로그인Eléni
La robe rouge est une seconde peau, une armure de soie qui moulre chaque courbe que je préférerais cacher. Elle est d'une beauté obscène. Daphné a insisté pour m'aider à la mettre, ses doigts froids et efficaces contre mon dos nu. Maintenant, je me tiens devant le miroir de la suite, et une étrangère me regarde. Une prisonnière parée pour le sacrifice.
Huit heures sonnent, un carillon discret et lointain qui semble glacer l'air. Je descends l'escalier en colimaçon, ma main tremblante sur la rampe de marbre froid. Chaque pas est un effort. Chaque battement de cœur résonne comme un tambour de guerre dans ma poitrine.
La salle à manger est un temple moderne. Une table en ébène, si longue qu'elle semble s'étirer jusqu'à l'infini, est dressée avec une précision chirurgicale. Des couverts en argent, des cristaux qui captent la lumière des bougies. Et au bout, lui.
Léandros est assis, décontracté, un verre de whisky à la main. Il ne porte pas de veste, sa chemise blanche est ouverte au col, révélant la base de son cou. Il a l'air à la fois détendu et infiniment dangereux, un prédateur dans son antre.
Son regard se lève et se pose sur moi alors que j'avance. Je sens son examen comme un contact physique, brûlant, possessif. Il ne dit rien pendant un long moment, se contentant de me dévisager, de la chevelure que Daphné a coiffée jusqu'aux talons hauts qui me font mal.
— Le rouge te va, finit-il par dire, sa voix un ronronnement bas qui traverse la pièce. Il convient au sang qui va être versé.
Je m'immobilise, le souffle coupé.
—Quoi ?
Un sourire froid joue sur ses lèvres.
—Pas le tien. Pas ce soir. Assieds-toi, Eléni.
Je prends la place qu'il m'indique, directement en face de lui. La distance entre nous est un abîme. Un serveur silencieux apparaît, remplit mon verre de vin rouge, du même rouge que ma robe. Il a le goût du fruit et de la cendre.
— Ton frère a appelé aujourd'hui, dit Léandros comme s'il commentait la météo.
La fourchette que je venais de saisir glisse de mes doigts avec un bruit métallique.
—Quoi ? Tu lui as parlé ?
— Non. Il a appelé le restaurant. Daphné a répondu. Elle lui a dit que tu étais en stage, comme convenu. Il avait l'air… soulagé.
Le soulagement que je ressens est immédiat, puis aussitôt empoisonné. Il contrôle déjà les communications. Il isole. Il est en train de couper un à un les fils qui me relient au monde.
— Il ne faut pas lui dire, je murmure, la voix étranglée. S'il savait…
— S'il savait, il ferait une bêtise. Et je serais forcé de tenir ma promesse. Nous ne voulons pas cela, n'est-ce pas ?
Son regard est un piège. Je ne peux pas détourner les yeux.
— Non.
Le dîner est servi. Des mets raffinés, une cuisine moléculaire qui est l'exact opposé des plats généreux et rustiques de mon père. Chaque bouchée a le goût du néant. Je mange par automatisme, sous son regard constant, pesant.
— Tu me hais, constate-t-il soudain, posant son verre.
La question est une gifle.
—Tu as acheté mon corps avec des menaces de mort. Que penses-tu que je ressente ?
— La haine est bonne. C'est un feu. C'est mieux que l'indifférence. On peut façonner la haine. La plier. En faire… autre chose.
Il se lève alors, lentement, et commence à faire le tour de la table. Mon corps se tend, chaque muscle criant de s'enfuir. Je reste assise, clouée sur place.
Il s'arrête derrière ma chaise. Je sens sa chaleur dans mon dos. Son parfum m'enveloppe. Je ferme les yeux, essayant de me bâtir un mur, de me retrancher loin de lui.
Ses mains se posent sur mes épaules nues.
Un choc. Un mélange de révulsion et d'une sensation électrique, interdite, qui parcourt ma peau. Ses doigts sont fermes, étonnamment chauds. Ils se ferment sur mes épaules, pas assez pour faire mal, mais assez pour me rappeler que je ne peux pas bouger. Que je lui appartient.
— Tu es tendue, murmure-t-il, sa bouche si près de mon oreille que son souffle agite mes cheveux. Tu résistes même quand tu es immobile. C'est ce que j'aime chez toi.
