Vous ne l’aurez pas.

Un sourire, enfin. Il n’a rien de rassurant. C’est la chose la plus dangereuse que j’aie jamais vue.

— Nous verrons. Vous êtes ici pour trier le passé, Éliane. Mais c’est votre propre chaos que vous allez devoir affronter. Et moi, je serai là pour en ramasser les morceaux. Ou pour vous briser définitivement.

Il se redresse, son regard parcourt mon visage, mon cou, la base de ma gorge où mon pouls bat la chamade. Il boit une gorgée de son whisky, ne me quittant pas des yeux.

— Reposez-vous. Demain, nous commencerons le fonds du XVIIIe. Les écrits sont plus… fragiles. Ils demandent une attention particulière.

Sous-entendu : Vous aussi.

Il tourne les talons et quitte la bibliothèque aussi silencieusement qu’il était entré. La porte se referme.

Je reste adossée à l’étagère, les jambes tremblantes. Ma main serre le bord du bureau si fort que mes jointures blanchissent. La peur est un acide dans ma gorge. La colère aussi.

Mais pire que tout, bien pire, il y a cette trahison de mon propre corps. Cette chaleur qui persiste là où son souffle m’a touchée. Ce vide étrange et douloureux laissé par son départ.

Je regarde la porte close, le cœur battant la chamade.

C’est ça, l’impitoyable, me dis-je. Et je viens de signer un pacte pour en devenir la propriété.

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