CassandraLa voiture roule sans un mot. Juste le silence. Celui qu’on n’ose pas briser de peur que tout s’effondre. Que tout ait été un rêve, un mirage, une illusion tissée par mon esprit épuisé. Je fixe l’obscurité de la route, les lignes blanches qui défilent, comme pour m’assurer que le monde continue de tourner.Ezra conduit, le regard fixé droit devant lui. Ses mains sont crispées sur le volant. Il ne saigne plus vraiment, mais je vois les marques. La tension dans ses bras. La fine pellicule de sueur sur sa nuque. Il est resté dans cet état de vigilance extrême, comme un animal prêt à mordre, à fuir, à tuer. Comme s’il ne pouvait pas encore croire que nous ayons réussi.Je n’arrive pas à parler.J’ai l’impression d’avoir laissé une part de moi là-bas. Une ombre. Une version de moi-même qu’il a piétinée, humiliée, lentement désintégrée. Ce qu’il reste… c’est une silhouette vide, glacée par l’adrénaline. Une peau remplie de souvenirs.Et pourtant… je suis libre.Je me force à inspi
EzraJe conduis sans réfléchir. Le moteur gronde sous mes mains. Chaque virage est un pas de plus vers elle. Vers l'enfer. Vers la délivrance.Le mot tourne encore dans ma tête.Viens.Ce n’est pas une demande. C’est un cri. Une fracture. Une plaie qu’elle m’a tendue comme preuve qu’elle respire encore. Qu’elle lutte, malgré tout. Malgré lui.Je passe la limite de la ville. Les routes deviennent plus sombres. Plus désertes. Je ne regarde pas derrière moi. Pas ce soir. Il n’y aura pas de retour.Le domaine de Noah est une forteresse. Mais aucune muraille ne tiendra face à ce que je ressens. Face à cette fureur glaciale qui grandit dans mes veines depuis qu’elle l’a choisi, depuis qu’elle m’a rejeté. Je comprends maintenant. Tout. Ses regards. Son silence. Sa voix qui tremblait à peine.Elle n’a jamais cessé de me voir. Même de loin. Même enchaînée.Et maintenant, c’est mon tour de la voir. De la rejoindre. De la sauver ou de mourir en essayant.Je murmure son prénom, comme une prière.
CassandraJ’ai regardé Ezra s’éloigner.Chaque pas qu’il faisait me déchirait un peu plus. J’aurais voulu courir vers lui. L’attraper. Lui hurler que je mentais. Que rien n’était vrai. Que je ne l’avais pas quitté.Mais je suis restée là. Droite. Immuable.Comme si mon corps n'était plus à moi. Comme si mes mots n’étaient que des rôles, des phrases qu’on m’avait gravées dans la gorge.J’ai croisé son regard une dernière fois, avant qu’il tourne le dos. Il avait compris. Je l’ai vu. Dans ce millième de seconde, ses yeux ont vacillé. Un mélange de colère, de douleur… et de foi déçue. C’est ça, le pire. Il voulait encore croire en moi. Même là, même après tout.Et moi, je lui ai tranché la gorge avec mes silences.Noah m’observe du coin de l’œil. Il ne dit rien. Il sent mes tremblements. Mais il ne les commente jamais. Il préfère le silence à la faiblesse. Il préfère l’obéissance à la vérité.Je me suis inventé un mensonge parfait pour survivre ici.Et aujourd’hui, il est devenu ma seule
CassandraJe l’ai senti avant de le voir.Cette présence, comme une brûlure dans l’air. Une vibration sourde dans ma poitrine, un frisson sur ma nuque. Mon cœur a raté un battement, puis un autre. Et quand je me suis tournée, il était là.Ezra.Il n’a rien crié.Il n’a pas couru vers moi, ni levé la main. Il s’est simplement arrêté à quelques mètres, comme s’il ne savait plus comment exister près de moi.Ses yeux m’ont transpercée.Et j’ai su que je ne pourrais plus fuir.Je me redresse lentement, la main toujours posée sur le rebord de la fenêtre où j’observais le ciel gris. La ville est un champ de ruines. Comme nous.— Tu es venu seul, je murmure.Il hoche la tête, les mâchoires tendues.— Je ne suis pas là pour te ramener. Ni pour supplier.Je le fixe. Mon cœur bat trop fort.— Alors pourquoi ?Il sort quelque chose de la poche intérieure de sa veste. Un papier froissé. Le dessin. Mon esquisse inachevée.— Pour comprendre, dit-il d’une voix rauque. Pourquoi tu as arrêté de me dess
EzraJe sais qu’elle n’est plus là avant même d’ouvrir la porte.Le silence est trop profond. L’air trop vide. Comme si l’espace avait retenu son souffle après son départ.Je pousse doucement la porte de notre chambre. Le craquement du bois résonne trop fort dans le silence. Mes yeux balayent la pièce dans un réflexe inutile. Je connais déjà le verdict. Tout est encore en place. Le lit défait. Les draps froissés. Son gilet posé sur le dossier d’une chaise. Mais elle, non.Elle s’est évaporée.Et avec elle, une partie de moi que je ne retrouverai jamais.Mon souffle est rauque. Je passe une main sur ma nuque, tentant de repousser le froid qui s’est infiltré jusque dans mes os. J’avance d’un pas, puis deux. Quelque chose crisse sous mon pied. Une feuille chiffonnée. Je me baisse.C’est un dessin. Un croquis à moitié terminé. Une esquisse de mon visage. Inachevée. L’ombre de mon regard, les contours de ma bouche. Mais rien de plus. Elle s’est arrêtée avant de terminer. Comme si elle n’ar
CassandraOn court.Je n’entends plus rien d’autre que le battement de mon cœur et le souffle de Noah, juste derrière moi. Nos pas résonnent dans les ruelles vides comme des tambours de guerre. On court comme si le monde s’écroulait derrière nous.Et c’est peut-être le cas.Le froid m’arrache la peau. L’air est tranchant. L’adrénaline me brûle les veines. Il attrape ma main sans me demander. Sa poigne est ferme, chaude, pressée. On tourne à gauche, à droite, sans réfléchir. Nos corps savent ce que nos esprits refusent d’admettre.On fuit. On survit.Il me tire dans un immeuble à moitié désaffecté. Murs effrités. Fenêtres brisées. Odeur d’humidité et de rouille. Il claque la porte. Verrouille. Je m’effondre contre le mur, haletante. Mon manteau est ouvert. Mes jambes nues tremblent. Ma gorge pique encore de la poussière de poudre. Le goût métallique de la panique colle à ma langue.Il reste debout un instant. Épuisé. Il passe la main dans ses cheveux, essuie la sueur de son front. Et j