로그인Alyssa
Les jours se fondent en une étrange routine cauchemardesque. Ma cage dorée est mon sanctuaire et ma prison. La femme, qui se présente finalement comme Alma, m'apporte mes repas. Je refuse de porter autre chose que la chemise de nuit, un petit acte de rébellion dérisoire.
Ce matin, la porte principale de la chambre s'ouvre. Silas entre. Il n'est pas accompagné. Il porte des vêtements décontractés, mais il dégage la même autorité implacable. Dans sa main, il tient un livre épais à la reliure de cuir usée.
— Asseyez-vous, Alyssa, dit-il en désignant les fauteuils près du feu.
Je reste debout, adossée au mur. Je préfère rester ici.
— Comme il vous plaira.
Il s'assoit, croise les jambes et ouvre le livre. Ce n'est pas un livre de comptes ou un traité de violence. C'est un recueil de poésie. Neruda.
— Pourquoi êtes-vous devenue médecin ? La question fuse, calme, inattendue.
Je le dévisage, méfiante. Pour sauver des vies. Ce qui est apparemment un concept étranger pour vous.
Il ignore la pique. Il tourne une page.
— Tout le monde veut sauver des vies jusqu'à ce qu'on lui demande de choisir laquelle. Ses yeux se lèvent, perçants. Un homme arrive aux urgences, un criminel notoire, et à côté de lui, une enfant innocente. Les deux vont mourir si vous n'intervenez pas. Vous n'avez le temps que pour un seul. Lequel choisissez-vous ?
La question est un coup de poing. C'est le genre de dilemme dont on discute en cours d'éthique, avec la sécurité de la théorie. Dans sa bouche, cela semble réel, sanglant.
— C'est un faux dilemme, je rétorque. Dans la réalité…
— Dans la réalité, on choisit, l'interrompt-il. On choisit tout le temps. Vous croyez que votre travail est de sauver des vies. Le mien est de prendre des décisions. La différence est que j'assume les miennes. Vous, vous vous cachez derrière le serment d'Hippocrate.
— Je ne me cache pas ! Je respecte une loi supérieure.
— La mienne est plus simple : la survie. La mienne et celle de mon organisation. Il referme le livre. Pourquoi avez-vous frappé mon homme à l'hôpital ? Celui qui est venu vous chercher ici.
La question me prend encore de court. Parce qu'il me touchait. Parce qu'il m'a kidnappée.
— Non. C'était avant cela. À l'hôpital. Vous lui avez marché sur le pied. Vous l'avez griffé. Pourquoi ?
— Parce que… parce que je me battais.
— Vous vous battiez pour une vie qui était déjà perdue. Un homme que vous ne connaissiez pas. Pour un principe. Il se lève et marche vers moi. N'est-ce pas là la définition de la folie ? Se battre pour une cause perdue ?
— C'est la définition du courage ! Je m'enflamme, malgré moi. Je déteste qu'il me pousse à me justifier.
— Le courage… Il est maintenant devant moi. Ou l'arrogance ? L'arrogance de croire que vos principes valent plus que la réalité du monde. Que votre lumière peut éclairer toutes les ombres.
Son regard est intense, cherchant des failles.
— Et vous ? je lance, décidée à contre-attaquer. Pourquoi le cartel ? Pourquoi la violence ? L'argent ? Le pouvoir ?
Un sourire cynique étire ses lèvres. — Enfin, vous vous intéressez à moi. L'argent est un outil. Le pouvoir est un moyen. La violence… est un langage que le monde comprend.
— Ce n'est pas une réponse.
— Très bien. Une autre question alors. Il croise les bras. Vous avez grandi où ? Une banlieue sûre ? Une bonne famille ? Vous avez dû travailler dur, certes. Mais vous avez eu des choix. Votre plus grand dilemme était probablement de choisir entre la pédiatrie ou la chirurgie.
Je ne dis rien. Il a raison.
— Moi, mon premier dilemme, à huit ans, était de savoir si je volais le pain pour que ma sœur ne meure pas de faim, ou si je respectais la loi et la regardais dépérir. La violence n'est pas un choix quand c'est l'oxygène que vous respirez.
— C'est une excuse. Beaucoup de gens naissent dans la pauvreté et ne deviennent pas des monstres.
— "Monstre". Un mot si pratique pour ceux qui vivent dans la lumière. Cela vous permet de ne pas avoir à comprendre l'ombre. Son regard s'assombrit. Vous voulez savoir pourquoi je vous ai prise, vous ? Parce que vous incarnez tout ce monde qui juge sans comprendre. Cette lumière arrogante. Et je veux voir si elle peut survivre dans l'ombre. Si elle peut être… modifiée.
— Vous voulez me corrompre.
