Home / Mafia / LES FILLES DE LA TAMISE / CHAPITRE 5 : LA DANSE DES SCORPIONS

Share

CHAPITRE 5 : LA DANSE DES SCORPIONS

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-12-02 20:57:55

Jade

Le studio sentait la sueur, le vernis à ongles et l'adrénaline. C'était le casting pour la campagne la plus convoitée de l'année : "Nyx", une marque de luxe au parfum d'ombre et de rébellion contrôlée. Une dizaine de filles, les meilleures de l'agence, se tenaient dans la pénombre, des guépards aux aguets dans leur tenue noire uniforme. Raven et moi étions parmi elles. Deux silhouettes complémentaires dans la pénombre. Moi, avec mes os saillants et ma pâleur de spectre, elle avec ses muscles tendus et son regard de braise.

Leo et Silas Krayton étaient là, bien sûr. Assis à l'écart dans des fauteuils en cuir, ils observaient le défilé silencieux avec la décontraction des propriétaires d'un champ de courses. Leur présence était un rappel constant : ce casting n'était pas qu'une question de talent. C'était un test. Le premier depuis notre "partenariat".

— Numéro 34. Jade.

Ma gorge se serra. Je jetai un regard à Raven. Ses yeux noirs croisèrent les miens, un bref signe de tête, presque imperceptible. "Rappelle-toi. Tu n'es pas une feuille. Tu es la lame."

Je marchai jusqu'au centre de la pièce, sous la lumière crue. La consigne était simple : incarner "l'ombre séduisante". Je fermai les yeux une seconde, laissant monter en moi non pas la peur, mais le mépris. Le mépris que je ressentais pour l'homme qui m'observait du bord de la piste. Le mépris pour les mains qui avaient voulu me modeler, me briser.

Quand je rouvris les yeux, je regardai droit dans l'objectif, et à travers lui, vers Leo. Je laissai un sourire lent, non pas de séduction, mais de défi, effleurer mes lèvres. Puis, d'un mouvement d'une lenteur calculée, je tournai le dos à l'assistance. Mon cœur battait la chamade, mais mes mains étaient stables. Je saisis l'ourlet de mon haut et, dans un geste d'une audace glaçante, je le fis glisser sur mes épaules, dénudant mon dos, une arche pâle et fragile, parcourue des ombres de mes vertèbres.

Un silence de mort tomba sur le studio. Ce n'était pas dans le script. C'était un acte de rébellion pure. Je restai ainsi, offerte et inaccessible, le dos tourné à leurs convoitises, ma vulnérabilité transformée en forteresse. J'entendis le déclic frénétique de l'appareil photo. Puis, je rajustai mon vêtement avec la même lenteur, et me retournai. Mon regard croisa celui de Leo. Ses yeux n'exprimaient plus l'ennui, mais une intense curiosité, teintée d'une colère froide. J'avais franchi une ligne. Et je l'avais fait en souriant.

Je regagnai ma place, les jambes tremblantes, mais l'âme en feu. Raven me frôla l'épaule en passant.

— Numéro 35. Raven.

Elle ne marcha pas, elle avança, comme un fauve prenant possession de son territoire. La lumière sembla durcir encore ses angles. Elle s'arrêta au centre, ignora l'objectif, et fixa Silas. Son sourire à elle était un rictus, une promesse de violence.

L'ombre séduisante ? Elle incarna l'ombre meurtrière.

Sans un mot, elle porta une main à sa gorge, comme pour en chasser une étreinte. Son autre main se referma en poing. Elle mit en scène un combat invisible, un ballet de rage et de survie. Ses mouvements étaient saccadés, anguleux, magnifiquement laids. Elle haletait, un son rauque et primal qui glaçait le sang. Ce n'était plus du mannequinat. C'était une confession, une accusation. Elle montrait la cicatrice que nous portions toutes les deux, non pas pour apitoyer, mais pour menacer. Regardez jusqu'où on peut aller. Regardez de quelle violence on est capables.

Quand elle s'immobilisa, le souffle court, le silence était assourdissant. Même le photographe semblait pétrifié. Le regard de Silas Krayton était rivé sur elle, intense, fasciné. On aurait dit un homme venant de trouver le spécimen rare qu'il cherchait depuis toujours.

Les résultats tombèrent une heure plus tard, dans le bureau du directeur de casting. L'air était épais de tension.

— Une décision difficile, commença-t-il, nerveux. Mais la marque a été séduite par… l'alchimie particulière entre vos deux profils. Jade, Raven… la campagne "Nyx" est pour vous. Les deux.

La victoire. Acide. Nous nous étions vendues à l'ennemi pour gagner. Nous avions utilisé notre douleur comme monnaie d'échange.

La célébration fut brève. Alors que nous quittions le studio, Silas nous intercepta dans le couloir désert. Il s'approcha de Raven, trop près, dans son espace personnel.