— Lâche-moi.
Ma voix est un filet rauque.
Ses doigts se resserrent d'un degré. Une menace voilée.
—Non.
Une de ses mains se déplace, glisse le long de mon bras nu, lentement, jusqu'à mon poignet. Il le soulève, le posant sur la table, à côté de mon assiette. Sa main recouvre la mienne, l'écrasant de son poids. C'est une prise d'otage. Une marque de propriété.
— Tu vois ? chuchote-t-il. Même ta main dans la mienne est une bataille. Elle veut se retirer. Elle me déteste. Mais elle reste. Parce qu'elle n'a pas le choix. Apprends à aimer ce manque de choix, Eléni. Cela rend tout… plus simple.
Je serre les mâchoires, les larmes me brûlant les paupières. Je refuse de pleurer. Je refuse de lui donner ça.
— Je ne t'appartiendrai jamais. Pas vraiment.
Il rit, un son bas et vibrant qui résonne dans mes os.
—Tu te trompes. Chaque minute que tu passes ici, chaque respiration que tu prends dans mon air, chaque battement de ton cœur sous mon toit… tu m'appartiens un peu plus. Bientôt, tu ne te souviendras même plus de ce que ça faisait d'être libre.
Sa main lâche enfin la mienne, laissant une sensation de brûlure. Il se penche une dernière fois, ses lèvres effleurant mon épaule, à la naissance du cou. Un baiser de vampire. Une marque.
— La nuit va être longue, Eléni. Et je suis un homme très patient.
Il se redresse et retourne à sa place, reprenant son verre de whisky comme si de rien n'était. Comme s'il ne venait pas de déclarer une guerre silencieuse pour mon âme.
Je reste assise, tremblante, la marque de ses lèvres sur ma peau comme une brand. Je regarde la mer, si noire au-dehors. Elle n'est plus un symbole de liberté. Elle est l'immensité sombre dans laquelle je viens de tomber.
Et au fond de la peur et de la haine, une vérité terrible germe : la partie la plus effrayante n'est pas sa cruauté.
C'est l'étincelle de feu qu'il a allumée en moi, et la crainte tordue de ce qui pourrait arriver si je me laissais consumer.
EléniUne semaine s'est écoulée. Une semaine de silence tendu, de regards lourds de sens, de nuits agitées où je revois les flammes des braseros danser dans ses yeux. Il a respecté sa parole : il ne m'a pas touchée. C'est une torture bien plus raffinée.Ce matin, il a annoncé que nous sortions. Une bouffée d'espoir insensée m'a envahie. Voir autre chose que ces murs, ces visages de domestiques impassibles.L'espoir a été de courte durée.La voiture nous a conduits non pas dans les rues animées d'Athènes, mais sur l'Acropole, après les heures d'ouverture au public. Les touristes étaient partis. Seul le vent murmurait entre les colonnes brisées.Nous sommes seuls, au sommet du monde, devant le Parthénon. La pierre ancienne, baignée par la lumière dorée du crépuscule, est d'une beauté à vous couper le souffle. C'est le cœur battant de ma Grèce. Et il me l'offre en cage privée.— Ils construisaient pour les dieux, dit Léandros, debout à mes côtés, les mains dans les poches de son manteau.