— Je veux vous révéler à vous-même. Sa voix baisse, devenant presque confidentielle. Vous pensez être la gentille doctoresse. Mais je vois la fureur en vous. La volonté de vous battre, de faire mal. Je l'ai vue dans vos yeux quand vous avez giflé ma main. Cette partie de vous qui n'est pas si différente de moi.
— Je ne vous ressemble en rien !
— Non ? Il avance d'un pas, réduisant la distance à rien. Lorsque vous étiez dans cette salle de torture, quelle a été votre première pensée ? Sauver cet homme ? Ou vous sauver vous-même de la souillure de participer à son agonie ? Était-ce de la compassion… ou de la lâcheté ?
Ses mots me transpercent comme des lames. Ils touchent la blessure que je garde secrète, la honte que j'essaie d'étouffer. J'avais peur pour lui, oui. Mais j'avais encore plus peur pour mon âme.
— Taisez-vous.
— Lorsque j'ai touché votre peau dans le bain, votre corps a répondu. Il a trahi votre haine. Était-ce de la violation… ou une découverte ?
— Je vous hais.
— Vous avez déjà dit cela. Il pose une main sur le mur, à côté de ma tête, m'emprisonnant sans me toucher. Mais vous ne répondez jamais à mes questions. Vous vous cachez derrière des slogans. "Je suis médecin." "Je vous hais." Qui êtes-vous vraiment, Alyssa Bennett, quand on retire le stéthoscope et les principes ?
Je halète, son souffle sur mon visage. Je suis coincée, non pas physiquement, mais intellectuellement. Il démonte pièce par pièce l'armure de mon identité.
— Qui êtes-vous, Silas Cruz, quand on retire les armes et la peur que vous inspirez ? je contre-attaque, la voix tremblante.
Pour la première fois, je vois une lueur de surprise dans son regard. Puis, elle se dissipe, remplacée par une curiosité plus intense.
— Un homme qui voit le monde tel qu'il est. Pas tel qu'il devrait être. Un homme qui veut quelque chose et qui a le pouvoir de le prendre.
— Et vous voulez quoi ? Vraiment ?
Son regard se pose sur mes lèvres, puis remonte vers mes yeux.
— Je vous l'ai déjà dit. Votre soumission. Votre lumière. Je veux vous posséder, Alyssa. Pas seulement votre corps. Chaque pensée. Chaque frisson. Chaque étincelle de révolte. Je veux tout capturer, jusqu'à ce que vous ne sachiez plus où vous terminez et où je commence.
L'aveu est terrifiant dans son absolu. Ce n'est pas de la luxure. C'est de l'obsession. De la dévoration.
— Vous échouerez.
— C'est possible, admet-il, ce qui me surprend à nouveau. Mais le plaisir est dans la tentative. Chaque question que vous évitez, chaque frisson que vous niez, est une victoire pour moi. Parce que cela signifie que je touche à la vérité.
Il se redresse, brisant le sortilège.
— Nous reprendrons cette conversation. Nous avons tout le temps.
Il sort, me laissant seule avec l'écho de ses questions et des miennes.
Qui suis-je sans mon titre ? Ma colère est-elle du courage ou de l'arrogance ? Ma peur dans la salle de torture était-elle de la compassion ou de la lâcheté ?
Il ne m'a pas touchée. Il n'a pas crié.
Mais je me sens plus nue, plus violée et plus confuse que jamais. Il ne se bat pas pour mes réponses. Il se bat pour les questions. Et il est en train de gagner.
AlyssaLe jour se lève, froid et gris, et avec lui, une résolution nouvelle.Il m’a vue trembler.Il m’a entendue avouer. Il croit m’avoir conquise, ou du moins, m’avoir poussée au bord de l’abîme où il réside.Il se trompe.La vérité est plus simple, et plus compliquée à la fois : je lui appartiens déjà, et il m’appartient déjà. Ce désir qui m’a arraché les mots de la gorge n’est pas un drapeau blanc. C’est une arme.La sienne.La mienne.Et je ne sais pas encore qui va s’en servir en premier.Je me lève. Mon reflet dans le miroir de l’armoire me surprend. Les yeux cernés, mais secs. La bouche, une ligne mince et pâle. Je ressemble à une survivante, oui. Mais pas à une victime.Pas aujourd’hui.Je m’habille avec soin. Une robe sobre, fermée jusqu’au cou. Je coiffe mes cheveux en un chignon sévère qui tire sur mes tempes. Je veux être une forteresse. Une façade de marbre.À l’intérieur,le chaos. La peur, l’excitation, la honte, la terrible, merveilleuse attente.Je l’écrase.Je l’enter
