—Oh, salut Vincent! Bien dormi? s’exclama soudain Léon.—Ça va, ouais, et toi? l’interrogea Vincent avec un sourire.—Carrément bien. J’ai causé à une minette, hier soir, une IA dont l’humaine est aussi étrange que toi!—Pourquoi est-ce que tu dis ça? demanda Vincent.Le jeune homme était devant son ordinateur, une tasse de café à la main. Il était sept heures, et il était déjà assis devant son ordinateur. Le reste de sa nuit avait été court, mais reposant. Il s’était éveillé comme une princesse après une soirée yoga-manucure, sur le coup des six heures et demie. Naturellement, il avait mis en marche la machine à café et s’était affalé dans le fauteuil d’ordinateur où il se trouvait encore. Il prendrait une douche plus tard.—Tu ne devineras jamais ce que son humaine lui raconte. Elle se plaint, depuis des jours, parce que le nouvel aPhone est trop grand pour sa main: quand elle le tien
—Vincent? Je te sens paniquer, est-ce que ça va?Léon avait presque immédiatement réagi. Le pouls du jeune homme battait comme le jour de son premier baiser. Si les terroristes arrivaient à entrer dans la zone blanche, qu’est-ce qui les arrêterait?—Ça va, oui, répondit Vincent en hochant la tête.—Tu sais que mes capteurs sont capables de me dire que ce n’est pas vrai. Tu n’as pas à cacher tes émotions, tu sais, il est tout à fait normal de se sentir effrayé par la possibilité d’une attaque terroriste. Tu es humain. Tu es mortel. Mais je suis sûr que tout va bien se passer. *smiley qui sourit*Vincent sentit tout d’un coup une vague d’affection pour Léon. Même si son incapacité à comprendre les codes traditionnels de socialisation lui rappelait sa propre incompétence, sa tentative pour le rassurer était touchante.—Je crois que j’ai peur, tu as raison, dit Vincent pour l’encourager.—C’est très b
—Alors il est… simplement parti?—Il semblerait.—Et vous n’avez rien trouvé? Rien sur qui que ce soit?—Non, et ça rend l’affaire d’autant plus délicate.—Pourquoi cela?—Parce qu’il n’a pas pu disparaître comme ça. C’est impossible, la zone blanche est l’espace informatique le plus sécurisé du duché! éclata le milicien fatigué.—Je… Qu’allez-vous faire?—La zone blanche au complet va être mise en quarantaine, il est hors de question que n’importe qui puisse entrer et sortir de nos districts sans que nous ne le sachions. Il en va de la réputation du duché.Un moment de silence passa. Vincent ne voulait surtout pas énerver le milicien, qui semblait avoir déjà pris très personnellement l’affaire. S’il venait à être inspecté pour la copie des fichiers suspects, il espérait au moins avoir un témoignage positif du fonctionnaire.—La signat
Vincent resta sans voix. Les pensées s’entremêlaient dans sa tête comme des slips dans une machine à laver. Ces deux derniers jours l’avaient amené à créer de toutes pièces le personnage de son cousin dans son esprit, à l’idéaliser d’un bout à l’autre, jusqu’à comparer l’homme disparu et l’homme qu’il aurait lui-même aimé être. Le découvrir en vie, apprendre qu’il n’avait pas même disparu le forçait à confronter sa propre personne aux idées de son cousin. Il allait pouvoir lui poser les questions qu’il voudrait, comprendre ce que les extrémistes avaient de si convaincant, peut-être même discuter de son journal…Les minutes passèrent, mais rien n’arriva. L’attente était affreuse, chargée de doutes et d’inquiétude. Et si son cousin était bel et bien devenu un extrémiste? Aurait-il été arrêté? Serait-il contraint de lui parler par le duché? Ou pire, serait-il revenu voir qui était son cousin, celui qui venait de passer une journée et demie à fouiller les fichiers
