ÉvaLa nuit a déjà enveloppé la ville d’un voile obscur quand je franchis les lourdes portes du bâtiment désert. Le dossier Venturi pèse dans mon sac, mais c’est une autre charge qui m’écrase : celle des secrets enfouis, des mensonges qui pullulent comme des ombres invisibles, menaçantes. Chaque pas que je fais dans ces couloirs silencieux résonne comme un avertissement, un écho sourd de ce que je refuse d’admettre : je m’avance sans filet, dans un piège dont je ne maîtrise ni les règles ni l’enjeu.J’atteins enfin le bureau de Belmont. La porte est entrouverte, laissant filtrer la faible lueur d’une lampe tamisée. Il est là, immobile, silhouette sculptée dans la pénombre, le regard dur, insondable. Quand il me voit, un sourire presque cruel glisse sur ses lèvres. Ce sourire que je redoute, celui qui mêle défi et promesse d’extase, celui qui parle d’ombres plus profondes que celles de la nuit elle-même.Sans un mot, il ferme la porte derrière moi, m’enfermant dans ce piège dont je ne
ÉvaLa douleur fine laissée par la morsure de Belmont palpite encore sur mon poignet, une brûlure sourde qui me rappelle que j’ai scellé un accord dont je ne connais pas encore l’ampleur. Je passe mes doigts sur la petite cicatrice fraîche, comme pour en affirmer la réalité. Ce geste, aussi étrange soit-il, me rassure, me fait sentir que je ne suis pas complètement perdue dans ce labyrinthe d’ombres où je me suis engagée.Je quitte la salle 56 en silence. Mes pas résonnent différemment dans ce couloir désormais chargé de secrets. L’air semble plus lourd, presque oppressant. Chaque regard que je croise, même furtif, est chargé d’interrogations que je refuse d’affronter. Ce poids, je le ressens jusque dans mes os. C’est comme si, d’un seul coup, tout ce qui m’entoure avait pris une teinte plus sombre, plus menaçante.Arrivée dans mon bureau, je ferme la porte à double tour, comme si cela pouvait me protéger du monde extérieur. Mais cette porte close ne contient pas la tempête qui gronde
ÉvaJe quitte la salle 56 avec un poids nouveau dans la poitrine, une sensation qui mêle le froid du doute à la brûlure du défi. Belmont m’a ouvert une porte qu’on aurait voulu garder fermée. Son regard enflammé me suit, chaque pas résonne comme une promesse ou un avertissement. Je sens que rien ne sera plus comme avant.Dans le couloir désert, le silence est presque oppressant. Je croise Clara, qui me fixe un instant, son masque de neutralité fissuré par une pointe d’inquiétude qu’elle tente de dissimuler. Je détourne le regard, les questions qu’elle ne pose pas sont lourdes, et pourtant je ne suis pas prête à y répondre.Je m’arrête près des fenêtres, regarde la ville au crépuscule, où les lumières s’allument une à une comme des lucioles dans l’obscurité. Cette ville est un labyrinthe, un piège où chacun joue sa propre partie, et moi, je viens d’entrer dans une partie qui m’échappe.Je repense à Anna Venturi, à son regard fatigué et à ses derniers mots murmurés avant qu’elle dispara
ÉvaDix-huit heures quarante-sept.Un message s'affiche sur mon écran, sans alerte sonore.> "Salle 56. Dîner."Aucune formule. Aucune signature. Mais le style est devenu reconnaissable. Belmont ne donne pas d'ordres. Il crée des situations. Des labyrinthes.Clara me lance un regard neutre. Trop neutre. Comme si elle mesurait chaque battement de mon pouls, chaque infime changement dans mon comportement, sans jamais me trahir.Je ferme ma session. J’ajuste mon tailleur avec soin, sentant le tissu glisser sous mes doigts. Je passe par les toilettes, retouche rapide : lèvres nude, sans artifice, cheveux remis en ordre d’un geste habile. Je me regarde dans le miroir, un instant. Le reflet renvoie une femme qui ne se laisse pas dominer. Une femme qui a appris à masquer ses failles.Puis je descends.Salle 56 n’a rien d’un réfectoire. La verrière noire enferme la pièce dans une pénombre feutrée, la lumière tamisée éclaire la table longue nappée d’un gris perle presque métallique. Deux assie
ÉvaSept heures trente. L’heure exacte à laquelle j’ai reçu le message :Votre présence est attendue à huit heures. Bureau de M. Belmont. Pas de retard.Aucune signature. Pas un mot de politesse. Juste la froideur chirurgicale d’un ordre.Je n’ai pas dormi. Pas vraiment.Mon cerveau a tourné toute la nuit. Les visages du passé, les fantômes du présent, et cette silhouette qui se tient au sommet de l’édifice, trônant sur un empire de secrets.Je me coiffe avec précision. Chignon bas, bien lissé. Aucun cheveu qui dépasse. Le tailleur est noir, cintré, impeccablement repassé. Pas de bijoux. Pas de parfum. Rien qui pourrait distraire ou provoquer.Juste la netteté. La maîtrise. Le masque de l’agneau, prêt à s’allonger parmi les loups.Je franchis de nouveau les portes de verre comme on entre dans une arène.La réceptionniste me reconnaît. Son regard change à peine. Un hochement de tête. Respect ou crainte, je ne sais pas encore.L’ascenseur m’aspire dans son silence glacé. Je suis seule à
ÉvaLe vent s’engouffre dans mes cheveux alors que je sors de la voiture. Une brise froide, coupante, qui me rappelle que je suis bien revenue à la surface. Loin du silence ouaté de l’appartement de Victor. Loin de l’ombre qui me collait à la peau depuis que j’ai accepté. Non. Depuis que j’ai cédé. Il y a une différence. Subtile. Mais déterminante.Je relève le col de mon manteau. La tour Belmont se dresse devant moi. Verre, acier, hauteur démesurée. Un monstre d’élégance moderne, taillé pour rappeler à chacun sa propre petitesse. L’orgueil cristallisé d’un homme qui veut tutoyer les dieux. Et les faire chuter.Je m’arrête une seconde, juste avant les portes. Inspire. Expire. Mon reflet sur la paroi vitrée me fixe avec une impassibilité calculée. Éva, l’assistante. Éva, la recrue parfaite. Éva, le mensonge.Je pénètre dans le hall. Parois vitrées, marbre au sol, éclats de conversations filtrées par le luxe. L’endroit est d’un silence étrange, maîtrisé, comme si chaque respiration avai