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Chapitre 3 – Le choix des ombres

Author: L'invincible
last update Huling Na-update: 2025-07-13 02:41:03

KIERAN

Le moteur s’éteint dans un souffle mécanique, un dernier râle qui semble tirer un trait sur le peu de normalité qu’il restait. Le silence qui s’installe ensuite n’est pas un silence véritable. C’est un vide habité par des bruits sourds et sournois, que le corps perçoit plus qu’ils ne sont entendus. Le ronronnement régulier des ventilations dans les conduits d’aération, le cliquetis intermittent d’un tuyau qui goutte sans fin, et surtout, le souffle irrégulier du gamin à mes côtés.

Il ne parle pas. Il n’a pas prononcé un mot depuis qu’il a rejoint cette voiture, ses lèvres scellées par la peur, la colère, ou peut-être la honte. Je sens ses pensées tourner en boucle, trop rapides, trop chaotiques pour qu’il puisse se calmer. Il croit encore qu’il pourra comprendre ce monde en l’observant suffisamment longtemps, comme si regarder fixement le cauchemar pouvait le dissiper. Il croit qu’il pourra m’échapper, moi, l’ombre dans laquelle il est tombé.

Je sors du véhicule. Le claquement sec de la portière résonne dans le parking souterrain, coupant net le peu de calme qu’on pouvait espérer. Pas un geste, pas un souffle. Il reste figé, son corps tétanisé. Bon. Il apprend vite.

— Viens, dis-je, sans me retourner.

Il hésite, pris entre le combat intérieur et la nécessité de suivre. Son souffle est lourd, tremblant presque. Mais ses jambes obéissent, trahissant un instinct primaire : survivre. Plus fiable que la raison, plus fort que la peur.

On pousse la porte en métal qui grince, déchirant l’air d’un hurlement étouffé, puis on entre dans l’ascenseur. Une cage d’acier rouillée, laissée volontairement à l’état brut, symbole brutal de ce qui nous attend. Pas de moquette moelleuse ici, pas de promesses en sucre. Ce lieu mord, broie, écrase.

Léo s’avance derrière moi, les bras croisés serrés contre sa poitrine, comme pour s’enfermer dans une bulle fragile. Il fixe le sol, évite mes yeux. Son reflet dans le métal brossé lui renvoie l’image d’un gamin plus jeune que son âge, trop maigre, trop fatigué. Des cernes creusent ses yeux, témoins d’une insomnie chronique, d’une méfiance apprise.

— Tu viens d’où, Léo ? Vraiment, je demande.

Il fait une pause, cherche ses mots dans un labyrinthe d’hésitations.

— D’un endroit qui n’existe plus.

Je hoche la tête, acceptant cette réponse, même si elle sonne creuse. Peu importe. Elle est assez vraie pour que ça suffise.

— C’est un bon début.

Il me regarde enfin, en biais, cherchant à deviner si je dis vrai ou mens. Il ne sait pas encore que je mens mieux que lui. Moi, je mens pour survivre. Lui, il ment pour s’échapper.

L’ascenseur s’ouvre sur un couloir central. Sol noir, murs blancs. Froid, clinique, impersonnel. Tout est fait pour ne pas laisser de place à l’illusion. Ni aux souvenirs. Ni aux repères. Ce lieu est un sas, un passage vers un autre monde : celui où l’on cesse d’être soi pour devenir une arme.

On traverse le couloir en silence. Aucun mot ne doit être prononcé. Le moindre son trahirait la faiblesse.

La salle d’observation nous attend. Deux silhouettes s’y tiennent déjà, figées comme des statues. L’une d’elles s’avance alors, émergeant de l’ombre.

Marko , mon chef , le Fantôme .

Il s’impose par sa seule présence. Près d’un mètre quatre-vingt-dix, large d’épaules, puissant, son corps semble taillé dans la pierre brute. Pourtant, quand il bouge, c’est avec une aisance et une grâce qui démentent sa taille massive. Chaque pas, chaque geste est précis, calculé. Son regard, dur et froid, perçant comme un acier trempé, balaie la pièce. Il ne sourit jamais. Il n’a pas besoin de mots : sa présence suffit à imposer le respect, la crainte, l’autorité.

— Kieran, dit-il d’une voix basse, rauque, presque un murmure.

Je me tiens droit, mes mains fermes à mes côtés.

— Voici Léo, le gamin qui a tout vu ajoute-je, sans quitter le regard du Fantôme.

Marko le fixe un instant, évaluant, jaugeant, pesant ce gamin fragile dans ce monde brutal.

LÉO

Le silence dans la voiture est une cage dont je ne peux pas m’échapper. Chaque seconde qui passe me serre un peu plus, jusqu’à ce que mon souffle devienne court, précipité. Je ne comprends rien, je ne comprends plus rien. Ce que je croyais être une fuite s’est transformée en une chute sans fin. Et le gars à côté de moi , Kieran , il ne parle pas, il ne me regarde même pas.

Je veux demander, crier, protester. Mais les mots sont coincés, coincés quelque part dans ma gorge nouée. Je me retiens. Pour ne pas montrer que j’ai peur. Que je suis perdu.

La porte s’ouvre. Il descend. Le claquement de la portière me fait sursauter, me rappelle que je suis seul, avec mes pensées qui courent à toute vitesse. Puis il m’appelle.

« Viens. »

Je ne veux pas, mais je n’ai pas le choix.

Je marche derrière lui, les bras serrés contre moi comme pour me protéger du froid et du vide. Mes yeux restent fixés au sol, refusant de croiser son regard. Pas encore. Pas tout de suite.

L’ascenseur, cette boîte métallique rouillée, monte lentement, trop lentement. J’observe mon reflet, mais je ne me reconnais pas. Ce gamin maigre, fatigué, cerné, ce n’est pas celui que je voulais être. Pas celui que j’espérais devenir.

Il me demande d’où je viens.

Je pourrais mentir. Inventer une histoire. Dire que je viens d’un endroit sûr, d’une vie normale.

Mais la vérité est pire que le mensonge.

— D’un endroit qui n’existe plus.

Les mots sortent, lourds, cassants.

Je le regarde en biais, guettant sa réaction. Je cherche à savoir s’il ment aussi, s’il porte un masque comme moi. J’ai besoin de savoir à qui je fais face.

L’ascenseur s’ouvre, et j’avance dans le couloir froid, impersonnel, déshumanisé. Chaque pas me rapproche de l’inconnu.

Et en face de lui...je me sens... si menue car il est grand , très grand .

Je l’ai entendu parler de lui, de sa réputation. Une montagne de muscles et d’acier, un homme qu’on ne défie pas. Mais le voir en vrai, le sentir, c’est autre chose. Il remplit la pièce comme une ombre immense. Je me sens toute petite, invisible.

Son regard me transperce. Je retiens mon souffle.

Kieran me présente.

Marko m’étudie, comme s’il pesait chaque mot,

chaque mouvement, chaque hésitation.

Je sais que rien ne sera plus jamais pareil.

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