EléniLa terrasse est baignée d'une lumière lunaire qui argenté la mer. Des braseros flambent à intervalles réguliers, projetant des ombres dansantes sur le marbre. Leur chaleur est une illusion, elle ne pénètre pas le froid qui s'est installé en moi.Léandros m'a fait porter une robe noire, longue, fendue sur le côté. Un tissu fluide qui épouse mes formes comme une main possessive. Un collier de diamants, froid et lourd, entoure mon cou. Son collier. Je me sens parée pour un autel.Il est déjà là, debout près de la balustrade, un verre à la main. Il se retourne à mon approche. Ses yeux, dans la pénombre, sont deux braises ardentes.— Tu es magnifique, dit-il simplement.Les mots ne sont pas un compliment. C'est une constatation. Comme on admire un tableau que l'on vient d'acheter.Je m'assois sans un mot. Le dîner est servi, un festin silencieux. Le vin est un rouge profond, presque noir. Je bois une gorgée, puis une autre, cherchant son feu liquide pour réchauffer ma froideur intéri
EléniLes jours se sont fondus en une seule, longue et étouffante éternité. La villa est ma géhenne dorée. Chaque pièce parfaite, chaque vue imprenable, est un rappel de mon emprisonnement. Je suis un oiseau dans une volière de verre et de marbre, et Léandros est le faucon qui tournoie inlassablement au-dessus de moi.Il n’a pas tenté de me toucher à nouveau depuis ce dîner. Non, sa méthode est plus insidieuse. C’est une guerre d’usure.Il exige ma présence à chaque repas. Il me questionne sur mon enfance, sur mon père, sur les recettes du Kyrios. Il veut s’immiscer dans mes souvenirs, les souiller de sa présence. Je réponds par des monosyllabes, gardant mes trésors cachés. Mais il est patient. Il creuse.Ce matin, je me suis réfugiée dans la bibliothèque, une pièce immense aux étagères montant jusqu’au plafond, remplie de livres rares qui sentent le vieux papier et le savoir. Un semblant de paix. J’ai pris un livre de poésie grecque ancienne, cherchant une échappatoire dans les mots
EléniLa robe rouge est une seconde peau, une armure de soie qui moulre chaque courbe que je préférerais cacher. Elle est d'une beauté obscène. Daphné a insisté pour m'aider à la mettre, ses doigts froids et efficaces contre mon dos nu. Maintenant, je me tiens devant le miroir de la suite, et une étrangère me regarde. Une prisonnière parée pour le sacrifice.Huit heures sonnent, un carillon discret et lointain qui semble glacer l'air. Je descends l'escalier en colimaçon, ma main tremblante sur la rampe de marbre froid. Chaque pas est un effort. Chaque battement de cœur résonne comme un tambour de guerre dans ma poitrine.La salle à manger est un temple moderne. Une table en ébène, si longue qu'elle semble s'étirer jusqu'à l'infini, est dressée avec une précision chirurgicale. Des couverts en argent, des cristaux qui captent la lumière des bougies. Et au bout, lui.Léandros est assis, décontracté, un verre de whisky à la main. Il ne porte pas de veste, sa chemise blanche est ouverte au
EléniNeuf heures sept. Mes doigts serrent la poignée de mon sac de voyage, si fort que mes jointures blanchissent. J'ai dit à ma mère que je partais pour un stage de cuisine en Italie. Un mensonge qui m'a brûlé la langue. J'ai embrassé Nikos, pâle et silencieux, en lui murmurant que tout irait bien. Un autre mensonge.Une berline noire et luisante, discrète et sinistre, est garée en face du Kyrios. L'un des hommes de la veille, impassible, me fait signe d'entrer. Je jette un dernier regard au restaurant, à la lumière du matin qui caresse les murs de pierre. Mon cœur se brise en mille morceaux.Le trajet est un silence oppressant. Nous quittons le dédale familier de Plaka, gravissons les collines jusqu'à la Riviera. Les maisons deviennent des villas, puis des forteresses. La voiture s'engage entre de hauts murs, passe une grille qui se referme dans un grincement métallique. Un bruit de prison.Et puis, la maison apparaît.Ce n'est pas une maison. C'est un manifeste de puissance. Un pa
EléniLe goût du sel et de l’huile d’olive est encore sur mes lèvres. Dans la cuisine du Kyrios, l’air est chaud, familier, bercé par le murmure des clients et le crépitement de la friture. C’est l’âme de mon père, ici. C’est tout ce qu’il me reste.Et c’est à ce moment précis que la porte s’ouvre, balayant d’un coup la chaleur et les sourires.Ils ne sont pas entrés en criant. Leur silence était bien plus terrifiant. Deux hommes, larges comme des portes, vêtus de costumes sombres qui ne dissimulaient pas la menace qui émanait d’eux. Ils se sont écartés, et lui est entré.Léandros Markos.Je n’avais jamais vu qu’une photo de lui, dans la presse économique. En personne, c’était une onde de choc. Grand, taillé dans le marbre et l’arrogance. Son regard, de ce gris orageux de la mer Égée avant la tempête, a balayé la salle avant de se poser sur moi. Il a traversé le restaurant comme une lame, indifférent au silence soudain qui s’était abattu.— Eléni Petrakis.Ma voix s’est coincée dans m