— Une performance… animale, dit-il, sa voix basse et rauque. J'ai hâte de voir jusqu'où cette sauvagerie peut aller.

Avant que quiconque puisse réagir, sa main se referma brutalement autour de la mâchoire de Raven, la forçant à le regarder. Un geste de domination pure.

Le temps sembla se figer.

Je vis les yeux de Raven se vriller de fureur. Mais elle ne se débattit pas. Elle devint parfaitement immobile, son corps une statue de haine.

— Lâche-la, dis-je, ma propre voix surprenamment calme.

Silas ignora ma présence, son regard planté dans celui de Raven.

— Tu crois être dure, petite ? Chuchota-t-il. Tu ne sais pas ce que c'est que la vraie dureté. Mais je vais te l'apprendre.

La main de Raven bougea si vite que je la vis à peine. Elle n'essaya pas de repousser la sienne. Ses doigts, fins et forts, se refermèrent comme un étau sur le poignet de Silas, ses ongles s'enfonçant dans sa chair. Pas pour le libérer. Pour marquer.

— Touche-moi encore, gronda-t-elle, et je te promets que la prochaine fois, ce ne seront pas mes ongles. Ce sera un couteau. Et je ne viserai pas le poignet.

Son regard était meurtrier. Pour la première fois, je vis une lueur d'incertitude, puis de rage froide, dans les yeux de Silas. Il relâcha sa prise, lentement. La marque blanche de ses doigts était imprimée sur la peau de Raven, mais sur son propre poignet, quatre petites demi-lunes rouges saignaient.

— Tu vas le regretter, salope, cracha-t-il.

— J'ai des regrets, rétorqua Raven en essuyant sa mâchoire avec le dos de sa main. Mais toi, tu n'en seras pas un.

Il partit, laissant derrière lui un silence lourd de promesses de vengeance.

Nous restâmes là, haletantes, le goût de la victoire mêlé à celui du métal et de la peur.

— Il va nous briser, chuchotai-je, la vision de la main de Silas sur son visage brûlante dans ma rétine.

— Il peut essayer, répondit Raven, son regard suivant la silhouette disparaissant de Silas. Mais on n'est plus seules. Et on vient de leur montrer qu'on mord.

La danse avait commencé. Une danse de scorpions, où chaque pas était calculé pour éviter le dard de l'autre. Nous avions remporté la campagne. Mais nous venions de déclarer une guerre bien plus personnelle, bien plus dangereuse. Et nous savions toutes les deux que Silas Krayton n'oublierait ni l'affront, ni la menace. La prochaine fois, il ne se contenterait pas de menacer. Il frapperait. Et nous devrions être prêtes.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 10 : L'APPEL DU PRÉCIPICE

    LeoJe regarde les photographies étalées sur mon bureau, et je ne peux détacher mon regard de celle de Jade. Elle est vêtue d'une robe blanche, presque vaporeuse, qui la fait ressembler à un ange tombé du ciel. Mais ses yeux... Ses yeux verts immenses ne supplient pas. Ils défient. Ils promettent une tempête sous cette surface calme. Une rage si pure qu'elle en devient magnétique.Je passe un doigt sur l'image, comme si je pouvais sentir la chaleur de sa peau à travers le papier glacé. Cette fragilité n'est pas de la faiblesse. C'est une arme. Et je suis le seul à pouvoir en apprécier la finesse, la complexité. Silas peut garder sa panthère sauvage. Moi, je veux l'ange guerrier. Celui dont la chute sera mon plus grand chef-d'œuvre.JadeLa réunion dans le bureau de Leo est un exercice de torture raffinée. Je sens son regard sur moi, constant, lourd. Ce n'est plus l'évaluation froide du businessman. C'est autre chose. Plus personnel. Plus dangereux.Quand nos yeux se croisent, un friss

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 9 : LA PEINTURE AVEC DU SANGLANCÉ

    RavenLe studio est un cercle de l'enfer réservé aux vanités. Un espace blanc, immense, inondé d'une lumière crue qui ne pardonne rien. Au centre, un fond de velours noir, un abîme destiné à absorber notre lumière, nos ombres, notre âme. C'est ici que nous allons nous vendre une fois de plus. Mais cette fois, ce sera différent.Je porte une robe de soie noire, fluide, qui colle à mes formes comme une seconde peau. Mes cheveux, d'un noir d'encre, sont libres, une cascade sauvage autour de mon visage. Giovanni, le photographe, tourne autour de moi comme un vautour nerveux. Il sent la tension. Il sait que cette séance n'a rien d'ordinaire.— Raven, ma chère, on va commencer doucement. Juste toi et la lumière. Montre-moi cette force sauvage. Cette… colère rentrée.Je l'ignore. Mon regard est fixé sur l'entrée. J'attends. Je l'attends.Quand Silas Krayton fait son entrée, l'air change. Il porte un costume trois pièces gris anthracite, d'une coupe parfaite qui souligne sa carrure de prédate