L’écran s’était lentement éteint. Malgré les 16 heures, les volets à demi-fermés plongèrent la pièce dans une pâle obscurité, créant une atmosphère blafarde similaire à celle qu’expérimentaient les enfants qui, pour la première fois, visitaient une maison de retraite.L’ordinateur hors d’état de marche, Vincent se retrouva seul face à une montagne de plastique et verre noir. Terrible instant que celui où, toute distraction disparue, le jeune homme devait faire face à l’accablant vide qui habitait sa personne. Très peu pour lui. Il attrapa son téléphone. Un instant sur Tunder. Aucun match. Un instant sur Lacebook. Rien d’intéressant.Il n’avait strictement rien à faire.Alors Vincent pensa. Fermant les yeux, il sentit d’abord le calme d’une existence complète à observer. Puis doucement, sa perception découvrit qu’il avait un corps. En premier il s’ouvrit à ses pieds. Cosy, dans leurs chaussons de tissu, fragrant d’un enfermement trop longtemps acquis pour compte. So
Léon avait été particulièrement indiscret, ce qui ne lui ressemblait pas, et Vincent se sentait encore gêné, sensation qu’accentuait à chaque instant la misérable chaussette trouée dont il était toujours vêtu. Ainsi, plutôt que de faire face à ses problèmes, il préféra trouver une manière plus puérile d’occuper ses pensées.Le tchat avec le milicien était en cours de chargement, mais Vincent n’avait plus envie de parler de sa rencontre, et préféra, autant que possible, éviter le sujet. Naturellement, son esprit glissa vers l’improbable personnalité de cet homme qu’il avait vu, son cousin.Comment avait-il pu être si naturel? Il avait semblé si sûr de lui dans la vidéo, si… différent du jeune homme imaginé. Avait-il été, lui aussi, un jour, aussi inadapté à la vie sociale que l’était Vincent?Une pensée lui traversa soudain l’esprit. Les mains de son cousin étaient blanches, il s’en souvenait très distinctement. Or, ses propres mains, et les mains de tou
Alors qu’il fouillait les méandres informatiques de son cousin, le temps passa avec une célérité folle. Vincent se rendit soudain compte que près d’une heure était passée lorsqu’il finit par ouvrir le premier fichier personnel de son cousin. Il s’agissait d’une note, un simple fichier écrit. Mais toujours aucune nouvelle du milicien.Son cousin devait écrire ses pensées comme venaient les fichiers: une liste de course, un fichier ouvert sur le coup. Peut-être était-il finalement comme lui, désemparé, un peu perdu, désordonné. Peut-être l’absence de chaleur humaine l’avait-elle conduit à se confier de la sorte. Vincent n’en savait rien. Il trouva simplement cela idiot: n’importe qui pourrait entrer sur son ordinateur et lire ce qu’il pensait au plus profond de lui-même. À choisir de fricoter avec le terrorisme, on tente au moins de couvrir ses traces, songea-t-il.C’était pour cela, pensa le jeune homme avec fierté, qu’écrire ses pensées sur un site internet qu
L’écran face à Vincent était sombre et sale. Aussi sombre que la vie d’un arbre qui aurait pris trente ans à pousser pour devenir un livre de math.Les yeux dans le lointain, Vincent tapotait des doigts sur son bureau, au rythme de l’ennui impérieux qui lui donnait des fourmis dans les jambes.« tap tap »Un rythme étrange s’en dégageait. C’était une mélodie, dans la nuit, aux cuivres de moteur de mobylette et cordes d’insultes entre voisins. C’était magnétique. Étrangement attirant, et en même temps d’un banal misérable.Vincent attendait que le chargement du site se termine. Coquelicot-rodeo.org semblait être aussi étrange que pouvait l’être internet.Sur son fond sombre se dessinaient, seules étincelles dans un monde aseptisé et immoral, de petits noms flottants en rouge.« Patricia »« Ambre »« Morgane »« Jade »« Romane »« Lola »Elles vagabondaient sur l’écran de Vincent, racolaient sans dire u