Chapitre 7 : Les Crocs de l’Ombre

La forêt vibrait d’une tension sourde.

Le lendemain de la tentative de profanation du cercle sacré, les sentinelles étaient en alerte. La meute, d’ordinaire bruyante et agitée, semblait marcher sur des œufs. Les regards s’échangeaient plus prudemment, les chuchotements étaient devenus la norme. Un ennemi invisible rôdait. Et Thorne ne dormait plus.

Isalys, elle, se réveillait chaque matin avec des sensations étrangères : des visions brèves, des éclairs de souvenirs qui n’étaient pas les siens. Parfois, elle entendait des voix chuchoter son nom, d’autres fois elle sentait la morsure du froid alors qu’elle était au chaud. Elle avait parlé de tout cela à Vaena.

— C’est le lien, avait-elle expliqué. Thorne ne te cache rien, même sans le vouloir. Et la meute te parle. Ceux qui t’acceptent… te laissent entrer dans leur esprit.

— Et ceux qui ne m’acceptent pas ?

Vaena avait baissé les yeux.

— Ils t’excluent. Ou t’effraient. Parfois, ils essaient de te briser.

⸻

Un conseil d’urgence fut convoqué au crépuscule. Cette fois, les anciens étaient présents, ainsi que les trois Bêtas : Vaena, Orrik — un colosse taciturne —, et Lira — fine et vive, avec un regard de louve rusée.

Thorne trônait au centre, Isalys à sa droite. Ce simple positionnement en disait long. Elle était désormais son égale. Aux yeux de la tradition, elle n’avait pas voix au chapitre… mais son lien avec l’Alpha la plaçait au cœur des décisions.

— Qui que soit l’auteur de l’attaque, il ou elle connaît nos rituels, dit Thorne d’une voix sombre. Ce n’est pas un humain. C’est l’un des nôtres.

Un silence pesant suivit.

— Ou quelqu’un qui fut des nôtres, murmura Lira.

Orrik grogna.

— Tu penses à Raven.

Ce nom coula dans la pièce comme une lame de glace. Même Thorne se crispa.

— Raven est morte, dit-il.

— Disparue, rectifia Lira. Tu ne l’as jamais retrouvée.

Isalys sentit l’énergie de Thorne changer. Son lien lui transmettait de la colère… et de la culpabilité. Elle s’immisça doucement dans son esprit. Des images apparurent. Une femme aux yeux d’argent, un rire de louve, puis une trahison. Un combat. Du sang.

Et le vide.

Elle ne posa pas de questions. Elle n’en avait pas besoin : Thorne avait aimé cette femme autrefois. Et elle l’avait trahi.

— Si elle revient… ce ne sera pas pour la paix, murmura Isalys.

Tous la regardèrent. La tension grimpa d’un cran.

— Tu as vu quelque chose ? demanda Vaena.

— Non… pas encore. Mais je sens… quelque chose qui remue dans l’ombre. Quelque chose de… brisé. Et de très, très dangereux.

⸻

Ce soir-là, Isalys retourna dans la cabane qu’on lui avait attribuée, près du cœur du village. Elle n’avait pas encore dormi auprès de Thorne. Leur lien était scellé, mais la fusion physique, celle que le rituel attendait pour être complet, n’avait pas encore eu lieu.

Et pourtant… cette nuit, elle sentit sa présence avant même qu’il n’entre.

Thorne franchit la porte sans un mot. Sa silhouette massive occupait l’espace. Mais son regard était incertain.

— Tu m’as appelé, dit-il.

Elle fronça les sourcils.

— Non.

— Dans ma tête… tu m’as appelé par mon vrai nom.

Elle se figea.

— Quel nom ?

— Eldric.

Ce nom vibra dans l’air, ancien, oublié.

— C’est ton nom… d’avant ?

— Mon nom d’enfant. Seuls les miens le connaissaient. Et… elle.

Isalys comprit. Raven.

Le lien les liait si profondément qu’elle avait accédé à un souvenir qu’il n’avait jamais partagé, même pas consciemment. Elle en fut bouleversée.

— Je suis désolée.

Il secoua la tête.

— Ce n’est pas ta faute. Ce lien… il va au-delà du corps. Tu fais partie de moi, même dans ce que je ne comprends pas.

Il s’approcha. Lentement. Et cette fois, ce ne fut pas une menace, ni un ordre. C’était une offrande.

— Je n’ai jamais demandé ce lien, Isalys. Mais maintenant… je ne peux plus m’en passer.

Elle s’avança à son tour, leurs souffles se mêlèrent. Sa main se posa sur son torse, là où son cœur battait.

— Et moi… je ne veux plus être sans toi.

Leurs lèvres se frôlèrent. L’électricité entre eux était palpable. La Lune se leva à ce moment-là, pleine et blanche, inondant la pièce d’une lumière pure.

Et dans cette lumière, deux âmes blessées commencèrent à se recoudre.

⸻