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 8 : LE PIÈGE DE VELOURS

    JadeL'invitation arrive dans une enveloppe de soie, lourde et cérémonieuse. Elle est déposée sur la table en verre de notre loft par un coursier silencieux qui disparaît avant même que nous n'ayons pu prononcer un mot. Raven la déchire, ses doigts fins et pâles contrastant avec le papier épais.— Un dîner. Chez eux. À Chelsea, annonce-t-elle, la voix neutre.Un frisson glacial me parcourt l'échine. Chelsea. Leur antre. Ce n'est pas une invitation, c'est une convocation. Après des semaines de relatif silence, les loups montrent à nouveau les dents.— On n'est pas obligées d'y aller, dis-je, sachant déjà la réponse.Raven lève les yeux, son regard noir est un puits de détermination.— Si. On y va. C'est là que le jeu se joue.La soirée arrive trop vite. La Bentley qui vient nous chercher est un cercueil roulant aux vitres teintées. Le trajet jusqu'à Chelsea se déroule dans un silence de plomb. Je me tiens raide sur la banquette de cuir, ma robe ivoire – un choix délibéré de pureté fact

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 7 : L'OMBRE DU DRAGON

    Leo KraytonLa Bentley glisse dans la nuit londonienne, un poisson noir dans les eaux huileuses de la Tamise. Je regarde défiler les lumières de la ville, mais je ne les vois pas. Je vois leurs visages. Ces deux garces. Ces deux petites putes de luxe qui croient pouvoir jouer dans notre cour.— Elles deviennent ingérables, Silas. La noiraude, surtout.Mon frère, à mes côtés, roule un verre de cognac entre ses doigts. La colère émane de lui comme une chaleur malsaine.— La Raven ? Laisse-la moi. Je la briserai. Je la plierai jusqu’à ce qu’elle me supplie.Sa voix est un grognement. Il n’a pas digéré l’affront de la soirée. Moi non plus. Mais je vois plus loin que sa rage aveugle.— Ce n’est pas le but, frérot. Les briser, c’est gaspiller un investissement. Regarde les chiffres. La campagne « Nyx » a dépassé toutes nos prévisions. Elles valent de l’or. Un or qu’elles nous doivent.Je prends une longue bouffée de mon cigare, la fumée emplissant l’habitacle capitonné.— Le problème, c’est

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 6 : L'ALCHIMIE DU VENIN

    RavenLes semaines suivant le casting de « Nyx » s’étirent, formant un étrange continuum où les frontières entre la performance et la réalité commencent à se brouiller. Nous sommes propulsées, c’est indéniable. Nos visages : son angélisme spectral, mon obscurité sauvage , s’affichent maintenant en double page des magazines. « Les sœurs de l’ombre », « Les visages de la nouvelle rébellion du luxe ». Les mots sont flatteurs, mais ils sentent le mensonge et la récupération. On nous a volé nos cicatrices pour en faire un argument marketing.Les séances pour « Nyx » sont des rituels épuisants, des exorcismes publics orchestrés par Giovanni, le photographe italien aux mains nerveuses et aux yeux trop brillants.— Jade ! Donne-moi cette fragilité qui tue ! Une rose avec des épines de rasoir ! Laisse-les voir la fêlure, cara ! Montre-leur à quel point il est dangereux de te désirer !—Raven ! Je veux voir la bête ! Pas l’apparence, la vraie ! Celle qui a survécu ! Lâche-la ! Crache ton venin

  • LES FILLES DE LA TAMISE    CHAPITRE 5 : LA DANSE DES SCORPIONS

    JadeLe studio sentait la sueur, le vernis à ongles et l'adrénaline. C'était le casting pour la campagne la plus convoitée de l'année : "Nyx", une marque de luxe au parfum d'ombre et de rébellion contrôlée. Une dizaine de filles, les meilleures de l'agence, se tenaient dans la pénombre, des guépards aux aguets dans leur tenue noire uniforme. Raven et moi étions parmi elles. Deux silhouettes complémentaires dans la pénombre. Moi, avec mes os saillants et ma pâleur de spectre, elle avec ses muscles tendus et son regard de braise.Leo et Silas Krayton étaient là, bien sûr. Assis à l'écart dans des fauteuils en cuir, ils observaient le défilé silencieux avec la décontraction des propriétaires d'un champ de courses. Leur présence était un rappel constant : ce casting n'était pas qu'une question de talent. C'était un test. Le premier depuis notre "partenariat".— Numéro 34. Jade.Ma gorge se serra. Je jetai un regard à Raven. Ses yeux noirs croisèrent les miens, un bref signe de tête, presq

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status