SilasLa pierre du balcon est froide sous mes paumes nues. La nuit est un animal vivant, palpitant des cris de la jungle, chargée de l’humidité lourde qui précède l’aube. Je devrais dormir. Le corps réclame le repos après les jours de vigilance, de violence, de calculs. Mais le repos est un concept étranger. Il l’a toujours été. Ce qui coule dans mes veines, c’est une énergie plus ancienne, plus tenace que la fatigue. Une faim.Et elle a un nom, maintenant. Un visage.Alyssa.Je revois ses yeux dans la cour, après le festin des corbeaux. Cette glaciation. Ce moment où la lutte a cessé, où la vérité a accepté de se montrer, nue et impitoyable. Ce n’était pas une soumission. C’était une révélation. Une reconnaissance mutuelle, comme deux prédateurs se flairant à la lisière du même territoire et comprenant qu’ils sont de la même meute.Mon sourire, dans le noir, est quelque chose de carnassier. Mes canines appuient contre ma lèvre inférieure. Je le sens, ce sourire, il déforme mon visage
AlyssaL’eau est brûlante.Elle frappe ma peau comme une pluie de fines aiguilles,rougeoie mes épaules, mon dos, la courbe de mes seins. Je la laisse couler, aussi immobile qu’un pilier sous une cascade. La vapeur envahit la salle de bain en marbre froid, créant un brouillard qui efface les angles, les miroirs, les limites. Je cherche à me brûler. À brûler la sensation de ses mains, de ses lèvres. À lessiver la terreur et l’exaltation qui se sont nouées en un seul nœud dans mon ventre.Mais l’eau ne lave rien. Elle ne fait que ramollir, pénétrer. Elle ouvre les pores, elle permet à tout de s’enfoncer plus profondément.Mes pensées, enfin libérées de l’immédiateté de sa présence, se précipitent vers le monde d’avant. Ce monde qui me semble être celui d’une autre, une femme naïve dont je me souviens avec une pitié méprisante.Chloé.Le nom émerge du brouillard, accompagné d’une douleur vive et nette. Ma meilleure amie. Ses rires trop forts, ses conseils maladroits et pleins d’amour, son
AlyssaLe mot résonne encore dans mes os, une vibration sourde qui remplace le battement de mon cœur.Oui.Il n’y a pas de catharsis après un tel aveu. Pas de libération, pas de vague de honte purificatrice. Il n’y a qu’un silence immense et froid, plus profond que le gel qui m’avait tenue debout devant les charognards. C’est le silence d’un paysage après l’explosion. Le monde est toujours là, mais il est méconnaissable, et tout ce qui reste à faire est de marcher dans les décombres.Je monte l’escalier du manoir, mes pas sur les marches de bois sombre sont les seuls sons dans le grand hall vide. Les portraits des ancêtres de Silas, des hommes et des femmes aux yeux aussi impitoyables que les siens, semblent me suivre du regard. Avant, leur présence m’oppressait. Maintenant, je leur soutiens le regard. Je comprends leur langage. C’est celui du territoire conquis et gardé, par n’importe quel moyen nécessaire.Ma chambre est une pièce étrangère. Le lit à baldaquin, la commode en acajou,
AlyssaLe retour vers le manoir est un voyage silencieux à travers une nuit devenue miroir.Le calme qui s’est installé en moi n’est pas un apaisement.C’est une glaciation. Les sentiments violents ont été capturés, emprisonnés sous une couche de cristal transparent et froid. Je vois tout à travers elle, déformé, magnifié, insensible.Le cheval avance d’un pas régulier sous moi. Je n’ai plus à lutter. Il sent la reddition dans mon corps, la fin des secousses. Silas ne dit rien. Il chevauche à côté, une présence massive et consciente. Il a gagné. Il le sait. Je le sais. Cette connaissance flotte entre nous, tangible comme l’odeur persistante de cendres et de terre humide.Les lumières du manoir apparaissent, trouées dans la masse sombre de la jungle. Un faux refuge. Ma prison. Mon berceau.Dans la cour, des hommes s’affairent en silence. Ils s’arrêtent pour observer notre retour. Leurs regards glissent sur Silas avec un respect craintif, puis sur moi. Avant, je lisais de la pitié, de la
AlyssaLa journée est un long suaire gris tendu sur le domaine.Les cendres des bûchers sont froides, mais leur odeur persiste, un relent sucré et écœurant qui s’insinue partout, même derrière les portes closes, même sous l’odeur agressive des désinfectants. C’est l’haleine du manoir, maintenant. Une haleine de victoire et de mort.Je me terre dans la bibliothèque, un livre médical ouvert sur les genoux, mais les mots dansent devant mes yeux sans prendre sens. Mon esprit, lui, est d’une clarté terrifiante. Il rejoue en boucle les images de la nuit : les lueurs des explosions, le calme de Silas, le regard du jeune homme mort.« Tu ne peux pas jouer à la déesse de la vie le matin et à la déesse de la mort le soir. »Les mots de Silas sont des vers qui rongent mon crâne. Il a ouvert une porte en moi, une porte que je croyais condamnée, et derrière, il a trouvé non pas la peur, mais une créature sombre et affamée qui lui ressemble. Et cette créature, je ne sais plus comment la refermer.L







